Le nord de la France et le traité de Maastricht: progrès indéniable et paradoxes étranges
En France, le 20 septembre 1992, s’organisait le référendum pour le traité de Maastricht. Il octroyait un oui timide au marché unique et à l’Europe d’aujourd’hui. Quel élan le traité de Maastricht, qui est entré en vigueur le 1er novembre 1993, a-t-il donné au développement économique dans le Nord-Pas-de-Calais et à la coopération transfrontalière entre ces départements et la Belgique?
«Votre région vote l’Europe!»: quelques jours avant le scrutin du référendum de Maastricht, la Commission de Bruxelles avait fait parvenir à La Voix du Nord le bilan de toutes les actions financées par ce qui était alors la Communauté européenne en faveur du Nord-Pas-de-Calais.
«Impressionnant», commentait alors le journaliste Bruno Vouters dans les colonnes du quotidien régional, énumérant les programmes de reconversion, le soutien à la recherche, le traitement des friches industrielles, le financement d’infrastructures routières, les aides à la formation, etc. Soit des milliards de francs de l’époque dépensés pour le développement économique de la région nordiste. Sauf que le Nord-Pas-de-Calais a finalement voté à 55,71% un retentissant «non» au traité de Maastricht… même si le oui l’aura finalement emporté d’une courte tête à l’échelle nationale.
En instaurant l’Union européenne entre les douze États qui appartenaient jusqu’alors à la Communauté économique européenne (CEE) et en jetant les bases de la monnaie unique, le traité de Maastricht a constitué une étape majeure dans l’histoire européenne. À l’échelle des départements du Nord et du Pas-de-Calais et de la Belgique, le traité s’est d’abord et avant tout matérialisé par des projets de coopération transfrontalière, financés par l’Union européenne. Avec encore des aides sonnantes et trébuchantes!
Tout début est difficile
Le contexte de 1992: l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) constate dans le Nord-Pas-de-Calais que «de 1975 à 1989 la progression des emplois dans le tertiaire (+190 000) a permis d’atténuer les effets de la baisse dans deux grands autres secteurs d’activité que sont l’industrie (-232 000) et l’agriculture (-32 000).» Les pertes les plus sévères sont dues à la fin du charbon (-38 000), à la baisse de l’activité autour des biens intermédiaires (-72 000 dont 30 000 dans la sidérurgie) et du textile (-70 000).
Avec 1,7 milliard d’euros sur 2000–2006 et 1,4 milliard sur la période 2007–2013, le Nord-Pas-de-Calais a été la région la plus «euro-subventionnée» de France
Petit retour en arrière. En 1991, l’Eurorégion Nord-Transmanche est la première organisation du genre à être créée, regroupant le Nord-Pas-de-Calais en France, le Comté du Kent en Angleterre et les trois régions belges: Wallonie, Flandre et Bruxelles-Capitale. À cette époque, tous les territoires doivent composer avec la désindustrialisation grandissante, même si elle est vécue à des degrés différents selon les territoires.
Cette première Eurorégion adopte un statut de GEIE (Groupement européen d’intérêt économique), dans un contexte de déclin des industries lourdes (sidérurgie) et de l’industrie automobile. Les actions de l’époque sont déjà largement portées par le programme européen Interreg, visant à promouvoir justement la coopération entre les régions européennes, notamment en matière de développement économique.
© Wikimédia France
Sans compter que, dans les années 1990, la région Nord-Pas-de-Calais était très active en matière de coopération transfrontalière avec le célèbre maire de Lille, Pierre Mauroy, qui avait mis en place la Conférence permanente intercommunale transfrontalière franco-belge (COPIT) avec Lille, Courtrai et Tournai. Sur le même principe, une Mission opérationnelle transfrontalière (MOT) sera ensuite créée en 1997 par le gouvernement français.
Reste qu’au fil des ans, cette Eurorégion a du mal à exister culturellement parlant: le manque d’engagement de ses membres, la trop forte institutionnalisation de cette structure et parfois même une certaine concurrence entre les membres ont conduit à sa dissolution en 2004. Est ensuite née, en 2008, l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, cette fois-ci sous la forme d’un GECT ou Groupement européen de coopération territoriale, là encore une première en Europe avec quatorze membres de part et d’autre de la frontière.
