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société

Regards sur l’espace culturel belge: ceci n’est pas la belgitude

17 décembre 2021 6 min. temps de lecture

Le 9 décembre dernier s’est tenue à Bozar à Bruxelles la table ronde «Vers un espace culturel belge?». Elle a rassemblé François Brabant, rédacteur en chef du magazine Wilfried, Michael De Cock, directeur du théâtre du KVS (théâtre royal flamand à Bruxelles) et Caroline De Mulder, écrivaine et professeure de littérature à l’université de Namur. Françoise Baré de la RTBF (la Radio télévision belge francophone) a modéré les échanges qui ont cherché à définir la culture commune en Belgique.

Pour l’étrangère que je suis, et qui même après plus de dix années passées en Belgique porte toujours un regard un peu extérieur sur ce pays, la culture belge va de soi, voire elle saute aux yeux. Peu importe le côté de la frontière linguistique où je me trouve, il me semble évident qu’il existe une culture belge commune, différente de celle des pays voisins, ne serait-ce que par le paysage (à entendre ici en tant qu’architecture et urbanisme l’ayant façonné) et bon nombre d’habitudes culturelles (de la Saint-Nicolas à la façon de prendre l’apéritif à des heures extravagantes en passant par l’esprit de débrouillardise). Pourtant, ce que constate l’étranger, en l’occurrence ici l’étrangère, semble souvent invisible aux Belges eux-mêmes, plus prompt·es à voir les différences (réelles cela dit, à commencer par la langue) que les similitudes.

Comment se fait-il que mes pourtant très mauvais yeux voient ce que d’autres ignorent? Évidemment, il ne s’agit que d’une question de point de vue… et de distance. Peut-être un peu, pour certain·es, d’aveuglement volontaire. Ce qui signifie, dans tous les cas, qu’il est donné à tous et à toutes de regarder autrement la Belgique et son espace culturel. C’était d’ailleurs là le propos de Hans Vanacker dans son allocution en ouverture de la soirée. Les trente-deux dernières années à titre de secrétaire de rédaction de la revue Septentrion lui ont appris à jeter un regard différent sur l’autre partie du pays. Un point de vue aussi adopté par les intervenants qui se sont focalisés sur ce qui réunit plutôt que sur ce qui divise les Belges.

La Belgique en toutes lettres

La discussion s’est ouverte sur la question de la littérature, terrain sur lequel existe un relatif consensus. Comme dans les arts de la scène ou dans le monde de la mode où la touche belge est généralement reconnue, la littérature belge en toute langue reste assez facile à circonscrire, du moins sur le plan stylistique. Elle se caractériserait, selon Caroline De Mulder, par le réalisme magique. Au pays du surréalisme, les auteurs et autrices ne craignent pas de ponctuer leurs récits de décollages de la réalité. Si une certaine belgitude est palpable dans les œuvres, force est cependant de constater que les structures et organisations qui promeuvent la littérature belge continuent d’évoluer sur des voies parallèles et, à quelques exceptions près, bien séparées en fonction de la langue de publication des ouvrages.

Aborder la littérature belge en fonction de l’identité linguistique et territoriale de ses auteurs et autrices n’est cependant pas sans écueil. L’anecdote relatée par Caroline De Mulder à Bozar (ainsi que dans les pages du dernier numéro de Septentrion) montre bien toute l’absurdité qu’il y a à vouloir à tout prix diviser l’espace littéraire belge en deux régions bien distinctes, l’une néerlandophone, l’autre francophone, avec entre elles la zone tampon de Bruxelles. Suite à la demande d’une journaliste de sélectionner trois œuvres contemporaines wallonnes (mais pas bruxelloises), De Mulder s’est trouvée bien embêtée. Qu’est-ce qu’une œuvre wallonne? Qu’est-ce qu’une œuvre bruxelloise ou flamande? L’étiquette est-elle déterminée par la langue de l’écrivain·e? Par son lieu de naissance? Par sa domiciliation? De Mulder a expliqué avoir fait fi de la requête initiale et choisi des œuvres écrites en français peu importe la façon dont se définissent leurs auteurs et autrices. Comme quoi l’obsession identitaire, critiquée par Hans Vanacker dans son mot d’ouverture, risque de nous faire passer à côté d’œuvres intéressantes.

