Tout commence par l’envie de dessiner : Lukas Verstraete
Pour les jeunes bédéistes flamands, le savoir-faire et les albums tous publics ne suffisent plus; ce qui compte, c’est l’art. Leur formation les y incite, tout comme le succès (artistique) de certains de leurs prédécesseurs, tels que Judith Vanistendael, Brecht Evens et Olivier Schrauwen. Il existe un marché pour la BD d’art, et un système de subventions vise à l’encourager. Nous commençons cette série avec Een boek waarmee men vrienden maakt (Un livre avec lequel on se fait des amis), le premier livre de Lukas Verstraete.
Lukas Verstraete (° 1992) ne veut pas se laisser enfermer dans des exigences de forme ou de contenu. Avec le format XL et le papier doux et épais de Een boek waarmee men vrienden maakt, il tente de reproduire ses crayonnés originaux le plus fidèlement possible. Ce qu’il aime dessiner plus que tout? Les collisions, les bagarres, les explosions, les corps enchevêtrés et les scènes de masse chaotiques …
© Bries / L. Verstraete.
À propos de ce premier album, Verstraete confiait au magazine Focus Knack: «J’avais établi une liste des sujets que je voulais dessiner. Ensuite, j’ai imaginé une histoire qui me permettrait de relier toutes ces scènes. Cela m’a pris un an. Le processus d’écriture était intense, mais agréable. Je n’ai donc rien contre le narratif, mais tout commence pour moi par l’envie de dessiner.»
L’histoire comprend une foule de situations et de revirements. En résumé, il s’agit du récit d’un inconnu dont la tête est séparée du corps. Cette tête, qui porte en elle l’identité de l’inconnu, passe chaque fois d’un corps ou d’un objet à un autre au gré des collisions et des bagarres. Le corps sans identité subit de nombreux tourments mais fait preuve d’un instinct de survie acharné. Pour finir, les intrigues se rejoignent par le biais d’une intervention explicite de l’auteur lui-même. Mais la tête se rebiffe: elle a subi trop de changements intéressants pour se contenter de ce corps. Le corps tente le forcing mais l’inconnu recomposé est aussitôt harcelé comme au début du récit. L’histoire se termine ainsi en boucle, et c’est logique pour un livre qui ne veut pas d’un dénouement cathartique.
© Bries / L. Verstraete.
L’histoire que Verstraete a tissée autour de sa fascination pour les transformations corporelles n’est pas très originale – ces complications postmodernes sont bien connues – mais elle tient la route grâce à la richesse graphique. Même si l’on peut tout aussi bien estimer que l’excès de dessins complique la bonne compréhension de la trame.
Le dessinateur manie une esthétique de la laideur (corps crispés et faciès torturés) qui rappelle l’expressionnisme allemand. Sur le plan stylistique, l’utilisation des couleurs et la composition complexe trahissent l’influence de ses maîtres Brecht Evens et Brecht Vandenbroucke. Étonnamment, Verstraete souligne aussi l’influence de Marc Sleen (1922-2016) et de l’approche anarchique que l’auteur de Néron a de la BD.