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arts

Pour Ilke Cop, la peinture est un éternel recommencement

Par Maya Toebat, traduit par Raphaëlle Foucart
15 mai 2024 6 min. temps de lecture

Créer quelque chose à partir de rien: voilà, selon Ilke Cop, le rôle de tout artiste dans un monde qui vole en éclats. L’ayant longtemps rebutée, la toile blanche représente aujourd’hui un potentiel immense à ses yeux. Peindre est aussi l’activité qui lui permet de se sentir le plus en phase avec elle-même. «Lorsque je peins, il n’y a plus aucune barrière entre ce que je fais et qui je suis», se confie-t-elle.

Dans une pièce de quatre mètres sur trois à Anderlecht, une grande toile est accrochée au mur. Il s’agit de l’une des œuvres que la plasticienne Ilke Cop exposera en juin à la galerie Tatjana Pieters. Elle représente une femme agenouillée, en train de façonner une figurine, au beau milieu d’un paysage immense, mais désert.

Voilà deux jours qu’Ilke Cop a achevé cette peinture. Une expérience pour le moins émouvante. «Je pensais à ce qu’il se passe en Palestine», explique-t-elle. «Et même si cette œuvre n’a aucun lien avec cette tragédie –il s’agit d’une Genèse inversée, avec la femme en tant que force créatrice–, j’ai été choquée de constater à quel point les images que nous voyons partout autour de nous s’insinuent dans mon travail. La femme se penche en quelque sorte sur l’amour de sa vie, qui gît, immobile. Ce sont souvent les femmes et les enfants qui survivent à la guerre.»

Tandis que le monde s’écroule autour de nous, des fragments se faufilent dans notre esprit, sans que nous ne nous en rendions compte, et ressortent par nos mains. C’est en façonnant et ressentant les choses que nous puisons une grande partie de notre force, estime Ilke Cop. «Le fait de continuer à créer dans des situations difficiles a un pouvoir générateur. C’est à travers mes peintures que je développe cette force créatrice.»

Ilke Cop: Le fait de continuer à créer dans des situations difficiles a un pouvoir générateur

Voilà peut-être la réponse à la question qu’elle se pose depuis longtemps: «Le monde vole en éclats. Comment y faire face, en tant qu’artiste?» Il est clair, à ses yeux, que la fin du monde est proche. Pour savoir comment les choses évoluent, elle a commencé à explorer des mondes apocalyptiques pour son exposition à la Luxembourg Art Week en novembre 2023; un thème qu’elle n’a pas encore épuisé.

«Je remarque que dans cette phase, je me renferme un peu plus et je me cantonne à mon rôle d’artiste. Cela se ressent également dans mon travail: vous voyez une artiste solitaire dans un vaste paysage qui crée quelque chose à partir de rien.»

Genèse

Contrairement aux œuvres qu’elle a exposées à la Luxembourg Art Week, qui avaient pour principal thème la fin des temps, Ilke Cop se concentre, dans sa nouvelle série, sur la création: la Genèse. Elle indique que ce retour à un début fictif l’aide à avancer, lui fournissant un sol fertile, propice à la création de nouvelles œuvres. En outre, il s’agit d’un concept qui la fascine, car elle connaît mieux que quiconque le potentiel qui se cache derrière le commencement de quelque chose. «Je suis quelqu’un qui a déjà vécu de nombreuses vies et qui recommence toujours à zéro. C’est ce fameux commencement qui regorge de potentiel.»

Elle évoque notamment sa vie précédente en tant que créatrice de mode pour sa marque éponyme ILKECOP. Même si elle a toujours été animée par le rêve de devenir peintre, elle devait, comme beaucoup, avant tout obtenir un diplôme. Cependant, une fois ses études d’histoire de l’art achevées, la peur l’envahit.

«J’ai refoulé mon désir de peindre parce que j’avais une idée bien précise de l’artiste: un homme qui se retranche dans son atelier, tel un génie incompris. Je ne me retrouvais pas dans cette image. Qui plus est, le fait de partir d’une toile blanche m’effrayait. C’est pour cette raison que je suis entrée dans le monde de la mode. Je pouvais partir d’une silhouette ou d’un morceau de tissu.»