Une nouvelle dynamique plutôt positive
Qu’importe. L’Europe s’est remise en selle. Depuis trente ans, via Interreg, la Commission européenne apporte un soutien financier à la coopération transfrontalière, même si, par comparaison, les moyens peuvent sembler limités au regard de ceux qui sont consacrés à la cohésion européenne: Interreg représente moins de 3 % du FEDER, ce fonds destiné à réduire les déséquilibres économiques entre les régions! Le FEDER est encore différent du Fonds social européen (FSE), plus axé sur l’emploi.
© Museum der Bayerischen Geschichte / Wikimedia Commons
Depuis le traité de Maastricht, plusieurs autres programmes Interreg ont ainsi vu le jour, notamment avec le lancement de l’agenda culturel DDO – «Le Doigt dans l’œil» en 1990 (distribué en Belgique, en France et en Angleterre et disparu depuis)–, allant de la création de la Maison du néerlandais à Bailleul pour apprendre cette langue (1999), de la naissance du réseau des places fortes du triangle Londres-Lille-Bruges avec près de dix-neuf villes du Kent, de la Côte d’Opale et de la Flandre-Occidentale, d’une route du patrimoine maritime de la région Transmanche, jusqu’à Lille, sacrée en 2004 Capitale européenne de la culture…
Et ce n’était qu’un début! Avec 1,7 milliard d’euros sur 2000-2006 et 1,4 milliard sur la période 2007-2013, le Nord-Pas-de-Calais a ensuite été la région la plus «euro-subventionnée» de France! Dans les projets qui ont reçu d’importants financements européens, on trouve le tramway de Valenciennes, la dépollution de l’ancien site sidérurgique de Métaleurop, la plate-forme logistique multimodale de Dourges, le Centre européen des textiles innovants, le Centre historique minier de Lewarde, la rénovation du Kursaal à Dunkerque…
© Centre historique minier de Lewarde
Territoire particulièrement touché par la désindustrialisation avec près de 14% de chômage fin 2008, le Hainaut français a reçu des aides exceptionnelles du FSE, le Fonds social européen, grâce à une dérogation. Les arrondissements de Douai, Valenciennes et Avesnes-sur-Helpe ont ainsi reçu une manne de 160 millions d’euros entre 1994 et 2006. De quoi financer des milliers d’actions, à commencer par de la formation mais également des microprojets solidaires. En 2007-2013, le Hainaut bénéficiait d’une autre enveloppe de 31 millions d’euros du FSE (sur 381 millions pour l’ensemble de la région).
Aujourd’hui, le dernier bilan économique de l’INSEE se montre plutôt positif sur la dynamique économique de la région désormais appelée Hauts-de-France, le Nord – Pas-de-Calais ayant fusionné avec la Picardie: avec 2,2 millions d’emplois, elle est la cinquième région française la plus pourvoyeuse d’emplois dans l’Hexagone. Contrairement à 1992, «son passé agricole et industriel s’estompe progressivement», laissant la place à des activités tertiaires qui représentent désormais quatre emplois sur cinq. L’Aisne, l’Oise et la Somme sont les départements où la tertiarisation est la moins marquée: près d’un emploi sur quatre se situe dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie ou de la construction, souligne un dernier rapport paru en octobre 2022.
Reste que dans les Hauts-de-France, en 2019, moins de six habitants de 15 à 64 ans sur dix occupaient un emploi (59,7 % contre 64,2 % pour l’ensemble de la France). En 2021, 9,4 % des actifs étaient au chômage, soit 1,5 point de plus qu’au niveau national. C’est le taux de chômage le plus élevé de France métropolitaine, devant ceux de l’Occitanie et de Provence-Alpes-Côte d’Azur. En Belgique, le taux de chômage des 15-64 ans s’établissait à 5,4%. Un étrange paradoxe, qui a priori ne doit rien à l’Europe, lui.