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Saint-Nicolas arrive en ville

Par Derek Blyth, traduit par Faculté de traduction de l’université de Mons
27 novembre 2024 13 min. temps de lecture Tour de Flandre

Lors d’une visite dans la ville flamande de Saint-Nicolas, Derek Blyth découvre la plus grande place du marché de Belgique, le plus gros cigare au monde et le meilleur atlas jamais imprimé.

Peu importe à qui j’ai demandé des informations sur Saint-Nicolas, j’ai obtenu la même réponse. Ils disent tous qu’elle a la plus grande place de Belgique. Et c’est à peu près ce que tout le monde sait. Voilà pourquoi la première chose que j’ai faite en descendant du train à Saint-Nicolas était de chercher son énorme place.

Elle est grande, peut-être même trop grande. En tout cas, le jour où je l’ai vue, le Grote Markt (la Grand‑Place) de 3,2 hectares était un immense espace vide. Ce qui n’était pas étonnant. La place avait été donnée à la ville en 1248 par le comte de Flandre à condition qu’elle reste un espace ouvert et que jamais rien ne puisse être construit dessus. Au grand jamais.

Plus de sept siècles plus tard, Saint-Nicolas a un problème. À cause du changement climatique, la place pavée peut devenir inconfortablement chaude lors des vagues de chaleur estivale. C’est pourquoi la ville a entrepris au printemps 2024 la rénovation de la Grand-Place. Le plan implique la plantation d’arbres et l’ajout d’un grand bassin. Même si l’on doit enfreindre des règles en vigueur depuis plus de sept siècles.

On m’a dit que le meilleur moment pour voir la place est le jour du marché. Chaque jeudi, la place accueille des dizaines d’étals qui vendent des légumes locaux, des vêtements bon marché et de la street food. Le marché attire des visiteurs des alentours du Pays de Waes depuis sa création en 1513.

Je n’ai pas pu m’y rendre un jeudi, mais il était facile de se faire une idée de l’ampleur du marché hebdomadaire grâce aux images de la webcam installée sur la tour de l’hôtel de ville. En général, la caméra montre une place vide. Avant le début des rénovations, on pouvait y voir l’entièreté de l’espace ouvert occupée par des étals et des camionnettes qui vendent de la nourriture, du poisson, des légumes et du tissu.

En ce moment, la caméra montre surtout des travaux d’une ampleur impressionnante. Impossible d’y tenir le marché hebdomadaire qui a été déplacé sur la place Hendrik Heyman. Il reprendra ses quartiers à partir de l’été 2025 sur une Grand-Place fraîchement rénovée. 

Mais il y a un moment encore mieux choisi pour cliquer sur cette webcam. Chaque année, le premier week-end du mois de septembre, la ville célèbre son Vredefeesten (Fête de la paix). Et si le vent est favorable et que la pluie n’est pas trop abondante, on peut voir des dizaines de ballons à air chaud s’envoler depuis la place.

Alors que j’étais sur la place, j’ai remarqué un panneau qui indiquait le musée de l’Histoire de la pipe et du tabac. J’avais lu sur son site web qu’il exposait le plus gros cigare du monde, ainsi que la deuxième pipe la plus longue du Benelux. Je me suis dit qu’il fallait que je voie ça, jusqu’à ce que je passe à l’Office du tourisme pour plus d’informations. «Hélas,» m’a dit la sympathique dame à la réception, «Le musée est seulement ouvert le premier et le troisième dimanche du mois.»

Ça vaut la peine de visiter l’Office du tourisme puisqu’il a déménagé en 2022 dans un tout nouveau bâtiment à côté de l’hôtel de ville. Ce bâtiment lumineux et accueillant, conçu par les architectes Robbrecht en Daem, accueille l’administration de la ville, les archives, et l’Office du tourisme. Les architectes ont créé une expérience assez originale en suspendant une série de salles d’archives au-dessus de l’Office du tourisme comme des boîtes flottantes.

Après avoir admiré la conception audacieuse, j’ai recueilli un tas de dépliants d’informations sur Saint-Nicolas, assez d’idées pour remplir une journée. Le musée Mercator était incontournable et le musée de la ville (SteM), situé juste à côté, était aussi intéressant. Ensuite, il y a le street art, l’architecture art déco et les promenades locales à vélo.

