Quelques quatrains de Jacob Israël de Haan
Daniel Cunin a sélectionné cinq quatrains de l’écrivain néerlandais Jacob Israël de Haan tirés d’un recueil paru en 1924. Il les présente en traduction française accompagnée de la version originale néerlandaise.
Issu d’une famille juive orthodoxe pauvre et très nombreuse, Jacob Israël de Haan (1881-1924) devient enseignant à une époque où il a perdu la foi. Parallèlement, il fait ses armes comme journaliste dans la mouvance socialiste et poursuit de longues études de droit. En 1904, cependant, il connaît de graves difficultés après la parution de Pijpelijntjes, considéré, dans les lettres néerlandaises, comme le premier roman évoquant sans retenue l’homosexualité masculine. À cause des remous que provoque cette œuvre, De Haan perd son travail dans l’enseignement ainsi que son poste de rédacteur au sein d’un quotidien en vue. Après la parution de Pathologieën (1908), autre roman homo-érotique, il lui est encore plus difficile de trouver un emploi. L’un des rares à oser le soutenir publiquement n’est autre que l’Anversois Georges Eekhoud. À la même époque, De Haan est lié à Remy de Gourmont –l’un des écrivains alors les plus réputés– auquel il rend quelques visites.
Vers 1912, il effectue d’autre part plusieurs voyages en Russie pour visiter les effroyables prisons de l’empire. Par ailleurs, il devient membre du mouvement sioniste. Bientôt, il étudie l’hébreu et renoue avec la religion de son enfance, publiant quelques recueils de poésie dans lesquels transparaissent les nouvelles conceptions auxquelles il adhère ; il donne aussi de longs poèmes inspirés d’œuvres d’Eekhoud ainsi que nombre de quatrains, certains d’une audacieuse teneur érotique, qui appartiennent sans doute au meilleur de sa riche production.
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À la fin des années dix, un quotidien amstellodamois envoie l’auteur en Palestine. Il laisse son épouse à Amsterdam. Dans ses articles, le correspondant prend peu à peu ses distances vis-à-vis du sionisme au point de finir par rompre avec lui en 1922. Menacé à plusieurs reprises, il est assassiné en 1924 à Jérusalem par un membre de cette mouvance politico-religieuse. En 1932, Arnold Zweig, ami de Freud, publie De Vriendt kehrt heim (Un meurtre à Jérusalem : l’affaire de Vriendt, Paris, Desjonquères, 1999), roman à clef sur les années palestiniennes de J.I. de Haan.
En langue française, on peut lire du Néerlandais, dans des traductions de Nathan Weinstock, deux recueils d’articles et de reportages: De notre envoyé spécial à Jérusalem. Au cœur de la Palestine des années vingt et Palestine 1921.
Nous proposons ci-dessous, en traduction française et en version originale néerlandaise, quelques quatrains du recueil éponyme édité à Amsterdam en 1924. Une tenace mélancolie se dégage de ces vers de même qu’une réelle nostalgie des Pays-Bas. On relève par ailleurs nombre de références à la foi, au Mur des Lamentations, souvent liées d’ailleurs à l’emploi du mot knaap, autrement dit le jeune garçon qui éveille les sens de l’écrivain. D’autres quatrains évoquent des voyages effectués par Jacob Israël de Haan ou encore des personnalités qui ont joué un rôle dans sa vie.
Train de nuit
Un lieutenant, au fond rien qu’un gamin encore.
Ensemble nos deux corps fendent l’obscurité.
Quel avenir lui tire un sourire lors qu’il dort?
Moi, sans cesse en éveil, de douleur contracté.
Nachttrein
Een luitenant, maar niet meer dan een knaap.
Wij reisden samen des nachts in den trein.
Wat lot genoot hij lachend in zijn slaap?
Terwijl ik waakte en kromp van pijn.
Réveil
Il ouvre enfin les yeux. Et le voici hilare
Quand je couche une idée. Bientôt, on se sépare.
Or, je le crie: vivant, je chérirai l’espoir
D’un miracle, celui de connaître un revoir!
Ontwaken
Ik wachtte tot hij waakte, en toen, ik schreef,
Mijn weinig woorden op, terwijl hij lachte.
Wij scheidden, maar ik zweer: zoolang ik leef
Zal ik ‘t wonder van ‘t wederzien verwachten.
Prière du matin
Quand je gagne le Mur, est-ce pour la prière ?
Ne serait-ce pas pour le Garçon marocain,
Lui au ravissant corps et au rire coquin ?
Dans mon houleux sommeil, sans trêve il me requiert.
Ochtendgebed
Ga ik naar de Klaagmuur voor de gebeden?
Of voor den kleinen Marokkaanschen Knaap?
Die stout van lach en liefelijk van leden
Mij dringend riep in onrustige slaap.
La langue
Mon plus profond désir, c’est d’entendre la langue.
Toujours autour de moi, l’idiome de Hollande.
Ici je vis moitié ravi moitié errant.
Nul ne parle en ce lieu la langue de mes chants.
De taal
Het meest verlang ik weer de taal te hooren.
De taal van Holland, altijd om mij heen.
Hier leef ik, half verheugd en half verloren.
De taal van mijne liedren spreekt niet één.
Le voyage
Mon Voyage: le Rêve a tout vécu, de notre
Époque agitée les fastes non décrépis.
Londres, Naples, Paris: de simples noms, rien d’autre,
Ceux d’une Éternité a priori sans répit.
De reis
Mijn Reis: de Droom beleeft het al te samen,
De weelden van dezen bewogen Tijd.
Londen, Parijs, Napels: het zijn maar namen
Voor één bewogen Eeuwigheid.