«Taupe» de la poétesse Christine D’haen
Christine D’haen (1923-2009) a fait paraître de son vivant une trentaine d’ouvrages de poésie, une autobiographie ainsi qu’une biographie consacrée au poète Guido Gezelle, De wonde in ‘t hert. L’œuvre de cette «grand old lady de la poésie flamande», selon les mots d’Elke Brems, a été récompensée de nombreux prix, dont le prestigieux prix des Lettres néerlandaises en 1992. Le poème «Mol» (Taupe) est extrait du recueil Mirabilia paru aux éditions Querido d’Amsterdam en 2004.
© Michiel Hendryckx / Wikipedia
Taupe
Quel sort la contraignit à une vie si souterraine, si
célibataire dans tant de galeries, vêtue de sa toison
chaude, noire, luisante (pourquoi, dans la nuit?);
sous les racines elle creuse à grandes mains le limon,
peureuse dans la terre et ses échos,
dévore le ver désarmé, boyau entortillé.
Quand vient le pillard, elle tend le museau rose,
l’attaque dressée, avec un cœur grandiose,
le bannit du réconfort de son corps et de son logis.
Comme elle, son petit doit traverser au mépris
de sa vie la terre nue, proie de toison miroitante,
il creuse (comment?) pour soi-même un nid exquis.
Mol
Welk lot dwong haar zo ondergronds, zo zonder
gemaal in zoveel gangen, glanzend bont-
bekleed (waarom, in ‘t donker?), zwart en warm;
zij graaft met grote handen aarde onder
wortels, bang in zo’n gegalm van grond,
vreet weerloos kronkelende wormendarm.
Als hij dan komt spalkt zij de roze mond,
randt opgericht hem aan met hand en tand,
bant van haar huis en lichaams troost de rover.
Haar jong moet zoals zij met doodsnood over
het blote land, een buit in ‘t glanzend bont,
graaft (hoe?) voor zich, voor zich een zalig pand.