Stijn Alsteens à la tête de la Fondation Custodia: un retour aux origines de la collection Frits Lugt
Stijn Alsteens devient le locataire de la Fondation Custodia dont il prend la direction à la suite de la disparition prématurée de Ger Luijten. Le quadra annonce un futur sous l’égide du passé et de son fondateur Frits Lugt (1884-1970), alors qu’une exposition consacrée aux acquisitions de ces dix dernières années rend un ultime hommage à son prédécesseur.
Lorsque Stijn Alsteens, jeune étudiant rencontre pour la première fois Ger Luijten, conservateur au département des arts graphiques du Rijksmuseum, il ignore qu’un jour il lui succédera à la Fondation Custodia. Le jeune Stijn Alsteens avait pu apprécier mais aussi admirer l’être charismatique, généreux et enthousiaste. «Je garde en mémoire, parmi ses plus belles expositions au Rijksmuseum celle dédiée aux gravures de van Dyck dont je me suis plus tard inspiré».
Le nouveau venu de la rue de Lille, au look sage et au parcours linéaire, a su séduire par ses origines septentrionales et ses goûts classiques, en adéquation avec la vocation de la Fondation Custodia. Né à Louvain en 1976, Stijn Alsteens semblait prédestiné aux écoles du Nord par ses études, d’abord dans sa ville natale puis à Amsterdam. Son français, il le doit à une enfance bruxelloise dont il a gardé l’imperceptible intonation.
© Antoine Doyen
Le septentrion n’a pourtant pas été son seul centre d’intérêt. Parallèlement à ses études d’histoire de l’art, il apprend le russe et rédige une thèse sur le mécénat d’une princesse russe dans les années 1890. C’est d’ailleurs sa connaissance de la Russie qui lui ouvre les portes de la Fondation en 1999. Alors stagiaire, il entame l’inventaire d’une collection de dessins, gravures et lettres offerte par l’artiste Dimitri Bouchène à son ami Carlos van Hasselt, premier directeur de l’institution. La donation ayant pour thème Serge Lifar et les Ballets russes avait bénéficié de sa maîtrise providentielle du russe. Six ans plus tard, il sera commissaire de l’exposition Mélange russe dédiée à cette donation. Dès 2001, il était de retour à la Fondation, mais en tant que conservateur afin de préparer l’exposition Paysages de France dédiée aux peintres flamands et hollandais ayant voyagé en France entre les XVIe et XVIIe siècles.
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Les «magnifiques» années new-yorkaises
Durant ses cinq années à la Fondation Custodia, Stijn Alsteens aiguise son «sens du dessin» et même ce connoisseurship, terme par lequel les anglo-saxons désignent «l’amateur éclairé», expert en matière d’authenticité. Ce sont là autant de points qui l’amèneront à être sollicité par le Metropolitan Museum of Arts (Met) où s’écouleront des «années magnifiques», se souvient Stijn Alsteens. «Il s’agissait d’un musée universel, d’une sorte de ville musée de près de 2000 personnes et d’un lieu qui mène de surcroît une politique de recherche vigoureuse». Il y organise avec ses équipes plusieurs expositions itinérantes consacrées à Jan Gossart, Dürer, Joachim Wtewael et enfin van Dyck en 2016, cette fois-ci à la Frick Collection de New York.
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Quand on sait que Ger Luijten s’est porté acquéreur de quelque 10 000 œuvres en l’espace de douze ans, on devine que la connaissance du marché de l’art est une compétence obligée, voire sine qua non. Au Met, l’expérience de Stijn Alsteens s’était aussi portée sur les acquisitions, sous l’égide du chef du département des arts graphiques George Goldner, une sommité qui avait constitué la première collection de dessins du Getty. «Il était le magicien des acquisitions», s’enthousiasme le nouveau directeur de la Fondation Custodia, «avec toujours l’ambition de satisfaire la vocation d’universalité de l’institution». Avec ses collègues du département, Stijn Alsteens donnera par les achats autant que par les expositions une visibilité toute particulière aux écoles du Nord.
Christie’s et le marché de l’art
Le souhait de regagner la France l’amène à répondre favorablement à l’opportunité de rejoindre Christie’s à Paris où il deviendra directeur international du département des dessins anciens. «On y bénéficie d’un entourage de compétence, avec quelque 150 spécialistes, nombre quasi identique à celui des conservateurs du Met».
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Chez Christie’s, le spécialiste des écoles du Nord élargit son spectre à Léonard de Vinci, Michel-Ange, Goya ou Oudry. «Par sa connaissance pointue des dessins flamands et hollandais, il a contribué aux derniers succès de la maison de ventes, en réattribuant deux feuilles du maître baroque Anthony van Dyck et en particulier le Portrait de l’artiste Willem Hondius vendu à New York en janvier dernier deux millions de dollars, le double des estimations,» reconnaît Hélène Rihal aujourd’hui à la tête du département.
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Renouer avec «le cœur de la collection» de Frits Lugt
Stijn Alsteens aime à rappeler que Frits Lugt, jeune homme, avait travaillé pour une maison de ventes à Amsterdam. Le nouveau maître des lieux donne parfois l’impression de se rêver en Frits Lugt, comme une sorte de réincarnation du collectionneur formé au marché de l’art avant de créer et diriger sa fondation sur le modèle américain «Je pense que le projet de la Fondation a été défini par Frits Lugt, cette statue du commandeur qui plane dans cette maison». À ses yeux, les expositions ne sont pas l’unique vocation de la maison dont le mode de fonctionnement se rapproche de celui d’un musée, «à la manière du département des arts graphiques du Louvre.» Lugt avait conscience de l’importance non seulement de la documentation en corrélation avec un artiste, mais aussi des sources, d’où l’acquisition du fonds de lettres et autres documents autographes.
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Stijn Alsteens ne dissimule pas sa volonté de renouer avec «le cœur du cœur de la collection», d’enrichir le XVIe siècle et d’approfondir le fonds hollandais. Le curseur n’ira sans doute pas au-delà du XVIIIe siècle, les XIXe et XXe siècles étant «déjà très largement représentés sur la scène artistique,» semble-t-il regretter. Il ne cédera pas non plus aux sirènes de l’art contemporain, qui ne trouvera plus place au sein de l’institution.
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À l’automne, s’ouvrira une exposition de la prestigieuse et mal connue collection du musée Boijmans van Beuningen de Rotterdam, organisée avec la collaboration de Maud Guichané. À la faveur de la fermeture du musée rotterdamois, en rénovation pour quelques années, le public découvrira des dessins italiens de la Renaissance avec des artistes comme Mantegna, Fra Bartolomeo, Pordenone, le Pérugin, le Corrège et Léonard de Vinci. Et après? Rubens et ses contemporains, donc dans l’obédience de la «bonne garde» à laquelle renvoie le vocable latin «Custodia.»
L’exposition
Un œil passionné, en forme d’hommage aux acquisitions effectuées pendant plus de dix ans par Ger
Luijten, dit tout de l’estime que l’on accordait à cette figure tutélaire à
laquelle se sont attachés la commissaire Maud Guichané et Hans Buijs,
directeur par intérim. Ger Luijten a laissé une empreinte; sans renier
l’héritage, Stijn Alsteens laissera la sienne.