Depuis plus de trente ans, le réalisateur néerlandais arpente les routes du monde pour saisir des fragments du réel à travers ses multiples rencontres. Son travail fait l’objet d’expositions itinérantes entre Paris, Lisbonne et les Pays-Bas, où il présente son art visuel et son film Amsterdam Stories USA, coréalisé avec Rogier Van Eck. Ce road movie de six heures relie avec étrangeté et fascination l’Amérique à la capitale des Pays-Bas, sa ville natale. Belle occasion de s’entretenir avec cet archiviste de l’image, passeur de mémoire et amoureux du voyage.
Rob Rombout est de ces réalisateurs et photographes à la curiosité insatiable qui part sans cesse en quête de l’Autre. Ses films sont des portraits contemporains qui assemblent de rencontres en rencontres les images fragmentaires qui composent un pays. Il a à son actif une quinzaine de documentaires, comme Nord-Express (1990), le train qui relie Paris à Moscou, Queen Elizabeth 2, Transatlantique (1992), Amsterdam via Amsterdam (2004), Amsterdam Stories USA (2012) et Sur les traces de Robert Van Gulik (2016). Ces traversées façonnent ainsi sa culture de la route aux frontières de l’image fixe et en mouvement.
© Rob Rombout / 2024
La part fictionnelle devient pour lui un véritable catalyseur du réel. C’est ce que dévoile Amsterdam Stories USA. Ce documentaire, qui nous intéresse ici, a donné lieu à une récente exposition au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, qui se poursuivra à Lisbonne et aux Pays-Bas respectivement en septembre et en novembre 2025. Tout comme celle de On the Road, présentée à l’Atelier néerlandais, qui offrira à découvrir une sélection de photographies, de films, de conférences et d’ateliers.
Entre documentaire et fiction
«Je rêvais de faire des films qui pourraient se regarder des décennies plus tard», confie Rob Rombout. C’est exactement ce que l’on ressent à la vue de ce road-movie de six heures, scindé en quatre parties et coréalisé avec son homologue néerlandais Rogier Van Eck. D’est en ouest, du nord au sud, Amsterdam Stories USA relie quinze «small towns» américaines qui portent le nom de la capitale des Pays-Bas.
Parfait prétexte pour ces deux voyageurs de construire des archives qui dépeignent la réalité et l’imaginaire de l’Amérique profonde. Le documentaire se déroule d’abord sobrement et de manière classique, même dans son originalité d’approche. Puis peu à peu, Rob Rombout prend des libertés, déstructurant l’ensemble avec une vision plus spectrale, poétique et réflexive sur le voyage à travers tous ces microrécits de vie.
L’idée de rattacher la capitale amstellodamoise aux États d’Amérique a pris forme en 2004 alors qu’ils réalisaient Amsterdam via Amsterdam. Ce road movie partait de sa ville vers deux îles homonymes, la première en terres australes et antarctiques françaises, la seconde sur l’archipel norvégien du Spitzberg dans l’océan Arctique. «Ce film a remporté quelques prix aux États-Unis», explique-t-il. «On s’est alors aperçu qu’une quinzaine d’Amsterdam figuraient sur la carte. Et quand on tire une ligne entre toutes ces villes homonymes, on se rend compte qu’elle va de l’est à l’ouest. C’est toute l’originalité du projet.»
Huit ans plus tard, le duo fait ainsi de cette Venise du Nord un véritable «sésame» sur les routes américaines. Leur voyage démarre à New York, appelée la Nouvelle Amsterdam au XVIIe siècle par la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (WIC), avant l’arrivée des colons anglais. L’État est également connu pour sa petite municipalité du même nom, située dans le comté de Montgomery, où est né Kirk Douglas.
© Amsterdam Stories USA de Rob Rombout et Rogier Van Eck
L’histoire des colons hollandais se fait ensuite plus présente dans certaines contrées, comme Amsterdam au Montana, où les habitants ont parlé le néerlandais du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe. Mais pour la plupart, il n’en reste que le nom. Si le rêve américain a donné à certains l’espoir de tous les possibles, d’autres en revanche content une autre histoire du continent «indien». Les témoignages offrent dès lors des bifurcations multiples. De ville en ville, cet idéal se mue en perte, en désillusion, en cauchemar, en survie, puis en guérison, en renaissance…
La route de l’étrange
Chez Rob Rombout, la majorité des portraits se réalisent au fil du voyage, prenant place magnifiquement dans le programme qui allie l’imaginaire américain à Amsterdam. Le film évoque ainsi tour à tour Sur la route de Jack Kerouac, Easy Rider de Dennis Hopper, les peintures d’Edward Hopper, les photographies de Walker Evans, et même leur rencontre avec le véritable Adrian Cronauer, animateur de Good Morning Vietnam. En fil rouge, le duo de réalisateurs invite également l’écrivain américain Russell Banks pour mieux sonder le mythe de l’American dream à travers sa propre expérience du rêve à la réalité. Ces nombreuses références culturelles se rejoignent, se mêlent et se confrontent ainsi sur la route de «l’étrange» où Amsterdam dévoile ses visages inattendus.
