Rester catholique en France ?
L’immigration belge en France est essentiellement d’origine flamande. En dépit de la différence linguistique, les immigrés belges se sont rapidement fondus dans le pays d’accueil. Dans le livre «Rester catholique en France», Henk Byls s’intéresse, dans ce contexte où les migrants sont également des catholiques en pays catholique, aux stratégies développées par les institutions ecclésiastiques belges pour encadrer une population qui, apparemment, n’en demandait pas tant.
L’imposant ouvrage Rester catholique en France. L’encadrement religieux destiné aux migrants belgo-flamands du Lillois, de Paris et des campagnes françaises, 1850-1960 est issu d’une thèse de doctorat. Il est publié avec un index des lieux et des noms de personnes, ainsi qu’une importante bibliographie. L’adjectif «belgo-flamand» du sous-titre rappelle d’entrée de jeu que l’immigration belge en France est essentiellement d’origine flamande. Or, en dépit de la différence linguistique, les immigrés belges se sont rapidement fondus dans le pays d’accueil. L’auteur s’intéresse, dans ce contexte où les migrants sont également des catholiques en pays catholique, aux stratégies développées par les institutions ecclésiastiques belges pour encadrer une population qui, apparemment, n’en demandait pas tant.
La perception de la nature de l’émigration (temporaire ou définitive) ainsi que le vide qu’elle crée dans les régions de départ ont été déterminants. Ils ont donné lieu à un maillage d’œuvres d’abord congréganistes puis diocésaines, dans l’histoire desquelles les individualités ont joué un rôle essentiel.
Les migrations des Belges dans le Lillois sont bien documentées; pour Paris et les zones rurales du Nord de la France, au contraire, l’auteur a dû travailler à partir des recensements de population. L’importance de l’espace rural considéré (une vingtaine de départements) donne une idée de l’ampleur du travail quantitatif, avec, en préalable, une recherche centrée sur les œuvres d’encadrement catholiques. L’auteur a dû se frayer un chemin dans la dispersion des archives, entre France et Flandre, entre documentation institutionnelle, archives privées, mémoire des œuvres et mémoire familiale.
L’une des richesses de l’ouvrage est de conjuguer dimension diachronique et différences spatiales, restituant ainsi le phénomène migratoire dans toute sa diversité. Il nous donne des aperçus d’une grande richesse, au plus près du tissu local et des personnalités.
D’une lecture aisée, il est organisé en trois parties, à la fois géographiques et thématiques :
«Migrer chez le voisin: le Lillois et l’enjeu de proximité» ; c’est dans le Lillois que le phénomène migratoire est de la plus longue durée, et le plus massif. Son étude couvre un siècle (1850-1960); cette période de migration est contemporaine de l’affirmation des États-nations, donc de la définition du statut d’étranger en référence à la nationalité et non plus au village, et de l’application des lois laïques: l’altérité des migrants belges est constituée afin de justifier la présence de missionnaires belges menacés d’expulsion… au détriment de la conception traditionnelle d’une unité religieuse transfrontalière.
«Le pari perdu d’une capitale mécréante: Paris et sa région». Pour Paris, l’étude est centrée sur l’œuvre des Flamands dans la capitale française, entre les années 1860 et la Grande Guerre. L’auteur souligne le décalage entre la réalité et ses représentations: le diocèse de Gand, misant sur la valeur affective et morale du terroir, envoie à Paris de jeunes aumôniers campagnards qui ne parviennent pas à fédérer des Belges très mobiles, dilués dans l’espace parisien, peu préoccupés de leur particularisme flamand.
«Flamands des villes, Flamands des champs: la reconversion vers le monde rural et les saisonniers»: l’immigration belge a été une composante importante du redressement agricole dans l’entre-deux-guerres. L’Église se concentre d’abord sur les frontwerkers, c’est-à-dire sur les travailleurs saisonniers. L’encadrement religieux est clairement identitaire, enraciné dans une image du fermier flamand construite ad hoc. Une stratégie vouée à l’échec puisque, très rapidement, les Flamands ne rentrent pas et se fondent rapidement dans la population française.
Entre en jeu, ici, la question de l’évaluation des tendances de l’émigration et des besoins des émigrés par ceux qui leur consacrent leur vie, leur temps, leur argent. L’ Église a considéré l’émigration comme une perte pour le pays et un danger pour des émigrants considérés comme aveuglés par l’espoir d’une vie meilleure, un pessimisme qui constitue le ressort des œuvres d’encadrement. Pour l’auteur, si les œuvres catholiques d’encadrement des migrants belges se sont muées en missions flamandes, «productrices d’altérité», c’est par nécessité fonctionnelle: il fallait – parfois contre l’évidence – justifier l’encadrement par une différence culturelle avec le pays d’accueil. L’intérêt de cette histoire pour penser le phénomène migratoire contemporain, notamment les questions liées à l’intégration et au rapport à l’autre dans un cadre national, est indiscutable.
Les œuvres flamandes ne sont parvenues qu’à la marge à faire vivre, chez les migrants, une identité flamande destinée à leur éviter de devenir comme les Français. Cet échec – le mot revient fréquemment – sera considéré côté français comme un succès, celui de l’assimilation. Reste à savoir si, de l’autre côté de la frontière, la ligne identitaire développée par les Missions flamandes dans l’entre-deux-guerres a joué un rôle dans la structuration d’une identité flamande ethno-culturelle ou, pour le dire autrement, si l’émigration de masse a joué un rôle dans la construction de l’identité belge.