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littérature compte rendu

«Raaf» de Roos Vlogman: Parfois le corps veut autre chose que la tête

Par Roos Vlogman, Dirk Vandenberghe, traduit par Françoise Antoine
18 mai 2021 7 min. temps de lecture La première fois

“Raaf” de Roos Vlogman est un premier roman captivant sur un fils qui voudrait se détacher de sa mère, mais qui comprend peu à peu que c’est impossible.

Depuis plusieurs années déjà, Roos Vlogman (Arnhem, 1992) travaille patiemment le terrain de la littérature par le biais de l’écriture de nouvelles. Ses textes ont été publiés dans les quotidiens Trouw
et De Morgen, ainsi que dans le magazine littéraire Tirade. Parvenue jusqu’à la finale du concours d’écriture Write Now! en 2012 et 2013, elle a finalement remporté l’édition 2016.

Write Now! est un vivier de jeunes talents dans lequel viennent volontiers puiser tous les éditeurs des Plats Pays. Des noms célèbres comme Lize Spit, Niña Weijers, Maartje Wortel, Joost de Vries et Marjolein van Heemstra doivent leur percée à une victoire à ce concours d’écriture. Après sa propre consécration, Roos Vlogman a été sélectionnée pour le Slow Writing Lab, programme de développement de talents du Nederlands Letterenfonds (Fondation néerlandaise pour la littérature), et publie à présent son premier roman aux éditions De Harmonie.

Dans ce premier roman intitulé Raaf, Roos Vlogman raconte l’histoire d’un jeune homme issu d’une famille quelque peu dysfonctionnelle. Il n’y a pas trace de père, et la mère souffre d’un problème dont on ne parle pas. Le lecteur fait la connaissance de Raaf alors qu’il va acheter un chiot. L’idée d’adopter un chien lui a été soufflée par un rêve. Lorsqu’il va visiter la portée, cependant, son choix se porte sur un chien qui est déjà réservé. S’ensuit une séance de spiritisme avec la propriétaire, au cours de laquelle ils demandent qui de Raaf ou de l’autre candidat a le plus droit au chiot. Au terme de cette séance, le garçon se voit remettre un bout de papier sur lequel il trouvera la réponse. Lorsqu’il sort et déplie le mot, il y voit le numéro de téléphone de sa mère.

Cette première partie, qui se déroule trois ans après le reste du livre, contient tout ce qui fait de Raaf
un premier roman si particulier: un univers onirique, des rebondissements étranges et surprenants, des indices de ce qui doit arriver ou s’est passé, des observations pointues et des descriptions originales. C’est ainsi que Raaf remarque que toutes les portes de la maison coulissent; il n’y a pas une seule poignée. Et lorsque la maîtresse de maison disparaît deux fois de suite pour déplacer, changer ou s’occuper de quelque chose dans une autre partie de la maison, Raaf s’interroge: «Peut-être a-t-elle l’impression que la maison va s’effondrer si tout n’est pas à la bonne place.»

Tout dans ce court roman témoigne de l’expérience acquise par Roos Vlogman en tant qu’autrice de nouvelles. Econome de détails sur l’intrigue, elle montre beaucoup, mais en dit le moins possible, et insère comme de petits hameçons dans son histoire, des détails qui accrochent l’esprit du lecteur et frappent son attention. On soupçonne parfois l’importance voire la valeur prédictive d’un fait. C’est souvent le cas, mais pas toujours, entretenant le suspense pour le lecteur.

Peu à peu, ce dernier en apprend davantage sur Raaf et sa relation avec sa mère. Il y a quelque chose qui cloche chez elle: quand elle ne comprend pas ce qui se passe, elle tente de se cacher. Au sens propre, dans un coin de la maison ou de la forêt, comme au sens figuré. Elle se réfugie par exemple dans une relation étrange et déséquilibrée, dans laquelle elle peut elle-même s’occuper de quelqu’un, ce qui lui donne de l’énergie. «C’est comme si elle pouvait plaquer sa bouche contre l’autre personne et aspirer sa douleur comme de l’air chaud, après quoi elle-même flotte à travers la maison, revigorée et aérienne.» Mais le but, au fond, est toujours le même: elle veut être trouvée. Et pas par n’importe qui: par Raaf.

Raaf pense détenir une arme secrète très utile: il sait lire dans les pensées des gens qui désirent très fort quelque chose. Il croit donc souvent savoir ce que veut sa mère. C’est pourquoi leurs mondes se heurtent régulièrement, bien qu’ils soient inextricablement liés, et ce même lorsqu’il n’y a pas de contact pendant quelque temps.