Sa marque ILKECOP a connu un franc succès –peut-être même un peu trop. En effet, au bout d’un certain temps, elle passait plus de temps à gérer son entreprise qu’à donner forme à ses idées. Ne ressentant plus aucun plaisir à travailler de la sorte, elle a décidé de prendre une pause et de passer une collection. «J’ai tout mis de côté dans mon atelier pour installer un chevalet. Je n’avais encore jamais peint de ma vie, mais j’avais toujours eu cette idée en tête. Et cette fois-ci, j’avais vraiment envie de faire quelque chose pour moi. Ce serait un hobby, auquel je m’adonnerais par pur plaisir.» Elle ajoute en riant: «Seulement, je ne suis pas très douée pour tout cela. Avec moi, tout tourne vite à l’obsession.»

Autoportraits

Appelez cela de l’obsession, de l’ambition ou de la passion, peu importe. L’essentiel est que la peinture lui a redonné goût à la vie. «Pour la première fois, j’avais le sentiment d’être en phase avec ce que je faisais», se souvient-elle. «Il n’y avait plus aucune barrière entre mon travail et ma personnalité. C’est dingue quand j’y pense, parce que ma marque portait mon nom, mais j’avais l’impression d’être schizophrène. Je ne voulais pas y être associée.»

Ses responsabilités à l’égard des clients ont également disparu. «Lorsque je peins, je ne me demande pas quel accueil le public réservera à mon œuvre. Les articles de mode, je les créais pour les autres; mes peintures, je les fais avant tout pour moi.»

Voilà notamment pourquoi elle insère son propre portrait dans ses peintures: pour rester proche de la réalité et parler en son nom. «J’y ai longuement réfléchi. Par le passé, j’ai par exemple travaillé sur le thème du colonialisme. Mais puis-je parler au nom des personnes ayant vécu toute cette violence? Je suis parvenue à la conclusion que je pouvais uniquement parler de ce que je savais du passé colonial de mes ancêtres.»

Ilke Cop estime que ce sont les aspects les plus personnels et concrets qui renferment les concepts les plus universels. En peignant son corps, encore et encore, elle va de plus en plus dans le détail. «Si chaque peinture représente une personne différente, il est question de portraits», explique-t-elle. «Mais puisque je pars toujours de la même personne, je me dépasse.» Il s’agit également d’un critère indiquant que l’œuvre est terminée. «Dès que j’ai l’impression que la personne représentée sur la toile est devenue quelqu’un d’autre, ma peinture est prête.»

Banque d’images

Ilke Cop est alors prête à faire découvrir son œuvre au monde entier. Dès qu’une peinture est achevée, elle n’a qu’une envie: la montrer au public le plus rapidement possible. «J’ai apporté ma touche personnelle dans mes œuvres, mais elles auront leur propre vie à travers tous les visiteurs, car ils auront chacun des images différentes en tête. J’adorerais que mes œuvres se fraient un chemin dans cette banque d’images et contribuent à façonner la manière dont ils voient le monde.»

Lorsque vous assistez à l’une de ses expositions, son souhait est que vous ayez l’impression d’être dans un autre univers. Elle réalise donc aussi des sculptures afin de rendre cette expérience d’autant plus concrète. «À mes yeux, la manière de présenter une œuvre dans un espace bien précis est cruciale. J’espère en réalité que lorsque les visiteurs entrent dans la salle, ce soit un moment de pure découverte, qu’ils remarquent quelque chose qu’ils n’avaient encore jamais vu, mais qui suscite leur intérêt. J’entends renforcer cette expérience en travaillant sur plusieurs supports.»

Les expositions dans lesquelles les œuvres d’art –tant les tapis que les sculptures– transcendent leur support et sont en parfaite harmonie sont celles qui la secouent le plus. «Voilà précisément ce que je vise», dit-elle. «Une exposition où toutes les œuvres se fondent pour plonger les visiteurs dans un monde qui leur est complètement inconnu. Un monde qui n’existe plus ou n’existera jamais.»

En janvier, Ilke Cop a remporté le prix Gaver qui récompense tous les deux ans un ou une artiste belge débutant dans le domaine de la peinture.
Elle participera à l’exposition de groupe Les Liaisons Désireuses du 26 mai au 13 octobre au château d’Ursel à Hingene.
Sa deuxième exposition solo se déroulera en juin à la galerie Tatjana Pieters, à Gand.
Maya

Maya Toebat

journaliste indépendante et éditrice

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