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langue, société

Sam écrit, Saskia fait du shopping. Les stéréotypes de genre et autres dans les manuels de néerlandais pour nouveaux arrivants

Par Dietha Koster, traduit par Marieke Van Acker, Arthur Chimkovitch
9 mars 2022 13 min. temps de lecture

D’après des organisations de politique publique comme l’UNESCO, le matériel pédagogique doit refléter la diversité sociale. Cela concerne également les manuels destinés aux nouveaux arrivants en Flandre et aux Pays-Bas. Quelle image ces personnes perçoivent-elles des cultures néerlandophones dans leurs manuels? Ceux-ci reflètent-ils les évolutions sociales sur le plan de la diversité de genre et ethnique? Dietha Koster (université de Münster) partage les principales conclusions de ses recherches.

Même si les matériaux didactiques numériques sont de plus en plus présents en classe, le manuel traditionnel reste un outil pédagogique dominant. Tel est aussi le cas pour les nouveaux arrivants en Flandre et aux Pays-Bas. Les livres destinés à ce groupe de personnes sont réalisés depuis les années 1970 et ont pour but de les renseigner sur les cultures néerlandophones. Pour les nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes, ce matériel pédagogique est souvent leur première rencontre avec les sociétés qu’ils et elles s’apprêtent à intégrer. Généralement, les manuels contiennent de nombreux textes et images montrant des femmes et des hommes dans des rôles spécifiques.

Aux Pays-Bas et en Flandre, les rôles de genre ont évolué au fil du temps. (Par genre, nous entendons les comportements sur la base desquels nous classons les gens comme étant femmes, hommes ou autres). Selon le Bureau central des statistiques (CBS), les femmes néerlandaises, par exemple, se sont mises à travailler davantage à l’extérieur, même dans des professions autrefois exclusivement masculines. Chez les hommes, en revanche, on observe une tendance à réduire la charge de travail et à assumer davantage de tâches ménagères et d’activités familiales. En outre, les femmes et hommes de couleur et les personnes ayant des identités et des sexualités non binaires ont gagné en visibilité dans les débats sociaux. Dans quelle mesure les représentations des personnes dans les manuels scolaires reflètent-elles ces évolutions?

D'infirmière à ingénieure?

Préparer les nouveaux et nouvelles arrivant·es au marché du travail aux Pays-Bas ou en Flandre est souvent l’un des principaux objectifs de l’enseignement qui leur est procuré. En conséquence, presque tous les manuels pour nouveaux arrivants contiennent un chapitre ou une section portant sur le travail et les professions. Du point de vue de la diversité, les personnes fraîchement arrivées ayant différentes identités de genre, il est souhaitable de proposer dans le matériel d’apprentissage des opportunités de carrière variées. Si les manuels rendent justice à la diversité, cela augmente les chances que les apprenants se reconnaissent dans les modèles proposés et qu’ils participent mieux au cours. L’UNESCO suggère ainsi que chaque nom de profession au masculin soit accompagné de son pendant au féminin.

dans ces manuels, la visibilité des femmes en tant que professionnelles est inférieure à celle des hommes

Nos recherches montrent cependant que dans les manuels destinés aux nouveaux et nouvelles arrivant·es, la visibilité des femmes en tant que professionnelles est inférieure à celle des hommes. Par exemple, les noms de professions au féminin (comme «infirmière») apparaissent deux fois moins souvent dans les textes que les noms de profession au masculin (comme «policier»). Cela vaut aussi bien pour les manuels plus anciens (1974-2009) que pour les plus récents (2010-2017). Les femmes sont moins visibles aussi parce que les noms de profession qui sont neutres en termes de genre font plus souvent référence à des hommes. Cela s’observe par exemple dans des phrases telles que: L’imprésario travaille dans son bureau. Il est occupé.

On observe en outre que dans l’agencement des phrases, les hommes figurent beaucoup plus souvent en première position. À titre de comparaison: Harry et Anna travaillent versus Anna et Harry travaillent. De plus, les femmes sont décrites en évoluant dans des professions peu prestigieuses et stéréotypées du point de vue du genre. Les nouveaux arrivants voient apparaître dans leurs manuels de nombreuses secrétaires, infirmières et vendeuses, mais peu ou pas de femmes directrices, présidentes ou ingénieures. Ils ne voient pas non plus de femmes dans des métiers traditionnellement occupés par les hommes, comme ceux d’ouvrier du bâtiment ou d’ouvrier routier. S’il est vrai que les hommes apparaissent quelquefois, eux aussi, dans des professions peu prestigieuses, il s’agit dans ce cas de professions moins stéréotypées du point de vue du genre, comme celles de chauffeur ou de coiffeur.

