Traditions de Noël dans la région frontalière
Noël approche et c’est donc la période dans laquelle nous faisons tous de notre mieux pour trouver des idées originales. Cadeaux, menus, boissons… une véritable quête annuelle. Pourtant, il n’est pas toujours nécessaire d’aller chercher la lune. Des deux côtés de la frontière, il reste plein de bonnes choses à découvrir.
Qui songe à des produits français, pense automatiquement à ‘du vin, du pain et une abondance de fromages’. Mais cela correspond-il à la réalité du nord de la France ? Est-ce que la frontière d’État a donné naissance à des différences culturelles ?
Les habitants du côté de la frontière en savent bien plus long. Si la Flandre française fut définitivement annexée à la France entre 1659 et 1713 par Louis XIV et que la population se vit du coup imposer une nouvelle nationalité, le processus d’intégration se déroula beaucoup moins promptement. Quant à savoir si ce processus a jamais été entièrement achevé, c’est ce qui demeure un sujet de discussion.
Il y avait jadis beaucoup de familles mixtes dans la région frontalière, au sein desquelles chacun(e) tenait à son identité. Le travail frontalier et la contrebande faisaient partie du quotidien social. Le tabac passait en France et les alcools français se frayaient un chemin en Flandre. Souvent cachés dans des landaus ou sous les crinolines de travailleuses frontalières flamandes. Celles-ci se trouvèrent régulièrement ‘enceintes de quelques mois’ de sorte que les commis (des douanes) n’avaient le droit que de les fouiller superficiellement, permettant ainsi à ces dames de passer davantage de marchandises en fraude. Il y eut même de véritables bandes de contrebandiers avec des chiens dressés opérant comme de véritables troupes de guérilla. La suppression des formalités douanières facilita évidemment les choses et conduisit à un retour de comportements plus civilisés.
Des ‘spécial Noël’ du côté de la frontière
Il y a évidemment les produits typiques que Belges et Français s’envient réciproquement tout au long de l’année. On utilise même le terme de ‘tourisme frontalier’. Pour observer ce phénomène, il suffit de se rendre un week-end au mont Noir (Westouter et Sint-Jans-Cappel) ou, mieux encore, chez Auchan. Des chariots remplis à ras bord d’eaux, de vin ou d‘autres boissons alcoolisées, de baguettes et de croissants, sont transférés dans des voitures immatriculées en Belgique. Inversement, les Français traversent volontiers la frontière parce qu’ils raffolent de notre chocolat et de nos bières. Mais évidemment aussi parce que les articles de fumeur sont nettement moins chers en Belgique.
Il faut parfois faire preuve d’un peu de persévérance car la commercialisation engendre l’uniformisation
Toutefois, la période de Noël est le moment par excellence pour se mettre à la recherche de produits locaux uniques. Il faut parfois faire preuve d’un peu de persévérance car la commercialisation engendre l’uniformisation et en fait aussi le déclin des traditions et de l’artisanat. Mais en se donnant un peu de peine et en ne s’arrêtant pas seulement aux produits de masse, on s’étonne des ressemblances et des influences réciproques entre le nord de la France et la Flandre (du côté belge). Les bières de Noël en sont un très bon exemple.
À l’origine, cette bière était brassée en Belgique en guise de cadeau pour les meilleurs clients de la brasserie. Le brasseur utilisait pour cela la toute dernière récolte d’orge et laissait quelques semaines à cette bière pour mûrir. La St.Bernardus Christmas Ale et la St-Feuillien Cuvée de Noël en sont de bons exemples… Cette tradition belge est donc reprise par les microbrasseries fondées ces derniers temps en grand nombre dans le nord de la France. Elles embouteillent aujourd’hui aussi leurs propres bières de Noël, fût-ce en des éditions très limitées, comme l’Anosteké Cuvée d’Hiver ou la Saint-Sylvestre Brassin d’hiver… La plupart de ces bières sont ambrées voire brunes, d’un goût souvent un tantinet plus malté et plus doux par l’utilisation d’épices hivernales (clou de girofle, orange etc.).
