Sarah de Koning – Le plomb fait perdre la tête, mrs. hamilton
Dix-huit jeunes écrivain·es de Flandre et des Pays-Bas donnent la parole à un objet du XIXe siècle exposé au Rijksmuseum. Ils et elles ont écrit une histoire en se posant la question suivante: que voit-on lorsqu’on regarde ces objets dans la perspective d’une catastrophe imminente? Avec Sarah de Koning, nous nous intéressons à la peinture blanche sur le Portrait d’Alida Christina Assink
de Jan Adam Kruseman. «une femme a l’habitude de porter/de lentes morts dans son corps.»
© Collection Rijksmuseum, Amsterdam
Le plomb fait perdre la tête, mrs. hamilton
la mort s’est insinuée quand tu vivais encore
là est la beauté d’une mort nuageuse
que l’on voit arriver le brouillard par un matin brumeux
lent et le doigt blanc
melville décrivait ce blanc de plomb
comme plus troublant encore que du rouge sanglant
mais ici c’est la robe blanche de dentelle aux fuseaux brillante comme du marbre
ici la page est comme la blanche morsure
d’une abeille dans la toile
alice hamilton avertissait
voilà un sujet entaché de sentimentalité féminine
alors je cherche les faits concrets et j’écris : dans les usines
les femmes intoxiquées au plomb avaient
plus de risques de stérilité
plus de risques de fausses couches et d’accoucher d’enfants mort-nés
hamilton disait si elles portaient des enfants vivants
ceux-ci mourraient plus souvent
mais une femme a l’habitude de porter
de lentes morts dans son corps et des esprits dans sa bouche
il n’y a pas de femme qui ne porte la voix d’une précédente
sur la langue il n’y a pas de voix qui ne soit fourchue
que vois-tu ? nuée de mouettes cumulus rustique
et comment croît l’écroulement?
contamination générationnelle
s’attarder longuement sur les dents bordées de bleu
d’une gestation veinée bouger lentement
sous le poids et les complications des contractions
poser un silence calme sur une pierre et frapper
jusqu’à ce qu’elle soit tendre être patient
poison à longue persistance dans l’environnement
c’est l’arme d’une femme
porte-le dans ta poitrine aucun signe de cela ici
pas de présage de saignement pas de symptômes
imagine un paysage pâle où tout
est poreux représente-toi des racines aspirant du lait
pense à la façon dont ce lait se faufile dans des boyaux et pense au fil
dans la toile essaie d’endurcir cette image à l’extrême
si ça ne marche pas crie plus fort et pense
ensuite coiffe nuptiale bouton de jasmin pense nacre pense bois de bouleau