Quand cette pandémie prendra-t-elle fin?
Les folles années vingt qu’on nous a annoncées –les Roaring Twenties de l’ère post-corona!– n’ont pas tout à fait l’air d’avoir commencé. Que nous apprend l’histoire sur la fin des pandémies? Et quand notre chroniqueuse Lotte Jensen pourra-t-elle enfin rechausser ses souliers de danse?
Quand cette pandémie prendra-t-elle fin? Déjà en avril 2021, une agence de voyage annonçait dans un grand journal néerlandais: «The Roaring Twenties are coming. Commencez à rêver… réservez dès maintenant!» Le texte s’accompagne d’une photo montrant une joyeuse compagnie en habit de fête devant un bar. Il ne s’agit pas d’un cliché original des années 1920, mais d’un remake, comme le suggèrent les pantalons modernes de quelques-unes des dames, la montre de la dame blonde située à droite ou encore les brochures posées sur la table.
Après à peine une année de pandémie, voilà qu’Experience Travel anticipait déjà sur un avenir radieux. Dans un mini-exposé historique, l’agence de voyage faisait référence aux folles années vingt, symbole d’un «renouveau mondial» après les années de malheur causées par la Première Guerre mondiale et la grippe espagnole. «Tout juste 100 ans plus tard, la fin de la pandémie de corona pourrait bien inaugurer une version contemporaine de ces folles années vingt», estiment les publicitaires. Le conditionnel tempère toutefois l’enthousiasme du propos. Car bien évidemment, eux non plus n’étaient pas en mesure d’offrir des garanties absolues.
Entre-temps, aux Pays-Bas, nous avons subi un autre couvre-feu ainsi qu’un autre confinement complet. Et toujours pas plus d’années folles que de beurre en broche. Au lieu de cela: un enchevêtrement de conditions de voyage, des pass sanitaires, des obligations de se faire tester et des mesures de quarantaine. Les Sud-Africains, chez qui le variant omicron s’était installé, devenaient durant un temps indésirables chez nous. Mais pour les Néerlandais aussi, de nombreuses destinations de voyage viraient une fois encore à l’orange. Se croyant à l’abri, les personnes doublement vaccinées étaient malgré tout contraintes de revoir radicalement leurs projets de voyage. En masse, les Néerlandais se sont rendus en Allemagne afin d’y obtenir une dose booster du vaccin. Car, sans elle, pas de vacances de neige en Autriche.
Mais quand ce carrousel de tests et de pass corona s’arrêtera-t-il enfin? La question se pose de plus en plus. Le secteur du voyage fera inévitablement une prédiction trop optimiste, car il renvoie à l’histoire pour l’instrumentaliser. Mais l’histoire ne peut-elle pas nous fournir de réponses plus sérieuses, fussent-elles spéculatives? Oui et non. Si les enquêtes médico-historiques nous apprennent quelque chose, c’est que chaque pandémie suit son propre chemin imprévisible. Aucune boule de cristal ne nous permet de prédire la fin de cette pandémie.
Ceux qui souhaitent combattre une pandémie avec succès, écrit-il, devront prendre de la hauteur et dépasser l’échelle nationale
Pourtant, certains modèles émergent. L’historien Charles Rosenberg souligne dans une belle étude publiée en 1989 qu’une pandémie s’éteint généralement de manière progressive. Il n’y a pas de fin précise, mais les séquelles sociales peuvent s’étaler sur de longues années. Une autre publication riche en enseignements est l’impressionnante synthèse de Frank M. Snowden, intitulée Epidemics and Society. From the Black Death to the Present (Épidémies et société. De la peste noire à nos jours, 2019). L’auteur y examine en détail l’influence de notre mobilité mondiale sur la propagation de virus et pointe l’industrie du tourisme comme vecteur idéal pour la transmission de microbes. Ceux qui souhaitent combattre une pandémie avec succès, écrit-il, devront prendre de la hauteur et dépasser l’échelle nationale: «Pour survivre au défi de la maladie épidémique, l’humanité doit adopter une perspective internationaliste et reconnaître notre inéluctable interconnexion.» L’être humain est en effet un être itinérant.
Voilà des paroles sages, mais qui ne conviennent pas à nos gouvernements nationaux. De manière tout à fait souveraine, les pays européens déclarent les uns après les autres que la pandémie est officiellement terminée. Alors qu’aux Pays-Bas, le secteur de l’hôtellerie et de la culture gémissent encore sous le joug d’une réglementation stricte, les habitants d’Espagne, du Danemark et de Grande-Bretagne ont déjà entamé leurs années folles. De quoi susciter l’envie. Nous voulons tous vivre ce moment historique, ce retour à la vie d’avant, et nous réservons donc en masse des voyages à Barcelone, à Copenhague et à Londres.
Mais les épidémiologistes ne seraient pas des épidémiologistes s’ils ne levaient pas un doigt synonyme de mise en garde. Comme l’a si bien dit Bert Wagendorp, journaliste au Volkskrant, «les épidémiologistes appartiennent à une race de gens pessimistes». Ils prévoient toujours le possible revers à venir. Dans l’ouvrage pratique de l’épidémiologiste Roel Coutinho sur les maladies infectieuses, je lis que le virus de la grippe espagnole, qui a fait tant de victimes en 1918, a continué à circuler chez les humains pendant près de quarante ans. Ce n’est qu’en 1957 qu’il a cédé sa place à la grippe asiatique. Si le coronavirus suit le même cours, nous en serons débarrassés d’ici à 2060.
Alors, sortons les drapeaux! Les rugissantes années 60 arrivent!