Thérouanne, la capitale oubliée
Modeste bourg du Pas-de-Calais, Thérouanne était jadis l’une des capitales régionales et le siège de l’un des diocèses les plus vastes d’Europe occidentale. Avant que Charles Quint n’en décide autrement.
Quiconque passe par Thérouanne aujourd’hui a bien du mal à imaginer son glorieux passé. Le bourg ressemble à tant d’autres de ce Pas-de-Calais rural. Il compte encore quelques commerces comme un café-brasserie, un petit supermarché, un concessionnaire moto, etc. Mais avec 1155 habitants au dernier recensement, c’est tout de même peu pour rivaliser avec la jolie Saint-Omer, de quinze kilomètres sa voisine, et véritable capitale de l’Audomarois aujourd’hui, avec quinze milliers d’âmes. Et pourtant… il y a encore quelques siècles, Thérouanne lui tenait la dragée haute et était même l’un des diocèses les plus importants d’Europe occidentale…
Retour il y a deux mille ans pour comprendre. Jules César fait ses affaires en Gaule et se heurte notamment à la résistance des Morins dans notre région. Chef-lieu de ce territoire qui va de l’embouchure de l’Escaut jusqu’à la vallée de la Canche, Tervanna devient ensuite une florissante cité gallo-romaine. Elle a tout pour plaire : traversée par la Lys, elle est au carrefour des ports de la Manche et de la Mer du Nord. D’ailleurs, la célèbre Table de Peutinger tout comme L’Itinéraire d’Antonin, où figurent les routes de l’Empire romain, mentionnent la cité.
© Nicolas Montard
Cette renommée s’étiole un peu plus tard. En 407, les Francs incendient la cité. Thérouanne sombre dans un demi-sommeil dont elle commence à émerger avec l’évangélisation des terres du secteur par un certain Audomar (devenu saint Omer), qui devient alors le premier évêque de la cité au VIIème siècle. L’ère chrétienne rime avec la prospérité de Thérouanne. Sur le chemin de la Via Francigena, celle qui mène de Canterbury à Rome, elle voit passer de nombreux pèlerins et se développe grandement jusqu’à édifier sa propre cathédrale que l’on dit parmi les plus belles du nord de la France, à l’instar de celles de Tournai et de Cambrai. La ville possède plusieurs églises, couvents, abbayes, elle est protégée par des remparts et des tours. Un véritable centre intellectuel, religieux et commercial où sont passés quelques grands de ce monde : ainsi, l’évêque Robert de Genève élu pape sous le nom de Clément VII en 1378.
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1553 : Thérouanne est démantelée, méthodiquement
En 1553, son destin bascule. Charles Quint est en guerre contre François Ier, puis Henri II. Plusieurs fois assiégée depuis le début du siècle, Thérouanne est une enclave française en Artois, dont la garnison effectue des raids dans le Saint Empire romain germanique. « François Ier avait coutume de dire qu’elle était « un des deux oreillers sur lesquels le roi de France peut dormir en paix », écrivent Olivier Blamangin, Laetitia Dalmau et Jérôme Maniez dans la revue Archéopages. Les forces de Charles Quint assiègent la ville pendant près de deux mois, et le 20 juin, le monarque ordonne tout simplement de raser la cité « jusqu’aux fondements » et d’y jeter du sel afin que rien ne repousse. Hesdin, elle aussi ville prospère un peu plus au sud, subit le même sort quelques semaines plus tard.
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Il ne s’agit pas d’un simple pillage, notent les historiens. Mais bien d’une destruction méthodique et organisée qui va durer plusieurs semaines. Des ouvriers sont dépêchés depuis Arras, Saint-Omer, Saint-Pol-sur-Ternoise et Béthune. «Tous les sujets de l’empereur furent autorisés à «prendre et enmener [les matériaux issus de la démolition] tant qu’il en vouldra». On fit sauter à la poudre les tours de l’enceinte et l’on procéda par sape et incendie des étançons pour provoquer l’effondrement des courtines dans le fossé ». Ce qu’il reste de la glorieuse cathédrale est abattu en août. Il est donné ordre de «faire tomber ou brusler le comble de l’église». Caves et puits sont remblayés. Thérouanne n’est alors plus qu’une carrière de pierres à ciel ouvert, dans lesquelles les habitants des environs viendront se servir les années suivantes. Ainsi, des pierres ont renforcé les remparts… de Saint-Omer.
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En 1559, Thérouanne est rendue à la France suite au Traité du Cateau-Cambrésis. Mais interdiction est faite d’y reconstruire une forteresse. Le diocèse, lui, est divisé entre Ypres, Saint-Omer et Boulogne-sur-Mer.
Cette destruction n’est pas passée inaperçue dans l’Europe d’alors. Elle a même un «retentissement considérable. De nombreuses poésies ou complaintes retracent le passé glorieux de la cité et perpétuent le souvenir de sa destruction». Mais pourquoi Charles Quint a-t-il voulu la démanteler à ce point ? «Sans doute voulait-il laver l’affront de ses troupes qui avaient connu, quelques mois plus tôt, un échec retentissant dans leur tentative de reprendre la ville de Metz aux Français, écrivent encore Olivier Blamangin, Laetitia Dalmau et Jérôme Maniez. La destruction totale de Thérouanne et d’Hesdin, et donc la suppression de ces enclaves, participaient (aussi) d’une rationalisation et d’une tentative de stabilisation de la frontière sud-ouest de l’Artois.»
© Nicolas Montard
Une seconde vie et des souvenirs
Il faudra attendre… la fin du dix-neuvième siècle pour que Thérouanne renaisse, légèrement en contrebas. Là où elle se développe aujourd’hui. Une chance pour les archéologues qui peuvent fouiller depuis des décennies un terrain qui n’a pas été recouvert d’autres constructions, ce qui vaut à Thérouanne le surnom de petite Pompéi du Nord. Ceux qui ont vu la merveille italienne risquent d’être quand même un peu déçus. Sur le site, on devine plus de choses que l’on n’en voit, à travers les vestiges de la cathédrale ou de quelques habitations, etc, etc. Néanmoins, la Maison de l’archéologie, dans le centre-bourg, permet de contextualiser cette histoire à partir de cent soixante-quinze objets archéologiques retrouvés, des pièces de monnaie romaines jusqu’aux restes de la cathédrale. Et de comprendre comment cette capitale d’un autre temps a si brusquement basculé dans l’oubli.