«Does the body rule the mind, or does the mind rule the body» (Le corps gouverne-t-il l’esprit, ou l’esprit gouverne-t-il le corps ?), se demandait Morrissey dans le premier album des Smiths. C’est un dilemme avec lequel Raaf se débat, lui aussi. Parfois, le corps voudrait bien quelque chose, et il voudrait même pouvoir laisser sa tête derrière lui, comme un satellite sans valeur devenu inutile. Mais la tête souffre de sens des responsabilités, de sentiments de culpabilité et de tant d’autres grands mots, et tient à résoudre le problème en restant. Alors que le corps voudrait au contraire bouger. C’est une lutte continuelle, comme le combat d’un fils pour se détacher de sa mère. Qu’il y parvienne ou non n’est pas le plus important dans Raaf. C’est l’affectueux combat qui charme l’esprit, pas le résultat final.

Roos Vlogman, Raaf, De Harmonie, Amsterdam, 152 p.

Extrait de Raaf de Roos Volgman

Dans tous les cas, un chien est un chien en rêve. Ce que je veux dire, c’est ceci: je peux rêver d’une femme qui ne ressemble en rien à ma mère, me réveiller et en être sûr: c’était ma mère. Je peux rêver d’un éboueur, d’un déménageur, d’un homme grand avec des rides sur le front et des bras comme les fondations d’une maison, me réveiller et en être sûr: cet homme, encore ma mère. Mais un chien est toujours un chien en rêve. Je fais mes courses dans le même supermarché que ma mère. Je le sais, comme je sais qu’une école en rêve est la maison où j’ai grandi. En réalité, ça fait drôle de passer en voiture devant sa maison, parce que c’était aussi la mienne, je sais où tout se trouve et je sais aussi que je ne vais plus reprendre ma vie là-bas. On ne s’est jamais croisés au supermarché.

Sur le tableau d’affichage est punaisée une petite annonce: «À vendre: portée de bâtards». Elle est accompagnée d’une photo, tellement floue que je n’arrive pas à distinguer un seul chien dessus. Je ne sais pas très bien pourquoi j’enregistre le numéro dans mon téléphone.

Je m’arrête devant le rayon de nourriture pour animaux domestiques: des biscuits pour chien en forme de crânes et d’os, de la litière pour chat violette, formule encore plus absorbante. J’achète trois conserves de pâtée et un paquet de croquettes. J’ai une bouffée d’enthousiasme à l’idée que j’ai fait un choix, que je vais m’offrir un cadeau.

La maison du propriétaire se trouve dans le quartier le plus récent de la ville. Ici, les gens peuvent concevoir et faire construire leur propre habitation. Vous achetez un lopin de terre et, un an plus tard, vous habitez une belle cabane dans les arbres, un conteneur maritime sur pilotis, un ovni. Je marche dans la rue qu’on m’a indiquée, sans voir nulle part de numéros aux maisons. Toutes les habitations ont l’air extravagantes à l’extérieur et vides à l’intérieur: elles sont à peine meublées, tout est blanc ou gris béton. Dans chaque maison, il y a un grand fauteuil design au milieu de la pièce et au mur est accrochée une télévision si plate qu’on dirait une fenêtre. Dans un bungalow en carton recyclé très épais, je vois bouger quelque chose. Une chienne est allongée dans une grosse caisse à bananes et allaite cinq chiots. À côté de la sonnette est suspendue une petite plaque d’identité en aluminium, comme à l’armée, sur laquelle est gravé le numéro de maison.

Quand je sonne, la porte s’ouvre comme une baie vitrée. Une jeune femme apparaît, vêtue d’un pull à col roulé noir et d’un pantalon noir qui s’évase à partir des chevilles. Elle porte des chaussettes dorées et est occupée à passer ses vêtements au rouleau adhésif.

«Martha», dit-elle. Elle ne me tend pas la main. «Entrez vite.»

Elle m’introduit dans le living. Toutes les portes s’ouvrent en coulissant sur le côté, comme une cloison qui disparaît, aucune porte n’a de poignée. Au milieu de la cuisine trône un îlot pour cuisiner. Le sol coulé gris est recouvert d’un seul tapis blanc laineux. Je ne vois pas de divan ni de fauteuils, ni rien d’autre pour s’asseoir. Tout dans cette pièce a des coins et des lignes droites. Rien n’est rond.

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Roos Vlogman

écrivaine

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Dirk Vandenberghe

journaliste indépendant

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