J’ai commencé par Mercator. Le musée, qui a temporairement fermé ses portes, aussi pour des travaux de rénovation, se situe dans un parc paisible avec un buste du géographe dans l’ombre de vieux arbres. Il se trouve que le musée était fascinant, muni de pièces sombres remplies de cartes historiques, de globes antiques et d’équipement scientifique. Espérons que tout cela sera encore présenté au public lors de sa réouverture prévue pour 2025.

La collection remonte aux cartes du monde de Ptolémée et de cartes médiévales déconcertantes qui ont tant bien que mal guidé les pèlerins à travers l’Europe. Cependant, l’accent est mis sur le cartographe flamand, Gerard Mercator, qui a défini la vision moderne du monde.

Appelé Gerard de Kremer à sa naissance dans la localité de Rupelmonde, un port fluvial près d’Anvers, il adopte un nom latin plus savant, Mercator. Graveur et mathématicien habile, il a conçu de magnifiques globes et créé sa première carte du monde à l’âge de 25 ans.

Sa carrière a été brutalement interrompue lorsqu’il a été accusé d’hérésie et brièvement emprisonné au château de Rupelmonde. Bouleversé par l’expérience, il fuit les Pays-Bas pour s’installer à Duisbourg, ville plus tolérante, où il passera le reste de ses jours. C’est là qu’il a créé son incroyable carte du monde.

L’objectif de Mercator était d’aider la navigation maritime le long des routes commerciales en convertissant le globe en une carte plane. La projection de Mercator, comme on l’appelait, a été utilisée pendant plus de 400 ans pour créer des cartes de navigations, des atlas scolaires, et même Google Maps.

Cependant, il y a un problème avec la carte de Mercator. Le cartographe a mis l’Allemagne au centre du monde, exagéré la taille de l’Europe et l’Amérique du Nord, et rétréci l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Certains critiques disent que cela renforce l’attitude coloniale européenne.

Le musée diffuse plusieurs vidéos qui présentent la vie de Mercator et ses accomplissements. Je les ai toutes regardées, mais je ne savais toujours pas pourquoi le musée de Mercator se trouve à Saint-Nicolas, vu qu’il n’y a apparemment jamais mis les pieds. J’ai appris par la suite que la collection avait été constituée en 1861 par le Cercle historique royal du Pays de Waes. Cet organisme couvre la région autour de Saint-Nicolas, ce qui inclut Rupelmonde, la ville natale de Mercator. Le musée a commencé avec une collection modeste dans une pièce, mais il a été agrandi en 1994 pour marquer le 400e anniversaire de la mort de Mercator.

J’ai quitté le musée avec une idée en tête. J’ai lu que Saint-Nicolas avait un grand nombre de bâtiments dans le style art déco des années 1920. Nombre d’entre eux se trouvent dans le quartier Elisabeth, un quartier de maisons mitoyennes proches de la gare. Les maisons sont décorées de balcons profilés, de hublots et d’autres touches modernes qui leur donnent un aspect rétro ou un revêtement luxueux.

L’écrivain flamand Tom Lanoye a grandi dans un quartier assez aisé sur lequel il a écrit dans ses premières œuvres de fiction. Il s’est décrit comme ‘Een slagerszoon met een brilletje’ ­­­– le fils d’un boucher à lunettes. La ville a mis des panneaux dans les anciens quartiers de Lanoye avec des citations de Sprakeloos (La langue de ma mère), un roman inspiré de sa jeunesse à Saint-Nicolas.

Vous pouvez acheter les livres de Lanoye à la librairie ’t Oneindige Verhaal ou rencontrer par hasard l’écrivain lors d’une séance d’autographes. Il écrit avec tendresse sur cette librairie littéraire traditionnelle avec deux étages de fiction, de livres sur la philosophie et de livres d’art. Bien entendu, la majorité des livres sont en néerlandais.

Le groupe Hooverphonic a aussi ses origines à Saint-Nicolas. Deux des trois membres fondateurs y ont grandi. Formé en 1995, Hooverphonic a acquis une réputation internationale lorsque leurs morceaux sont apparus dans des films comme I know What You Did Last Summer et Stealing Beauty. Ils sont aussi à l’origine du générique du championnat d’Europe de football de 2000 et ont représenté la Belgique (sans succès) à l’Eurovision 2021.

