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Traverser la Gaule belgique sur la Via Belgica

Par Wieland De Hoon, traduit par Jean-Philippe Riby
16 juillet 2020 8 min. temps de lecture Via Belgica

Un carré sur la carte, représentant cinq cents kilomètres de large : En 57 av. J.-C., César délimita sa dernière conquête, la Gaule belgique, par la mer du Nord, la Manche, la Seine, l’Ardenne et le Rhin. Les tribus belges coalisées ne devaient plus jamais disposer d’un territoire aussi étendu. L’axe est-ouest que les Romains établirent, la via Belgica, existe toujours. Pour la suivre à vélo, nous devons d’abord prendre le train.

Km 0 - Boulogne (Gesoriacum)

Nous mettons notre vélo dans le train à Lille Flandres. Après une large boucle via Amiens, nous atteignons le port grisâtre de Boulogne, au bord de la Manche. Nous irons d’ouest en est, car nous trouvons que la zone frontalière romaine, le limes rhénan, est une ligne d’arrivée plus symbolique que l’Oceanus Brittanicus.

Pour observer la mer, ici, le mieux est de le faire à partir de la statue de l’aigle en bronze, d’allure romaine, sur le front de mer. Bien qu’elle soit dédiée à un pionnier de l’aviation, mortellement blessé dans son biplan, vous pouvez laisser votre imagination vous emmener aux côtés des empereurs Auguste, Tibère, Caligula et Claude. Ils considéraient cette côte comme leur base pour envahir la Brittania. Avant la conquête de la (Grande-)Bretagne par Claude, en 43 de notre ère, Gesoriacum reçut également la visite de l’empereur fou Caligula. L’historien romain Suétone décrivit comment l’empereur, quelque part sur le littoral, donna l’ordre à ses soldats d’installer leurs machines pour tirer face à la mer et de ramasser des coquillages comme butin de guerre pris au dieu de la Mer, Neptune, furieux de voir que la Bretagne était hors de portée. Boulogne eut cependant, grâce à Caligula, un phare, qui s’effondra au XVIe siècle avec la falaise dans un grand vacarme.

Le château se dresse au-dessus du brouillard qui enveloppe les quais. Mais finalement le soleil brille. Des terrasses s’éparpillent dans les rues au pied de l’imposante basilique Notre-Dame-de l’Immaculée-Conception. On se croirait en Italie. Les souterrains du château (aujourd’hui un musée d’archéologie) abritent toujours des vestiges de la muraille gallo-romaine. « Regardez », dit Angélique Demon, responsable du Service archéologique de Boulogne, « une partie des fondations de la ville antique, qui s’étendait sur une quarantaine d’hectares. Plus 20 hectares pour le port maritime. L’ensemble était construit en forme de terrasse. C’est assez spectaculaire. »

L’une des pièces emblématiques du musée est la borne miliaire de Desvres, qui date du début du IIIe siècle et a été découverte en 2004 sur le tronçon (50 km) de la voie romaine entre Boulogne et Thérouanne. La borne XV est jusqu’ici la seule qui a été mise au jour dans la partie française de la via Belgica.

Angélique Demon montre avec attendrissement l’inscription en latin. « La distance à partir de Thérouanne/Tervanna, 14 lieues gauloises, vous était « offerte » par l’empereur, ici Septime Sévère (193-211) », explique-t-elle. « Mais cette inscription présente aussi la grande singularité de faire référence aux deux fils de Septime Sévère, Caracalla et Géta. Le second a été assassiné par le premier. C’était un cas de damnatio memoriae : l’empereur ordonnait de marteler pour les effacer toutes les mentions d’un rival. Cela n’est pas le cas ici, par négligence », explique Angélique Demon, qui avec sa collègue archéologue Christine Hoët-van Cauwenberghe a réalisé une étude complète de la borne milliaire de Desvres. « Vous étiez ici au fin fond de la province. De plus, l’inscription sur la borne comportait des erreurs d’écriture mineures. C’est mignon. Il est clair qu’il ne s’agissait pas de la via Appia. »

