Rinus Van de Velde essuie les plâtres du Frac Nantes
La Flandre est à l’honneur au Frac de Nantes qui confie l’exposition inaugurale de son nouveau lieu à l’artiste flamand Rinus Van de Velde et à Kati Heck, peintre d’origine allemande et anversoise d’adoption.
© Frac des Pays de la Loire
Laurence Gateau qui préside aux destinées du Frac, Fonds régional d’art contemporain des Pays de la Loire, en rêvait, ses vœux sont exaucés avec la création d’un nouvel espace au cœur de Nantes. Les Frac étaient nés dans les années 1980, à l’initiative de Jack Lang, alors ministre de la Culture. Dans la logique de la décentralisation et de la promotion de l’art contemporain, ils avaient pour vocation de constituer en région des collections exclusivement dédiées à des artistes vivants.
© Tim Van Laere Gallery
Né en 1982, le Frac des Pays de la Loire fait figure de pionnier lorsqu’au seuil du nouveau millénaire, il se dote d’un lieu d’exposition dont le projet architectural revient à Ludovic Blanchard, Carole Marsault et Jean-Claude Pondevie. Aujourd’hui, le Frac s’enrichit d’une nouvelle implantation au centre de Nantes.
Aux expositions dorénavant possibles en raison de la création d’espaces spécifiques dans la plupart des Frac, s’ajoute une identité qu’au fil de l’eau, chaque région s’est efforcée de définir. Aux commandes du Frac des Pays de la Loire depuis 2005, Laurence Gateau a privilégié les nouvelles générations de tous les horizons. Elle s’inscrit rapidement dans une quête de scènes artistiques qu’elle se donne pour mission de faire découvrir, enchaînant avec une infatigable curiosité visites d’ateliers, de galeries et rencontres d’artistes ou de commissaires d’exposition sur plusieurs continents. Aujourd’hui, la collection du Frac compte 91 nationalités dont la Belgique représentée entre autres par Ann Veronica Janssens, Patrick Van Caekenbergh et Jacques Charlier.
Rinus Van de Velde et Kati Heck, le duo belge
À la faveur d’un voyage à Anvers, Laurence Gateau visite les ateliers de Rinus Van de Velde (°1983) et de Kati Heck (°1979). L’idée se forge d’une amicale confrontation entre les deux Anversois encore peu connus en France. Outre le fait qu’ils sont représentés par la Tim Van Laere Gallery d’Anvers, ces deux artistes partagent le goût des techniques traditionnelles, le fusain pour Rinus et la peinture pour Kati.
© Tim Van Laere Gallery
Mais au-delà des moyens d’expression, leur langage commun se situe dans des scénarios narratifs et une forme d’autofiction dans la veine «punk-rock» pour reprendre les mots de Laurence Gateau. Doté d’une vaste culture, ancienne, Van de Velde est aussi sensible, voire influencé par David Lynch.
© Tim Van Laere Gallery
Kati Heck se nourrit de l’expressionnisme allemand de ses origines germaniques et de la Nouvelle objectivité à laquelle elle emprunte une facture lisse et acérée. Ils convoquent Max Beckmann, Otto Dix et, plus proche de nous, Jörg Immendorff, Martin Kippenberger ou Neo Rauch. Les citations du passé se retrouvent dans un maelstrom d’images et un télescopage d’époques diverses que Rinus Van de Velde revendique par le recours au noir et blanc. Enfin, chacun observe avec prédilection la figure humaine pour en sonder l’intériorité. Les deux artistes suscitent le même malaise né de la noirceur, du scepticisme et de la violence qui va jusqu’à la défiguration dans les peintures de Kati Heck. Rien de serein dans leur art de bâtir des fictions transgressives.
Les dialogues en connivence avec la collection du Frac
Laurence Gateau a toujours apprécié les regards autres, ce qui l’incite très tôt à inviter des commissaires extérieurs et, de manière plus audacieuse, des artistes. Rinus Van de Velde assume ce rôle de commissaire lorsqu’il choisit neuf œuvres de la collection du Frac pour les intégrer à son exposition.
© Tim Van Laere Gallery
Parmi eux, John M Armleder, artiste suisse qui vit aux États-Unis et qui s’adonne aussi à l’art des rhizomes, en rattachant ses propres créations à celles de ses contemporains. Là où Armleder associe dans Furniture Sculpture (1987) un bas de buffet des années 1940 à un monochrome, l’Américain Jimmie Durham (1940) hybride dans Garçon, garou, gargouille (1994) une tête d’enfant et un tuyau d’évacuation duquel celle-là émerge.
Rinus aime les rencontres incongrues voire de mauvais goût, dans la veine du surréalisme belge. Pop, funk et bad painting est cette autre tendance en laquelle se reconnaît le dessinateur quand il sélectionne Criminal being executed n° 2 (1964) du peintre américain Peter Saul (1934) dont la peinture interroge la culture américaine et l’American way of life pour en dénoncer au travers de couleurs acides le consumérisme et l’impérialisme.
© Frac des Pays de la Loire
Né en 1966 et anversois d’adoption, Armen Eloyan appartient à la même génération que Rinus et Kati. Est-ce de traverser la même contemporanéité qui l’amène à un art résolument punk proche du street art? Ses Mickey (Left Overs, 2008) quoi qu’il en soit, sont des transfuges de l’entertainment
à l’américaine, des sortes d’icônes monstrueuses à force de giclures dégoulinantes. Quel lien entre ces choix et l’esthétique de Rinus Van de Velde? Aucun, tout du moins en apparence. Pas de réalisme ou de storytelling dans cet éphémère musée imaginaire, pourtant tout est lié à une certaine «étrangeté», dixit Laurence Gateau, de celle qui a tout à voir avec l’étrange.
© Tim Van Laere Gallery
Une scénographie filmique artistiquement repensée
Rinus Van de Velde ne s’est pas contenté de puiser dans les collections du Frac, il propose une relecture du savoir à la faveur d’une scénographie pour laquelle ses dessins et les peintures de Kati Heck ont été spécialement créées. Il place au cœur du dispositif La Ruta natural, vidéo dont le titre est un palindrome annonciateur d’une mise en abyme et d’une ronde perpétuelle.
© Tim Van Laere Gallery
Sa vidéo filme la mise en scène à l’intérieur de laquelle nous nous situons. Rinus conçoit en trois dimensions de faux meubles en carton-pâte, ceux-là mêmes que le dessinateur réintroduit en deux dimensions dans ses fusains. Un lit de fer occupe une chambre où se joue la dernière scène, lieu du décor du dernier acte. Ces derniers occupent les murs qu’ils partagent avec les œuvres du Frac dans un fondu enchaîné abrupte. Où commence l’œuvre? Où prend fin la cinématographie lynchéenne? L’accrochage est une immersion dans un monde parallèle et bizarre qui ne laisse à l’œil aucun répit.