Du point de vue de la diversité, ces résultats laissent donc beaucoup à désirer. On note aussi fort peu d’évolution dans le temps. Afin de respecter les directives relatives à la diversité, les femmes actives devraient être présentées de manière plus visible et dans des rôles plus variés.

Les manuels conçus pour les nouveaux et nouvelles arrivant.es contiennent des dialogues où les apprenant·es sont invité·es à jouer des rôles et à prononcer des textes. Dans une certaine mesure, de tels dialogues forcent les apprenant·es à se projeter dans une représentation modèle de la réalité. Notre recherche montre que, de manière générale, la part de parole qui revient aux hommes est légèrement supérieure à celle qui revient aux femmes dans ces dialogues.

Nous avons examiné de quelle manière, dans ces dialogues, des sujets tels que l’amitié, la maladie, l’apparence physique et des thèmes tels que la criminalité, la politique, l’identité nationale et la réussite (financière) sont répartis entre les sexes. Des recherches antérieures ont montré que les premiers thèmes sont les plus présents chez des femmes, tandis que les derniers sont principalement abordés par des hommes. Des résultats actuels, il ressort que les femmes sont plus susceptibles d’aborder des thèmes féminins que masculins, tandis que les hommes se voient attribuer les deux thèmes. Tel était le cas aussi bien dans les manuels anciens que dans les manuels récents. Les femmes sont souvent associées au fait de ne pas être qualifiées ou compétentes, alors que rien de tel n’est relevé lorsqu’il s’agit d’hommes. Voici, à titre d’exemple, le dialogue suivant intitulé «Even lachen» (Rions un peu), pris dans un manuel datant de 1974:

Interviewer: Om kort te gaan, u kunt niet typen, u kent geen stenografie, u hebt nooit boekhouding gedaan, van handelscorrespondentie hebt u niet het minste benul. Maar juffrouw, waarvoor meldt u zich dan aan? Juffrouw: Voor de overuren.

L’intervieweur: Bref, vous ne savez pas taper, vous ne connaissez pas la sténographie, vous n’avez jamais fait de comptabilité, vous n’avez pas la moindre connaissance en correspondance commerciale. Mais, Mademoiselle, pourquoi vous présentez-vous alors? La demoiselle: Pour les heures sup.

Même si les manuels les plus récents ne proposent plus de tels échanges, ils peuvent certainement faire mieux en matière de diversité de genre. Les parts de conversation doivent être réparties de manière égale; les femmes doivent pouvoir parler de sujets plus variés et si on les associe à une forme d’incompétence, il devrait en aller de même pour les hommes.

Maman rit, papa est de mauvais poil

Les manuels destinés aux nouveaux et nouvelles arrivant·es comprennent la plupart du temps aussi un chapitre portant sur les relations familiales. Les apprenant·es y découvrent des outils pour parler de leur propre famille et de celle des autres. La composition familiale peut de nos jours varier, de la famille nucléaire traditionnelle aux familles homoparentales, en passant par les familles monoparentales et les familles recomposées. Dans nos recherches sur ce thème, nous avons à nouveau prêté attention aux rôles dans lesquels apparaissent les hommes et les femmes et aux identités sexuelles des personnes apparaissant dans les manuels scolaires.

ces manuels montrent de nombreuses familles nucléaires composées d’une mère et d’un père hétérosexuels et de deux enfants

Il s’est avéré que ces manuels montrent de nombreuses familles nucléaires composées d’une mère et d’un père hétérosexuels et de deux enfants. L’hétérosexualité se déduit par exemple d’images où l’on voit des femmes et des hommes s’embrasser, ou d’arbres généalogiques faisant l’inventaire de mariages hétérosexuels. En outre, l’hétérosexualité se déduit aussi des textes. Par exemple dans des phrases comme: «Belgin is enkele jaren geleden getrouwd met een Nederlandse man» (Belgin a épousé un Néerlandais il y a quelques années) ou «Marie: “Ik zoek nog naar de ideale man.”» (Marie: «Je cherche toujours l’homme idéal.») Nulle trace, au sein de ces chapitres, de personnes ayant clairement d’autres identités sexuelles.

Seul le manuel intitulé Welkom in de klas! (Bienvenue dans la classe!, 2018) montre explicitement un couple lesbien. Une photo de ce couple figure à côté de celles de deux autres familles et sert de documentation pour l’exercice suivant: observez les photos et décrivez les familles. Il faut ajouter à cela que depuis 2001, il est suggéré dans les instructions pour les enseignants d’organiser une discussion portant sur le mariage homosexuel aux Pays-Bas. Mais le couple formé de deux femmes, contrairement aux personnages hétérosexuels, n’occupe pas une place centrale dans le chapitre ou dans le livre.