Ceci n’est pas la Belgique

Cerner les caractéristiques culturelles communes à une plus vaste échelle s’est avéré une tâche plus ardue. Au-delà de quelques clichés que sont le goût prononcé pour les croquettes et les crevettes (auxquelles l’étrangère ajoutera immanquablement la bière et le chocolat), la Belgique se définit surtout par ce qu’elle n’est pas: pas soumise au poids de l’histoire, de la tradition et du grand récit national. À tout le moins, pas de la même manière que ses voisins immédiats, ces deux grands frères qui se posent souvent en gardiens de la langue et rappellent aux «petits» Belges leur posture minoritaire et périphérique par rapport aux centres que seraient Amsterdam et Paris. D’où peut-être le manque d’esprit de sérieux, autre trait qui serait commun aux Belges. Pour François Brabant, le surréalisme n’est jamais bien loin et, dans ce pays déjà complexe, l’(auto)dérision est rapidement appelée à la rescousse lorsque la conversation menace de s’engager trop loin sur le terrain des idées.

Bref, ce qui lie les francophones et les néerlandophones, c’est ce qui leur fait défaut. Comme l’a souligné à juste titre Michael De Cock, les créateurs belges puisent justement dans ce manque d’identité commune et cette posture un peu en marge une immense liberté, celle d’oser, de s’attaquer aux traditions et aux monuments que d’autres considèrent comme intouchables. Le succès du théâtre belge à l’étranger, la vitalité de la danse à Bruxelles témoignent de cette volonté de dépasser les frontières, en mélangeant les genres et en trouvant des façons de franchir la barrière de la langue.

Bruxelles comme catalyseur

Au fil des échanges, Bruxelles est apparue comme le catalyseur d’un espace culturel belge en raison de son caractère bilingue. Car la langue reste bien la pierre angulaire des relations entre francophones et néerlandophones, pour ne pas dire la pierre d’achoppement. Tous et toutes étaient d’accord sur l’importance de l’apprentissage de la langue de l’autre. C’est par la maîtrise de la langue que peut se développer la connaissance de l’autre culture. Or à ce chapitre les relations entre néerlandophones et francophones en Belgique restent déséquilibrées. Alors que le français est une matière obligatoire pour les élèves flamand·es dès la cinquième année du primaire, le choix de la langue seconde est laissé aux jeunes Wallons. Nombreux sont ceux qui choisissent l’anglais et ne maîtrisent aucunement la langue de leur voisin immédiat. Cet état de fait complique la construction d’un espace culturel commun.

Mais si Bruxelles se présente comme le laboratoire de la Belgique, c’est aussi et surtout parce qu’elle oblige à dépasser la dualité francophones-flamands. Dans cette ville de «majority-minority», où les groupes dits minoritaires composent la majorité de la population, difficile de cultiver l’esprit de clocher qui caractériserait la Belgique. Chacun·e des intervenant·es y est allé de son anecdote sur cet esprit de clocher qui coule encore des jours heureux en Flandre et en Wallonie, où l’on aime bien se faire croire que 5 km plus loin «c’est quand même un autre monde». Il me serait d’ailleurs aisé d’ajouter mon lot d’anecdotes sur la question. Or ce qui est présenté comme une différence essentielle est bien souvent invisible pour les étrangers.

À l’issue de cette table ronde, la question de ce qu’est l’espace culturel belge n’a pas trouvé de réponse claire, si ce n’est que par la négative. Ce qui est clair cependant, c’est que Bruxelles, par le brassage des cultures et des langues qu’elle opère, par la mise en contact permanent qu’elle force au quotidien, méprise les frontières et multiplie les différences jusqu’à les rendre insignifiantes. C’est à Bruxelles que s’inventent de nouvelles manières d’être ensemble, dans la débrouillardise et les initiatives citoyennes.

Notre rédacteur en chef Hendrik Tratsaert écrivait d’ailleurs déjà dans le plus récent numéro de Septentrion que «c’est à Bruxelles que se trouve la clef du rapprochement culturel». Ce constat partagé par plusieurs confirme la nécessité de porter un regard attentif sur Bruxelles. Et c’est ce que fera justement le prochain numéro de Septentrion ayant pour thème «Labo BXL». La ville y sera envisagée comme lieu d’expérimentation culturelle dans un cadre plurilingue et multicolore, où la diversité et l’inclusion sont les maîtres mots.

Evelyne Ledoux Beaugrand

Evelyne Ledoux-Beaugrand

responsable de les plats pays

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