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littérature compte rendu

Tom Lanoye: un baladin du verbe

26 août 2024 4 min. temps de lecture Planète Littérature

Saluons les M.E.O. éditions de Bruxelles d’offrir aux lecteurs francophones le premier tome de la trilogie autobiographique de l’auteur flamand Tom Lanoye, protagoniste des lettres belges d’expression néerlandaise d’aujourd’hui.

À l’instar des tomes 2 (La Langue de ma mère) et 3 (Les Boîtes en carton) de la trilogie qu’a posteriori Tom Lanoye (° 1958) a intitulée La Trilogie du Pays de Waes, Un fils de boucher à petites lunettes est traduit magistralement par Alain van Crugten, traducteur attitré de l’œuvre de Tom Lanoye.

La splendeur, la force de ses romans (Tombé du ciel, Esclaves heureux, Décombres flamboyants…), de ses pièces de théâtre (Célibat, Méphisto for ever, Sang et Roses. Le Chant de Jeanne et Gilles, Mamma Medea,…), de sa poésie (Neon ! Gent-Wevelgem, …) se logent dans une esthétique où la critique sociale, la truculence verbale se conjuguent à l’ironie et à la tragicomédie.

Géant des lettres néerlandaises, électron libre, l’écrivain met en scène dans ce roman (publié en néerlandais en 1985) les personnages de son histoire familiale, les habitants de la ville de Saint-Nicolas (entre Anvers et Gand).

La singularité du jeune Tom se voit condensée dans le titre du livre et livrée à la mère sous la forme d’un songe prémonitoir: enceinte de Tom, la mère reçoit la visite onirique d’un aïeul qui la réprimande de donner bientôt naissance à un fils qui rompra avec la lignée familiale des bouchers er des éleveurs. Nous rencontrons pour la première fois les personnages présents dans les romans ultérieurs, le père boucher -«maître de la viande et de la mort», comme l’énonce l’auteur-, la mère, actrice dans une troupe de comédiens amateurs, qui déclame du Molière, du Sophocle dans la cuisine, à laquelle il consacrera un chant renversant, La Langue de ma mère, le frère Guy tué dans un accident de voiture à Turnhout, la petite sœur Laurie, Jules Desmet et Alice, les voisins et, enfin, le royaume des livres dans lequel plonge le petit Tom.

«Rabelais flamand»

Le livre du monde que lit Tom Lanoye enfant, adolescent, dont il écrira des chapitres luxuriants, gorgés de verve dès ses premiers pas en littérature, n’a rien de désincarné, d’éthéré, de policé. Romancier de la matière, des sensations, radiographe et spéléologue des phénomènes sociaux, politiques, de la vie en Flandre dans le pays dit de Waes, il déplie la généalogie familiale, la chaîne de générations d’éleveurs et de bouchers du côté paternel, l’avancée des troupes allemandes durant la Première Guerre mondiale, sa passion pour les livres. Chez celui qu’on a souvent présenté comme un «Rabelais flamand», les registres du réel et du fantastique, de l’analyse et du caustique ne cessent de se mêler.

«Depuis la crise, l’industrie textile de Saint-Nicolas s’est définitivement cassé la gueule. Les grandes usines ont soit fait faillite, soit déménagé dans les zones industrielles aux abords de la ville, où l’on produit principalement du chômage technique (…) Si mes parents n’y habitaient pas, je ne remettrais jamais les pieds à Saint-Nicolas. J’y suis malade. Le Dallas (son univers impitoyable) de Belgique, la Flandre en parc miniature. Bref, la métropole du Pays de Waes.»

Une œuvre multiforme

Avec le talent d’un baladin irrévérencieux, facétieux, Tom Lanoye conte les faits et gestes, les drames d’une histoire familiale, mais aussi l’humus du pays de Waes qu’il ausculte dans une langue taillée au scalpel. Descendant d’une famille d’éleveurs, il sait qu’on n’élève pas les mots, qu’on ne les domestique pas, qu’on ne les tient pas en laisse, car ils jaillissent dans un flot baroque, indiscipliné.

La passion de la musique, du théâtre transmise par la mère se traduit dans une œuvre multiforme qui pose un regard acéré sur la scène extérieure du monde et sur les territoires de l’intime. Le plaidoyer pour la littérature, pour la démesure et la liberté de l’écriture, de la musique, de l’art s’étire avec humour dès l’ouverture du livre.

Tom Lanoye décoche des flèches contre les différents visages de la boucherie du monde.

«Écoutez, dis-je, je ne sais pas si ça vaut vraiment la peine. J’aimerais devenir tout à la fois un bon poète et un croisement entre Frank Sinatra, Fred Astaire et Michael Jackson. C’est impossible. En outre, si un volume atteint ici un tirage de mille exemplaires, c’est déjà un succès inespéré. Et qu’est-ce que je pourrais bien faire sur une scène?».

Sur la scène des lettres belges, nous savons ce que Tom Lanoye fait. Il délivre un verbe engagé, tumultueux, en prise sur le monde contemporain et il décoche des flèches contre le nationalisme, les formes de pouvoir, le conformisme idéologique, les normes morales oppressives, les esprits réactionnaires, les mécanismes de domination. Contre les différents visages de la boucherie du monde.

Tom Lanoye, Un fils de boucher à petites lunettes (titre original: Een slagerszoon met een brilletje) traduit du néerlandais par Alain van Crugten, M.E.O. éditions, Bruxelles.
Liste des œuvres de Tom Lanoye traduites en français.
VB

Véronique Bergen

écrivaine

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