Suite à la demande de la maison flamando-néerlandaise deBuren à Bruxelles, dix-huit jeunes auteurs flamands et néerlandais ont chacun ramené à la vie une peinture du Rijksmuseum d’Amsterdam. Ils ont ainsi écrit un nouveau texte sur une vieille œuvre de la Galerie d’honneur en ayant toujours en tête cette question: que voyez-vous quand vous regardez ces peintures avec des lunettes genrées? Pour clore cette série, Maxime Garcia Diaz nous offre, par le biais d’un poème, sa propre interprétation du «Portrait de Maritge Claesdr Vooght» de Frans Hals.
Maxime Garcia Diaz (° 1993) est poétesse et étudiante en Cultural Analysis à l’Universiteit van Amsterdam.
Fourreau, épée
un blanc floconneux un doux paysage rose beige gris the husband
is traditionally situated on the left, and the wife situated on the right
deux yeux ovés, symétrie qui convient aux objets beaux et morts.
objet elle n’est pas, un bonnet blanc comme neige lui couvre les cheveux et elle
possède du pouvoir. le fourreau d’une épée
voyez sa fourrure : la voilà prête pour l’hiver ou la guerre
accoutumée à l‘immortalisation
male and female portraits might respond to one another in pose
conçus en couple. comme une partie du corps s’emboîtant parfaitement
dans une autre many historic pairs have become separated over the years
voyez ses paupières mi-closes (comme les yeux des adolescentes de haarlem
qui observent à travers fatigue et fumée un monde sur lequel
elles exercent un pouvoir papillotant, leurs rires narquois, leurs voix
rauques qui se taisent sous le tonitruement
des futurs bourgmestres à leurs côtés)
in the possession of sir g. donaldson, london. in the collection of vernon watney,
cornbury park, charlbury, oxfordshire.
déracinée depuis qu’elle est logée dans une collection. ce vide
à ses côtés. dans un manoir anglais aux poutres
astiquées, si on prête l’oreille
on entend encore au loin le bruit sourd
du cerf qui s’affaisse sur les branchages.
voyez sa main agrippant l’accoudoir,
ses doigts forts qui s’ajusteraient avec précision
sur la gâchette. (de même que la fourrure qu’elle porte
résulte d’un tir, peut-être dans un bois
de haarlem, tout près d’une souche sur laquelle
à présent une fille à voix rauque
boit un demi de grolsch alors que les doigts précis
d’un futur bourgmestre s’activent
autour de la fermeture éclair d’un blouson d’aviateur
garni d’un col en fourrure
le fourreau d’une épée
© «Rijksmuseum».
réverbération à travers trois siècles
la jupe aux plis lourds devenue jean filiforme
fourré dans des ugg. les armes de la famille
se transforment en logo d’un club de hockey
une bible tranchée sur or devient
dictionnaire latin trimballé vers
la salle de classe où des filles enfumées
au pouvoir papillotant tendent
les lèvres vers la caméra
accoutumées qu’elles sont à l’immortalisation
le futur bourgmestre boit une bière
rit plus fort, dresse des listes
d’objets beaux & morts
répertorie des fourreaux
sang chaud du cerf
portrait d’un fourreau loge dans un manoir anglais
un doux paysage parle d’une voix rauque, enfumée
seule dans une collection où manque désormais l’épée
qui lui donnait sa forme. ce sens qui vacille
qui laisse un espace où se retourner. quelle sorte d’arme
est donc ce fourreau sans épée, qui en épouse la forme
mais se comprend mieux sans rire tonitruant
une plus douce épée
porte fourrures, est prête pour l’hiver ou la guerre
ou l’immortalisation
au coin de la petite rue au bois
on peut voir les yeux bruns apitoyés
se refléter dans ses arrière-petites-filles
qui se tiennent devant elle
leurs cheveux recouverts par des cols en fourrure
questionnant.
non, toujours rien