Pêcheurs de perles: quelques poèmes de Dewi de Nijs Bik
La poétesse Dewi de Nijs Bik, née en 1990, vit à Amsterdam. En 2023, les éditions De Arbeiderspers ont publié sous le titre Indolente sa toute première œuvre. Daniel Cunin a traduit quelques poèmes de ce recueil.
Nijs Bik Dewi Photographie © Stefan Rustenburg
La partie éponyme du recueil Indolente mêle des siècles lointains au présent le plus récent à travers le thème de l’huître: l’apparition de ce mollusque, les pêcheurs de perles à travers les âges (dont ceux issus de la traite des esclaves), le ramassage des huîtres en Zélande par des réfugiés en ce début du XXIe siècle, etc. Au fil de ces pages, dont certaines revêtent l’aspect de documents historiques ou administratifs, De Nijs Bik part en quête d’une langue et d’une forme pouvant rendre tangible ce que les hommes partagent à travers divers lieux et différentes époques.
Dewi déclame régulièrement sa poésie sur des scènes tant aux Pays-Bas qu’en Belgique. Ses créations paraissent dans différentes revues, sont diffusées sur les ondes ou font l’objet d’une vidéo, par exemple le cycle «Panty’s voor Daisy» repris dans son recueil.
Les poèmes qui suivent en traduction sont tous extraits d’Indolente. La Pesca del Corallo est une œuvre du Florentin Jacopo Zucchi, que l’on peut admirer à la galerie Borghèse de Rome. Quant à La Peregrina ou perle Pérégrine, il s’agit de l’une des plus célèbres perles au monde. Le poème «Totem» a été traduit à l’origine pour la manifestation bruxelloise Transpoésie de 2023. Notons que De parelduiker (Le pêcheur de perles) est une revue néerlandaise dédiée à l’histoire de la littérature.
La Pesca del Corallo
Jacopo Zucchi, 1585, huile sur cuivre, 55 x 45 cm
Des pêcheurs de perles blancs et noirs
se mettre en quatre. Main levée, morceau
de corail arraché. Paradant sur les rochers,
dans les nuages. Des oiseaux et un singe,
un bébé ange.
Un pêcheur noir musclé,
ceinture de perles autour de la taille. Plus loin,
des dieux blancs caressent l’eau de leur lance.
Se reposer et travailler, travailler
et vivre –
tous y compris la beauté de porcelaine
sont disposés à pêcher. Canoë,
filet et la récompense. Nature et pêcheur
sont en harmonie. Sans le moindre défaut
bijoux et histoires.
Mémorisations
Avant que nous ne fûmes nous, l’huître n’avait pas de coquille.
Le temps d’avant l’huître perlière : le temps d’avant la brillance
de la langue.
*
L’huître ruisselait dans l’océan et l’océan
ruisselait en elle. Là,
où il s’agit d’attendre
sa naissance, elle ne coule pas, sans pierre
en guise d’armure, aucune gorge
pour revendiquer,
règne la patience.
*
Le temps de l’huître perlière:
un inéluctable accord
entre sans fond et fièvre des fonds, à chaque fois que l’attrape
la main née du pillage: un poing de pierre
se fait sa maison.
*
C’est ainsi qu’elle est dotée de sa coquille: poing éternel
d’où son cri ne peut s’échapper
que comme un bien scintillant: la perle
qui n’est plus rien si ce n’est le voile de salive dont elle enveloppe
ce qui n’est plus supportable:
ne me touchez pas.
Le chant du pêcheur
Au cours de sa sainte odyssée
Vers l’Ouest en flotte perlière
Lâchez La Peregrina!
Pêchée par un homme fait esclave
Parmi les restes humains
Lâchez La Peregrina!
Ô, Peregrina
Une perte partagée
Qui ne commence pas par la possession
Mais Ô, Peregrina
En forme de larme
D’eau reblanchis les plages
Au cours de sa sainte odyssée
Vers la Couronne espagnole
Lâchez La Peregrina!
Du trésor de Philippe II
En passant par le trône de Napoléon
Lâchez La Peregrina!
Ô, Peregrina
Une perte partagée
Qui ne commence pas par la possession
Mais Ô, Peregrina
En forme de larme
D’eau blanchis les pages
Pendant sa sainte odyssée
Du château de Windsor à Londres
Lâchez La Peregrina!
Repêchée dans la gueule
De l’un des chiens de Liz Taylor
Lâchez La Peregrina!
Oh, sainte son odyssée
Jusqu’à l’hôtel des ventes de NYC
Lâchez La Peregrina!
À présent condamnée
À l’obscurité d’un coffre
Lâchez La Peregrina…
Cinq cents ans d’appropriation
Lâchez La Peregrina!
Cinq cents ans de destruction
Lâchez La Peregrina!
Cinq cents ans de pur profit
Lâchez La Peregrina!
Cinq cents ans à n’importe quel prix
Lâchez La Peregrina! (Lâchez !)
Lâchez La Peregrina! (Lâchez !)
Lâchez La Peregrina! (Lâchez !)
Lâchez La Peregrina!
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