Km 54 –Thérouanne (Tervanna)

Boulogne, à l’instar de Rome, est la ville des sept collines. Nous nous en souviendrons. Lorsque nous quittons la ville, sous les cris des mouettes, en direction du sud-est, on ne voit presque rien d’une voie antique rectiligne. Suivre la via Belgica est un exercice solipsiste : vous ne pouvez être sûr que de vos propres pensées, et vous niez l’existence du monde extérieur. Après une zone industrielle, le paysage devient vert fluo et nous passons à la hauteur du bourg de Samer, au centre d’un territoire vallonné. Dix kilomètres plus loin, c’est Desvres, avec son supermarché où nous nous bornons à nous approvisionner. À partir de là, la via Belgica passe sous la D 52, correctement asphaltée et sans grand trafic, mais il n’y a pas de piste cyclable par ici. Le Boulonnais apparaît aussi d’emblée comme l’un des plus beaux parcours de notre itinéraire : un vaste paysage bocager, presque sans villages. La route serpente vers l’horizon, telle une chenille gris pâle. Par endroits, un haut calvaire interrompt le vide.

Ce que nous apprennent les rares bornes milliaires qui nous sont parvenues, comme celle de Desvres, c’est que les Romains utilisaient pour indiquer les distances aussi bien le mille romain que la lieue gauloise. Un mille correspondait à milia passuum, c’est-à-dire mille (doubles) pas (soit l’équivalent de 1500 mètres). La lieue gauloise normalisée faisait 1500 pas (2200 mètres). Une information utile pour les légionnaires ou les commerçants qui voyageaient à pied ou en carrus, carpentum, rheda ou raeda, petorritum, cisium, capsum et autres attelages bruyants. Un cycliste de l’an 2020 peut s’amuser à établir son itinéraire pour l’ensemble du réseau routier romain à l’aide de Omnes Viae et ORBIS qui reprennent la table de Peutinger et les distances d’après l’itinéraire d’Antonin.

Dans l’accueillante Thérouanne, sur les bords de la Lys naissante, la capitale de la civitas Morinorum, le territoire des Morins à l’époque romaine, nous découvrons un bâtiment flambant neuf : la Maison de la Morinie. Une équipe de trois personnes nous y attend. L’archéologue Vincent Merkenbreack (université de Lille 3) est spécialement venu pour nous. Moustache fournie et barbe large : un Gaulois belge ! « Je suis Nervien », lance-t-il. « Je suis né à Bavay, le carrefour routier par excellence sur la via Belgica. Quand j’étais adolescent, je voulais devenir archéologue : rien d’étonnant, avec un forum romain au coin de la rue et deux parents archéologues. Je m’éclate à Thérouanne. Incroyable tout ce qu’il peut y avoir encore dans le sol ! »

En 1553, Charles Quint, dans un accès de colère, donna l’ordre que Thérouanne (alors enclave française en Artois) « fût rasée et démolie jusqu’aux fondements ». Autrement dit, les vestiges romains sont enfouis sous cinq mètres de ruines médiévales. « Oui, Vincent nous coûte beaucoup d’argent », plaisante le maire Alain Chevalier, venu se joindre à nous. « J’ai sept demandes en cours pour des fouilles archéologiques. Saviez-vous, soit dit en passant, que nous allons inaugurer un itinéraire de pèlerinage entre ici et le Westhoek, chez vous ? Thérouanne fut le siège d’un évêché dont faisait aussi partie Ypres… » . Dans ses loisirs, Vincent l’archéologue est également figurant : centurion d’une légion romaine. Il nous fait visiter le petit musée : une statuette de Mercure, un chapiteau, un strigile pour râcler afin d’enlever de son corps la sueur après une séance aux thermes. La Maison de la Morinie est aussi un lieu regroupant une maison de services publics, un espace de rencontre et même une maison de santé. Comment rapprocher le patrimoine et la population ?”, explique-t-il. « Cette communauté a aussi droit au résultat de nos fouilles. Cela vaut la peine de dépenser un peu d’argent public, non ? »