© Exposition On the Road / Rob Rombout : Saratoga Springs, Russell Banks / Netherlands, Nieuw Amsterdam, Dilana Smith / Vietnam, Sapa, Anonymus
Dans son cinéma, ce grand homme contourne le factuel, la thématique, le rythme rapide, les effets modernes de réalisation, les dates et les chiffres pour privilégier l’intemporel. «Le road-movie est un miroir du temps. Tout comme les rencontres, limitées dans un espace-temps. C’est le paradoxe de cette intimité. Plus notre présence est courte, plus les gens se livrent facilement. J’ai toujours fait en sorte que mes interviews se déroulent dans un espace isolé. Mon engagement est égalitaire. Russell Banks a le même éclairage qu’une personne inconnue qui vit de petits boulots, comme la serveuse au Starbucks. Je veux donner une image décente à tout le monde.»
Quand on lui demande ce qui lui plaît dans la culture de la route, il répond tout aussi posément: «C’est l’élasticité du temps. Tout devient plus conscient quand on est ailleurs. J’aime explorer le temps perdu du quotidien, celui dans l’attente de quelque chose, d’un bus par exemple, et la gestion du temps de la vie, entre l’existence longue et courte. Comment tous ces moments se vivent, se ressentent et se comblent. Mes entretiens sont ainsi toujours circulaires, car les gens, dans leur limitation, donnent de la beauté.»
Entre réalisme et hybridation
À travers ces six heures, l’écriture de Rob Rombout réussit à ne jamais se ressembler, même si les dispositifs narratifs se répètent pour structurer l’ensemble. Sa mise en scène se renouvelle à chaque fois, se créant également avec le matériel qu’il trouve sur place. Il se permet d’ailleurs de belles envolées poétiques et créatives dans la dernière partie consacrée à l’ouest, s’inspirant des paysages américains picturaux des XVIIIe et XIXe siècles et de cette immensité face à la petitesse de l’être humain.
Ainsi, au fil des villes, le duo observe, les protagonistes se succèdent et les films s’échappent de leur fonction initiale. Rob Rombout nous offre une diversité de personnages et de pensées en mouvement. «On s’aperçoit quand on voyage souvent que nous sommes remplis de clichés. C’est la raison pour laquelle on a travaillé avec une équipe américaine, pour éviter les évidences et de s’enraciner dans notre vision française, hollandaise et belge.»
© Amsterdam Stories USA de Rob Rombout et Rogier Van Eck
Un sujet le fascine cependant: le concept de prédestination. «Avons-nous un chemin dédié ou doit-on le construire nous-mêmes?», s’interroge-t-il. « Cette question revient à chaque fois à travers les choix que nous faisons en nous confrontant à notre pilote automatique.»
Et si on s’interroge sur la raison pour laquelle ces deux Néerlandais s’expriment dans la langue de Molière, il répond avec humour: «Si nous avions parlé en néerlandais, le film aurait duré 12 heures. Il est bien plus étrange de regarder ces deux hommes échanger en français dans un voyage au cœur de l’Amérique profonde. C’est très libérateur de travailler et de parler en langue française. J’ai toujours procédé de cette manière.»
© Amsterdam Stories USA de Rob Rombout et Rogier Van Eck
Rêve, mélancolie, poésie, silence… Amsterdam Stories USA se présente dès lors comme un récit contemporain à la mesure de l’engagement de Rob Rombout et de Rogier Van Eck. Une œuvre à la croisée du social, du territoire, de l’expérience et de l’intime. Dans ses projets, l’homme de 71 ans reste à l’affût des découvertes. Il travaille sur son nouveau documentaire, Video Veterans, centré sur l’évolution de quatre pionniers de l’art vidéo depuis les années 1989-1990. Un voyage qui s’invite cette fois au cœur de son studio.
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