Alors que je me promenais dans ses rues, je me suis rendu compte que Saint-Nicolas était différente des autres villes flamandes. Elle n’a pas autant de bâtiments de style gothique ou baroque. L’hôtel de ville sur la Grand-Place a beau avoir un air gothique, sa construction ne date que de 1876. Dans l’ensemble, Saint-Nicolas semble assez moderne pour une ville fondée en 1217.

J’ai fini par découvrir pourquoi. En 1690, un incendie s’est propagé dans une distillerie de gin. Au moment où l’incendie a finalement été éteint, la majeure partie de la vieille ville avait été réduite en cendres. Le point positif, c’est que la ville possède un riche héritage architectural des XVIIIe et XIXe siècles.

N’oublions pas ses bâtiments au style art déco. Cela ne se limite pas aux maisons, je suis tombé sur une poignée de magasins dont l’intérieur n’a pas changé depuis les années 1920. Prenons la vieille pharmacie De Walvis dans la Ankerstraat. On a l’impression qu’elle n’a pas changé depuis son ouverture durant l’été de 1919. Le magasin à la façade rouge distinctive a fermé en 2007, mais tout a été conservé, de la vitrine aux rangées de tiroirs verts à l’intérieur du magasin. On peut même apercevoir les anciennes publicités qui se décollent lentement des murs.

De l’autre côté de la rue, la vitrine d’une vieille boucherie porte encore le nom de son ancien propriétaire, Frans Metdepenningen. Cette boutique a également fermé ses portes il y a un bon moment, mais son intérieur authentique est bien préservé. Ce dernier a récemment été utilisé pour tourner une scène de Wil, version cinématographique du roman Trouble de Jeroen Olyslaegers sur la Seconde Guerre mondiale. En scrutant l’intérieur, j’ai pu constater qu’il n’aurait pas fallu beaucoup de travail pour recréer l’intérieur d’une boucherie pendant l’occupation allemande.

Toutefois, on peut aussi trouver de nouveaux commerces inspirants. Le concept store Perron 47 (Stationsstraat au numéro 47) est un endroit où l’on peut trouver de la verrerie de bon goût, des gadgets et de l’art moderne. Dans la même rue, Perron 87 (au numéro 87) propose principalement des vêtements et des accessoires pour hommes.

Le magasin de mode Pêche est tout autant intéressant. Il vend des vêtements et accessoires pour femmes dans une belle maison historique près du Grote Markt. Le magnifique intérieur conçu par Sophie Peelman, avec son mélange de meubles blancs, de miroirs antiques, et de tissus doux, vaut le détour.

Une entreprise locale fondée dans les années 1920 fait toujours fureur. La Cremerie François sert des coupes glacées depuis son ouverture en 1928. Elle fait sa propre version crémeuse en suivant une recette secrète qui utilise du lait de la région. Leur boutique est un endroit moderne et lumineux décoré de néons et de photographies rétro prises dans les rues de Sint-Niklaas dans les années 1920.

De l’autre côté de la rue, Nick Wauters vend des chocolats belges artisanaux depuis 2006. Il confectionne ses créations uniques dans un atelier datant des années 1980, à partir d’ingrédients tels que le massepain, la liqueur d’œuf et la crème. Vous pouvez réserver une visite de l’atelier pour découvrir comment il mélange les saveurs et crée des conceptions inhabituelles.

La ville a récemment élaboré un plan pour raviver son quartier commerçant du centre-ville. Dans cette optique, la Stationsstraat a déjà effectué quelques changements comme la réduction du trafic, l’ajout de verdure et la mise en place de guirlandes lumineuses dans les arbres. Une organisation privée a rehaussé l’ambiance urbaine en implantant une quarantaine de sculptures contemporaines le long des rues principales. La ville a également lancé un parcours de street art qui comprend plus de 30 œuvres dispersées à travers la ville.

On peut y retrouver trois créations monumentales de l’artiste de rue gantois ROA, artiste anonyme connu pour ses fresques animalières peintes sur les murs du monde entier. Il a réalisé une de ses plus anciennes œuvres à Sint-Niklaas à côté de la bibliothèque publique et une autre sur une place cachée près du Grote Markt. Sa dernière conception, achevée en 2022, a transformé le mur arrière hideux d’un centre sportif situé près de la gare. Cette œuvre gigantesque présente quatre animaux endormis sur des composantes en béton du bâtiment.