Km 78 - Cassel (Castellum Menapiorum)

Sur le territoire des Ménapiens (disons les anciens Flamands), nous empruntons l’étroite D 109. Au-delà de la voie ferrée d’Ebblinghem, nous arrivons sur un chemin de terre qui disparaît ensuite dans une prairie. Quelques kilomètres encore à bringuebaler sur un chemin gravillonné (inadapté pour les pneus minces de nos vélos) avant de retrouver l’asphalte, la D 933, très passagère. Juste avant Cassel, l’itinéraire passe une petite rue médiévale en pente qui débouche sur la grand-place.

Motards et cyclotouristes se pressent sur les terrasses, car c’est le point culminant des Flandres. Castellum Menapiorum était un oppidum (agglomération fortifiée) avant l’arrivée des Romains. César en fit la capitale de la civitas Menapiorum. La vue sur la plaine s’étend à 50 kilomètres. À partir de là, sept voies empierrées partaient en éventail dans toutes les directions.

Ces nouvelles viae suivirent en partie le tracé des anciens chemins gaulois ou celtes, rappelle le professeur gantois Frank Vermeulen dans l’étude qu’il a consacrée aux routes de Castellum Menapiorum. Localement, l’ensemble du réseau était maillé à mi-chemin, coordonné à partir des différentes civitates comme celles de Cassel, de Bavay et de Tongres. Les routes furent pavées avec des matériaux disponibles sur place ou dans les environs : sable, pierre de Tournai, scories de métal… les dalles ou pavés comme nous pouvons les imaginer dans nos représentations archétypiques d’une voie romaine étaient rares dans le nord-ouest de la Gaule.

Km 166 – Tournai (Turnacum)

Après Cassel, c’est une succession de vici (villages, bourgs) le long de l’avenant paysage des monts de Flandres (Heuvelland). Les vignes sur le versant sud du mont Kemmel évoquent des régions méridionales, le vallonnement des collines incite à pratiquer une agriculture paysanne. Un environnement idéal pour les villas romaines, comme dans le Limbourg méridional ?

L’une de ces villas a été mise au jour en 2006 près de Bailleul, une autre l’a été en 2019 dans un champ de pommes de terre près de Nieuwkerken. « Dans les deux cas il s’est agi de fouilles de sauvetage », indique Johan De Schieter, responsable du centre archéologique de Velzeke. Les indices phytologiques ou crop marks (différences de coloration des cultures) et les indices pédologiques ou soil marks (différences de coloration des sols) des photographies aériennes indiquent parfois qu’il y a « quelque chose sous la surface dans un champ. Ils permettent de lancer des fouilles qui, après quelques temps, sont arrêtées car le propriétaire ou les pouvoirs publics veulent réutiliser ou réexploiter le terrain. »

Il ne reste donc rien des deux villas. Pas davantage de la via Belgica, après Bailleul, à l’exception d’un panneau de rue « Heirweg » à Nieuwkerken. A l’horizon des prairies vertes, au sud, nous apercevons les tours d’Euralille. Wervik (Viroviacum) était un important vicus. Le cercle d’histoire locale y organise deux fois par an un week-end gallo-romain, mais ce n’est pas le cas en ce moment. Nous traversons Lille Métropole et il n’y a pas grand-chose à dire, car dans toute l’agglomération on ne trouve aucune rue des Romains.

Seulement un canal bien pratique, entre Roubaix et Espierres, avec une voie cyclable qui permet de le longer vers l’amont, puis de suivre l’Escaut vers l’amont et d’arriver facilement à Tournai. Ce n’est qu’à partir de là que nous retrouverons une trace de la Gaule belgique, dans le crissement des gravillons sur la via Belgica, en direction de Bavay.

7174 wieland de hoon

Wieland De Hoon

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