Les photos et les dessins représentent des femmes et des hommes dans des activités stéréotypées. Seules les femmes sont représentées en train d’acheter des vêtements, de se faire l’accolade ou de humer des fleurs. Des activités réservées aux hommes sont: écrire, faire du sport ou montrer des voitures. Il est frappant aussi que les photos montrent des hommes prenant des femmes par l’épaule ou par la taille, mais pas l’inverse. De telles images peuvent contribuer à renforcer les stéréotypes de la femme passive et de l’homme actif. Sur les images proposées, les femmes comme les hommes regardent dans toutes les directions ou peuvent, dans quelques cas, avoir les yeux fermés. Dans les livres plus anciens, le regard droit dans l’objectif est principalement le fait d’hommes, alors que les livres publiés plus récemment montrent également des femmes affichant un tel regard plein d’assurance. Les pères sont souvent montrés distants, à la fois physiquement et émotionnellement, par leur position (loin des enfants) et par leurs expressions faciales, sans émotion, ou comme un père grincheux. Les mères, elles, sont représentées souriantes et câlinant des bébés.

En termes de diversité, il est souhaitable de montrer et de citer plus d’identités sexuelles différentes et de leur accorder une place plus centrale dans les manuels. En outre, il est recommandé de ne pas toujours représenter les femmes comme étant passives et émotives et les hommes comme étant actifs et rationnels, ce que souligne d’ailleurs aussi l’UNESCO. Inclure des exemples d’activités et de comportements moins stéréotypés peut créer plus d’équilibre.

Peu de couleur

La diversité des genres n’est pas la seule à importer. Selon l’UNESCO, les manuels scolaires devraient montrer des personnes de couleur ainsi que des personnes blanches. Les nouveaux et nouvelles arrivant.es en Flandre et aux Pays-Bas sont souvent des personnes de couleur, et de voir représentés dans leur matériel pédagogique des femmes et des hommes de couleur dans des rôles divers peut leur être profitable.

Dans une étude examinant le traitement du genre et de l’origine ethnique dans six manuels récemment publiés et largement utilisés pour les nouveaux et nouvelles arrivant.es, on constate que la diversité y est fort peu présente. Par origine ethnique, nous entendons la présumée ascendance commune d’un groupe de personnes. Outre des facteurs tels que la nationalité, la religion et la langue, la couleur de la peau peut contribuer à la formation de groupes ethniques. Sur les 806 personnes représentées dans les manuels, 233 (28,9 %) sont de couleur. Les personnages de couleur apparaissaient principalement dans un seul manuel, celui qui s’intitule Contact et qui a été publié en 2019. Si l’on écarte Contact de l’analyse, le taux de personnes de couleur se réduit à 26 sur 605 (4,3 %). Les hommes blancs sont le plus souvent représentés (336), suivis d’abord des femmes blanches (269), puis des hommes de couleur (14). Les femmes de couleur (12) figurent à la dernière place.

Dans les textes qui accompagnent les images représentant des personnes de couleur, leur appartenance ethnique n’est généralement pas abordée. Si tel est le cas, l’on remarque que ces personnes ou personnages sont caractérisés comme étant «différents», par exemple en précisant qu’ils ou elles ne sont pas de nationalité néerlandaise ou belge. De plus, pour les personnes de couleur, il arrive que leurs cheveux et leur peau noirs ainsi que leurs vêtements non occidentaux soient cités ou problématisés (comme c’est le cas pour l’image représentée ici: un exercice de discussion portant sur le voile, issu de Routledge Intensive Dutch, 2006), alors que cela ne se produit pas pour les personnages de peau blanche.

Notre étude montre également que les personnes de couleur sont décrites dans un nombre restreint de rôles: touriste, étudiant, cuisinier, serveur, migrant, pauvre, demandeur d’asile, demandeur d’emploi ou bénéficiaire d’une aide au développement. Nous voyons peu ou pas de personnes de couleur évoluer dans des rôles de pilote, médecin ou professeur, par exemple.

Nationalité et variation linguistique

Lorsque l’on s’intéresse plus spécifiquement à la nationalité, il est frappant de constater que les Pays-Bas, la nationalité néerlandaise et les villes néerlandaises (Utrecht, Amsterdam, Houten) sont omniprésents dans les manuels. La Belgique, la nationalité belge et les villes belges sont rarement citées, sauf dans le manuel flamand examiné. Absents sont aussi les autres pays ou régions où le néerlandais est une/la langue officielle, comme le Suriname, Curaçao, Aruba ou Sint Maarten (Saint-Martin). L’Indonésie est la seule ancienne colonie qui apparaît occasionnellement dans les textes. En général, les nationalités européennes apparaissent plus souvent que les identités non européennes. En termes de nationalité, à l’exception à nouveau du manuel Contact (2019), l’on observe donc une tendance à peu de diversité et à une prédominance néerlandaise et eurocentrique.