Un autre exemple est le ‘cougnou’, appelé aussi coquille. Chez nous, ce pain brioché aux raisins, au sucre ou au chocolat s’est tellement bien implanté qu’on le trouve entre-temps dans presque tous les supermarchés. Mais en fait, cette viennoiserie est caractéristique pour le nord de la France. Jadis, elle était offerte aux enfants avec une tasse de chocolat chaud et du beurre salé à la Saint-Nicolas ou à Noël. Chez nos voisins du sud, on l’appelle aussi ‘pain de Jésus’. D’où sa forme représentant l’enfant Jésus.
La liste de délices culinaires est évidemment bien plus longue que cela. À Noël, les Français servent un peu plus de poisson que nous. La France est d’ailleurs un des plus grands producteurs de poisson. Et puis, il y a aussi toutes les variétés de ‘rillettes’ (porc, poulet rôti…) et, cela va de soi, les fromages. Ce ne sont certes pas les délicatesses françaises qui manquent.
Les différences et les ressemblances entre les Belges et leurs voisins du sud dépassent toutefois largement les aliments et les boissons. Dans la région de la culture betteravière du nord de la France, il y a par exemple la tradition du Guénel, une fête de lumières dans des betteraves creusées. Aujourd’hui, tout le monde connaît la citrouille creusée de la fête d’Halloween, mais la tradition des betteraves chez nos voisins français est bien plus ancienne, elle remonte peut-être même aux Celtes. Ces betteraves creusées et illuminées sont portées dans les alentours lors des fêtes de la Toussaint, de la Saint-Martin et de Noël.
En Flandre, cette tradition a disparu depuis de nombreuses décennies depuis qu’il n’y a plus de Flamands qui traversent annuellement la frontière pour aller trimer dans la récolte des betteraves.
Ce que nous avons en Belgique et que nos voisins français n’ont pas, c’est la tradition de la musique de Noël classique. Non pas des ‘Viv’le vent, viv’le vent…’, mais le fait d’assister à un concert avec l’Oratorio de Noël de Bach. En France, il règne une nette préférence pour les compositeurs romantiques du cru (Gounod, etc.) et non pour les compositeurs baroques allemands. Lille connaît bien une exécution abrégée de cette ample composition dans la période de Noël, alors qu’en Belgique, plusieurs ensembles (semi-)professionnels exécutent l’Oratorio de Noël. Ces concerts font toujours salle comble et pour beaucoup de gens, ils représentent même le sommet musical de l’année.
La morale de l’histoire (de Noël)
Il peut paraître un peu court de faire une comparaison entre la culture du nord de la France et celle de la Flandre, mais cela donne néanmoins une bonne indication. Des visiteurs belges dans le nord de la France font parfois la remarque qu’ils retrouvent là ‘la Flandre réelle’. Et dans un sens, c’est exact. Par suite de la disparition de la dernière génération des travailleurs frontaliers et de la réduction du nombre de familles mixtes dans la région frontalière, les barrières linguistiques et les différences culturelles ne cessent de grandir. Ce qui est plutôt paradoxal puisque l’ouverture des frontières aurait dû favoriser la pollinisation culturelle croisée. Il existe heureusement des initiatives transfrontalières comme la télé frontalière, des coopérations touristiques transfrontalières, etc. Il appartient néanmoins encore au consommateur de regarder au-delà de la production de masse commercialisée qui estompe les cultures. La période de Noël en offre une très belle occasion. Sur les marchés de Noël à Lille, à Béthune, à Saint-Omer…, on trouve encore de petits producteurs authentiques, de véritables ‘artisans’ de produits régionaux flamands. Eh oui, en cherchant un peu, l’on trouve même dans les supermarchés plus importants de l’autre côté de la frontière les ‘véritables gaufres flamandes’… de Dunkerque. Ou le genièvre de Wambrechies, le caramel Ch‑ti au spéculoos et bien d’autres choses.