La Wallonie a deux voisins néerlandophones aux statuts bien distincts. L’un est un pays, les Pays-Bas, avec qui elle partage trente kilomètres de frontière. L’autre, la région voisine de la Flandre, dont la Wallonie est séparée par une frontière linguistique de quatre cent trois kilomètres. Quelles relations la Wallonie et ses voisins néerlandophones entretiennent-ils? Hendrik Tratsaert, rédacteur en chef de Septentrion et les plats pays jette un regard sur le dossier Entre voisins.
Quels sont les rapports entre la Wallonie et le monde néerlandophone, Flandre et Pays-Bas confondus? Cette question est à l’origine de notre dossier Entre voisins dans lequel nous faisons un tour d’horizon des domaines où le rapprochement est réel et de ceux où il est souhaitable.
La façon dont Wallons et néerlandophones se comportent les uns vis-à-vis des autres est une chose que l’on ne peut comprendre sans connaître la structure compliquée de l’État belge et sans tenir compte de l’affirmation identitaire de plus en plus développée des deux côtés de la frontière linguistique. Dans l’article d’ouverture, François Brabant expose clairement comment la Belgique en est arrivée au stade avancé de fédéralisation qui est le sien aujourd’hui.
François Brabant explique la montée soudaine du régionalisme wallon au début des années 1960, lorsque la prospérité s’est déplacée des bassins industriels wallons vers la Flandre et que, dans le même temps, la Belgique de papa a cessé de pouvoir compter sur les richesses coloniales (volées). Les réformes successives de l’État ont accordé aux deux communautés une autodétermination partielle et une identité accrue, mais les ont aussi éloignées l’une de l’autre. Il n’y a pas image plus parlante que celle du dentifrice qui, une fois sorti de son tube, n’y rentre plus. Les revendications des régionalistes du nord et du sud se sont rencontrées, certes, mais pas sans peine.
Heureusement, ces dernières années, les chicaneries communautaires se sont un peu apaisées et les rapports se sont assouplis. C’est ainsi qu’un accord culturel entre Flandre et Wallonie a enfin pris corps. Mais les deux exécutifs demeurent très regardants lorsqu’il s’agit de délier les cordons de la bourse pour des projets communs à mettre en œuvre de part et d’autre de la frontière linguistique. Un exemple réussi de good practice est à saluer dans le domaine du sport, plus précisément en cyclisme: la constitution d’équipes «mixtes» à un haut niveau est une belle illustration de l’existence d’un ADN partagé par tous les Belges.
Parlons littérature et demandons-nous qui franchit la frontière linguistique et comment cela se passe. Pour des écrivains flamands comme Bart Van Loo, Tom Lanoye ou David Van Reybrouck, le succès est réel. Si on ne peut que reconnaître la qualité littéraire intrinsèque de leurs publications, il faut aussi souligner la façon dont Flanders Literature gère les traductions. Ajoutons à cela que ces auteurs pratiquent la langue de Molière. En revanche, ainsi que le font justement remarquer Clara Folie, Ewoud Goethals et Timothy Sirjacobs, la politique de la Fédération Wallonie-Bruxelles en matière de traductions engendre une «blocage constitutionnel» préjudiciable à ses propres auteurs francophones.
Quelques articles du présent numéro font résolument l’éloge de la Wallonie pour son sens de la convivialité. L’auteur de théâtre Ahilan Ratnamohan, qui a des racines en Australie et au Sri Lanka, trouve rafraîchissant son passage en Wallonie quand il établit une comparaison avec la Flandre.
«Terre d’accueil», proclament des panneaux qui bordent les autoroutes wallonnes. Ce n’est pas de la forfanterie. L’Ardenne a été (et est) une source d’inspiration qui a amené maints écrivains néerlandais à se consacrer à la littérature. Stefan Van den Bossche signe un passionnant aperçu dans lequel il s’attache à quelques-uns d’entre eux. Je suis tenté d’y ajouter un Flamand, le grand poète d’avant-garde Paul Van Ostaijen, qui, en 1928, a passé les derniers mois de sa vie au sanatorium de Miavoye. Sans oublier les grands auteurs français Paul Verlaine et Guillaume Apollinaire: que ces derniers aient fait de l’Ardenne leur terre d’élection ne peut pas être l’effet du hasard.
Une des clefs de la bonne entente est la connaissance de la langue du voisin. En Flandre, le français est depuis toujours une matière obligatoire à partir de la quatrième primaire. La réciproque n’est pas vraie en Wallonie. Lorsque, participant il y a vingt ans à un atelier de traduction, je me suis penché sur le texte de théâtre L’homme qui avait le soleil dans sa poche, l’auteur wallon bien connu Jean Louvet m’a raconté qu’il avait appris le néerlandais en classe, avec la lecture de l’écrivain flamand Gerard Walschap (1898-1989). Cela devait être dans les années 1940 – début 1950. Que s’est-il passé depuis lors? Récemment, dans une interview, un flamboyant président de parti wallon présentait ses excuses parce qu’il n’avait pas eu de cours de néerlandais à l’école. Mais des projets concrets visent à rendre le néerlandais obligatoire en Wallonie à partir de l’année scolaire 2027-2028.
On ne peut pas dire que la communication fasse défaut entre Wallons et Flamands et entre Wallons et Néerlandais. Mais sur le plan institutionnel, les échanges restent pour l’instant assez limités. Les rapprochements, comme toujours, se situent principalement entre individus et entre organismes. Les contacts se nouent de plus en plus aisément et de manière très naturelle. Ricus van der Kwast, Néerlandais vivant depuis longtemps en Wallonie, a trouvé les mots pour l’exprimer. Ce qu’il écrit sur les vieux camarades d’école que sont pour lui les Wallons et les Néerlandais vaut également pour les Wallons et les Flamands: «les retrouvailles sont maladroites, on se sent mal à l’aise, tant de choses ont changé. Mais le lien est toujours présent et ils décident de se revoir.»