J’avais encore une question avant de quitter Sint-Niklaas. Comment se fait-il que la ville porte le nom de saint Nicolas, originaire de Myre, quelque part en Turquie, et qui a été évêque de Bari, en Italie. À l’instar de Mercator, le saint n’a jamais mis un pied à Saint-Nicolas. La réponse peut être trouvée au sein du trésor de l’église du XIIIe siècle, Sint-Niklaaskerk (l’église de saint Nicolas). On y trouve un buste d’argent du saint gravé des mots Reliquiae S. Nicolai, reliques de saint Nicolas.

Saint Nicolas est, comme la plupart des gens le savent, le saint patron des enfants, mais aussi le patron des marins, des brasseurs, et des marchands. En Flandre, on l’appelle Sinterklaas, ou De Sint, l’évêque qui arrive par bateau d’Espagne avec des cadeaux pour tous les enfants sages.

La ville de Saint-Nicolas a célébré ce lien en plaçant une statue moderne du saint à l’extérieur de l’hôtel de ville. Chaque année, De Salons, une maison monumentale qui a appartenu à un baron du textile, est transformée en Het Huis van De Sint (la maison de saint Nicolas). Les enfants peuvent visiter la chambre à coucher, le salon, la cuisine et la salle de bain du saint. L’année prochaine, il est prévu que saint Nicolas déménage dans het Castrohof, De Salons ayant besoin d’être rénové de fond en comble. 

Parallèlement, les boulangers locaux proposent des biscuits spéculoos spéciaux de Sinterklaas avec une image de saint Nicolas imprimée dessus. En y regardant de plus près, on voit que le saint est représenté arrivant en montgolfière.

J’ai terminé la journée au musée municipal SteM Zwijgershoek, qui occupe en partie une ancienne usine textile. Le musée organise des expositions temporaires sur des thèmes tels que la réalité virtuelle et l’astronomie ou encore sur la mode. Il comprend également une série de salles obscures et désertes remplies d’une intrigante collection d’objets provenant des réserves du musée.

Les commissaires d’exposition ont mis sur pied une exposition enchanteresse d’objets divers qui ont pris la poussière au fil des décennies. J’ai particulièrement apprécié une vaste collection de matériel de coiffure antique, notamment des appareils électriques étranges et plutôt sinistres datant des années 1920 qui étaient utilisés pour donner aux dames de la région une ondulation permanente à la Hollywood.

La collection de matériel de coiffure comporte également un étalage effrayant de têtes à coiffer, un arsenal d’affiches publicitaires rétro et une rangée de sèche-cheveux. D’anciennes publicités consacrées à la beauté féminine ajoutent au charme d’époque de la collection. «Pour engraisser et avoir buste parfait et formes opulentes, prenez la Helba», affirme une affiche s’adressant aux femmes de l’époque.

Ça devient encore plus étrange dans une pièce annexe où l’on peut regarder des curiosités antiques et monter sur une plate-forme pour s’approcher d’une collection de tableaux. Rien n’est étiqueté, il est donc impossible de connaître l’identité de ces hommes aux magnifiques moustaches et de ces femmes aux «formes opulentes».

Ce lieu me réservait encore une surprise. Une porte mène à une immense usine avec des rangées de vieilles machines à tricoter. La plupart d’entre elles sont encore en état de marche. On en apprend ici sur l’industrie textile qui a connu un grand essor à Saint-Nicolas dans les années suivant la Première Guerre mondiale. Toutefois, l’industrie a connu des temps difficiles dans les années 1970. Finalement, elle a disparu, ne laissant derrière elle que cette salle de métiers à tisser silencieux.

Je ne sais pas trop pourquoi, mais cet étrange musée me semblait être l’endroit idéal pour terminer une visite de Saint-Nicolas. Comme la ville qu’il reflète, le musée est un endroit incertain, pas complètement formé, mais riche et intéressant.

Peut-être que Tom Lanoye est la personne la mieux placée pour saisir l’essentiel de la ville où il a grandi. «Groots van markt, hart en gehakt», c’est ainsi qu’il l’a qualifiée dans un poème de 2019 sur la ville. On pourrait traduire cette qualification par : «Gros marché, gros cœur et une grosse portion de viande hachée».

Site web de Saint-Nicolas (Sint-Niklaas)

Derek Blyth

Derek Blyth

journaliste

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