Nous avons également examiné les dialogues sur ce plan. Ceux-ci sont principalement peuplés de Sam, Harry, Jasper, Saskia, Tina et Edith. De plus, il n’y a pas de diversité dans les enregistrements audio: presque tous les personnages parlent le néerlandais standard. Même s’il est indiqué que les personnages ne sont pas originaires des Pays-Bas ou de Flandre, mais par exemple d’Autriche, d’Allemagne ou d’Italie, ou si les personnages sont de couleur, ils parlent le néerlandais standard. Seules deux femmes, parmi les 453 personnages, parlent soit le néerlandais de Flandre, soit le néerlandais avec un accent italien.

Les personnages marqués comme étant «différents» semblent surtout intervenir lorsqu’il s’agit d’enseigner aux nouveaux et nouvelles arrivant.es des phrases qui les placent dans une position de dépendance. Il s’agit de phrases telles que «Pouvez-vous répéter cela?» ou «Je ne comprends pas, qu’est-ce que vous voulez dire?».

Un ensemble plus diversifié de dialogues leur permettrait d’entendre des variantes du néerlandais standard. De plus, il est souhaitable que les personnages désignés comme étant «différents» illustrent différents actes linguistiques: non seulement celui de questionner, mais aussi celui de guider, par exemple.

La diversité: mode d’emploi

Les conclusions? Les manuels pour nouveaux et nouvelles arrivant.es ont du retard en matière de diversité. Les rôles de genre n’y ont pas suffisamment évolué et ils sont très loin de montrer de possibles réalités futures, marquées par une diversité plus grande encore en matière de genres et d’ethnies. Bien au contraire: les manuels reproduisent les stéréotypes de genre. De plus, dans ces manuels, à une exception près, peu de personnes de couleur ou ayant une identité sexuelle différente y figurent, voire aucune. Enfin, il est frappant de constater que si ces personnes apparaissent, elles se voient confier un nombre limité de rôles et elles y sont considérées comme «différentes».

Il y a donc du pain sur la planche avant de pouvoir répondre aux directives concernant la diversité telles que celles de l'UNESCO

Il y a donc du pain sur la planche pour les personnes faisant de la recherche, éditant les ouvrages, rédigeant les manuels et enseignant ces matériaux afin d’adapter les manuels (et les autres ressources d’apprentissage) aux directives concernant la diversité telles que celles de l’UNESCO. Les chercheurs et chercheuses ont pour tâche de mettre à nu les inégalités et de les communiquer aux personnes qui produisent et utilisent les matériaux d’apprentissage. Les éditeurs et éditrices et les auteurs et autrices peuvent réviser leurs nouvelles publications afin de rompre avec la reproduction de stéréotypes. Dans la mesure où ils et elles ne l’ont pas encore fait, les enseignant·es aux Pays-Bas, en Flandre et ailleurs peuvent s’informer, pour mieux détecter la présence ou le manque de diversité dans les manuels et le matériel pédagogique. Ils et elles peuvent ensuite compléter un chapitre de manuel comportant de nombreuses familles nucléaires traditionnelles en discutant, par exemple, d’un article de journal portant sur les familles homoparentales. Ou ils et elles peuvent faire appel aux personnes nouvelles arrivées elles-mêmes pour aborder la question de la diversité.

Au lieu d'un enseignement basé sur des structures nationalistes et patriarcales traditionnelles, il faudrait un enseignement qui, par principe, se conçoive à partir de ces nouveaux et nouvelles arrivant·es

Les nouveaux et nouvelles arrivant·es sont en effet peut-être la ressource la plus précieuse pour développer bon nombre de thèmes d’enseignement. Les classes qui leur sont destinées sont composées de personnes venant de différents horizons professionnels et familiaux, de nombreuses (doubles) nationalités, d’origines migratoires et de différentes identités ethniques et de genre. Au lieu d’un enseignement basé sur des structures nationalistes et patriarcales traditionnelles, il faudrait un enseignement qui, par principe, se conçoive à partir de ces nouveaux et nouvelles arrivant·es. Elle est là, la voie vers un (matériel d’) enseignement de haute qualité, faisant la part belle à la diversité. Avec des Vladimir et des Sam faisant du shopping et des Leila et des Saskia qui écrivent.

Dietha koster

Dietha Koster

enseignante et chercheuse en linguistique à l'université de Münster

Photo : ©INP

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