Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Triennale Art & Industrie 2023: les changements climatiques au miroir de l’art
© Martin Argyroglo
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Triennale Art & Industrie 2023: les changements climatiques au miroir de l’art

Avec la crise pétrolière de 1972 comme point de départ, la deuxième édition de la Triennale Art & Industrie de Dunkerque entend porter un regard sur les changements climatiques et sur les formes de solidarité qui en émergent. Plus de 250 œuvres y sont présentées, principalement à Dunkerque mais aussi en divers autres endroits des Hauts-de-France.

En cette année qui a vu le mois de juin le plus chaud jamais enregistré dans le monde, où canicules, feux de forêt et inondations ont dominé l’actualité, une réflexion artistique sur les ressources énergétiques et le changement climatique semble plus que nécessaire. Pour la deuxième fois, la Triennale Art & Industrie est organisée à Dunkerque et dans les environs. Intitulé «Chaleur humaine», l’événement propose une réflexion sur le réchauffement climatique causé par l’activité humaine et l’économie fossile, mais aussi sur la solidarité entre les communautés face à ces défis.

Dunkerque

Au cours des dix dernières années, Dunkerque s’est transformée d’une ville portuaire morne et pauvre du Nord en un centre d’innovation industrielle et un exemple d’urbanisme durable. L’arrivée de trois nouvelles usines de batteries, les investissements de PME ouest-flamandes et l’engagement en faveur de l’énergie non fossile alimentent un boom économique sans précédent dans la région.

Les rues commerçantes et la digue réaménagées sont pleines de vie, les places de la ville ont été interdites aux voitures et les transports publics sont gratuits dans le centre-ville. La Triennale Art & Industrie s’inscrit dans cette politique et constitue un exemple de marketing urbain intelligent. Dunkerque devient ainsi non seulement un pôle industriel mais aussi un pôle culturel dans la région frontalière franco-belge et la zone du canal Dunkerque-Escaut.

La Triennale se concentre sur la manière dont l’art, l’architecture et le design abordent les questions liées au changement climatique et à l’énergie. Elle s’intéresse à la bonne et à la mauvaise utilisation de l’énergie, à son pouvoir narratif et créatif, ainsi qu’aux possibilités futures des différentes sources d’énergie.

Pour réaliser les expositions sur ces thèmes très divers, les commissaires ont fait appel aux collections d’art du Centre Pompidou et du Cnap (Centre national des arts plastiques). En outre, l’accent a été mis –à juste titre– sur des artistes jeunes, femmes et d’origine non européenne. Ce faisant, les commissaires ont non seulement mis en évidence le déséquilibre qui existe dans les collections d’art officielles, mais elles ont également apporté une innovation bienvenue.

l’accent est mis sur des artistes jeunes, femmes et d’origine non européenne

Le parcours de l’exposition, qui se décline en huit «chapitres», va du FRAC (Fonds régional d’art contemporain Grand Large – Hauts-de-France) au LAAC (Lieu d’art et action contemporaine – Musée de France) et de la Halle AP2 à l’espace public.

Progrès, temporalité et fétiches

Le FRAC Grand Large-Hauts-de-France occupe un beau concept architectural composé de deux bâtiments identiques reliés par un pont. Celui de gauche est le chantier naval d’origine, la Halle AP2 ou Atelier de préfabrication n° 2 de 1949. Celui de droite a été conçu par le bureau d’architecture Lacaton & Vassal et est une copie identique du chantier naval, mais à cinq étages. Avant même de pénétrer dans les halles d’exposition, la peinture murale de Yemi Awosile attire l’attention. L’artiste s’est inspirée de figures géométriques trouvées dans les archives des usines textiles de Roubaix. Une fois à l’intérieur, le bruit apaisant des vagues attire le visiteur vers l’installation vidéo d’Edith Dekyndt «Things without Name», déployée dans un ancien conteneur au fond de la salle.

Le premier chapitre, Les Sources du progrès, est d’emblée l’une des sections les plus intéressantes et les plus engagées de la triennale. Plusieurs artistes y soulignent la relation entre les sources d’énergie, l’industrie et l’obsession occidentale pour le progrès et la croissance.

Les collages photo de Sammy Baloji remettent en question l’exploitation coloniale mais aussi contemporaine des matières premières et des populations. Les petits croquis d’Otobong Nkanga, qui critiquent la destruction de la nature, mènent une réflexion similaire. L’installation multimédia de Susan Schuppli sur l’accident nucléaire de Tchernobyl et la communication tardive du président Michael Gorbatchev est très interpellante.

«MetroMobiltan», l’œuvre emblématique de Hans Haacke, occupe le cœur de l’espace. L’artiste allemand y dénonce les relations entre les musées et le monde de l’entreprise. En l’occurrence, le Metropolitan Museum et le géant de l’énergie Mobil (aujourd’hui ExxonMobil) et leur rôle dans le régime d’apartheid en Afrique du Sud. L’œuvre est d’autant plus remarquable que la triennale elle-même ne cache pas son parrainage par Arcelor Mittal et EDF. Arcelor Mittal est considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands pollueurs de l’air en Afrique du Sud et a été poursuivi en 2019 pour avoir enfreint les lois environnementales dans sa fonderie de Vanderbijlpark, au sud de Johannesburg.

Début 2023, des journalistes d’investigation ont découvert que l’entreprise n’avait pas respecté les normes imposées à Dunkerque et à Tarente, malgré des millions d’euros d’aide publique. Par ailleurs, l’entreprise d’État Électricité de France (EDF) a été poursuivie à plusieurs reprises pour avoir pollué des cours d’eau français. Alors que la compagnie d’électricité revendique une image verte en France, les groupes de défense de l’environnement dénoncent son utilisation de nouvelles centrales à charbon en Pologne et en ex-Yougoslavie.

La deuxième section, Des corps sans fatigue, traite de notre obsession à utiliser au mieux l’énergie et le temps. Les créatures hybrides, de type science-fiction, que l’on retrouve dans l’œuvre d’Edmund Alleyn et d’Erró en sont le reflet. Notre hyperactivité a pour conséquence d’innombrables dépressions nerveuses et burnouts. C’est ce qui a inspiré à Chris Burden, en 1971, la création de «Bed Piece», une performance de vingt jours de repos obligatoire qui, paradoxalement, était une expérience douloureuse. Au centre de cet espace se trouve le mobilier d’intérieur bizarre conçu par le bureau Archizoom Associati. Il a l’air loin d’être confortable et rappelle plutôt un appareil de torture.

Un étage plus haut, le concept des ressources humaines est remis en question. Contrairement au terme économique qui considère les humains comme de simples ressources productives, les artistes participants abordent l’individu comme un participant actif et conscient de la société. Le concept de «Difé» («feu» en créole) de Minia Biabiany, qui traite de l’impact des pesticides sur les plantations de bananes en Guadeloupe et en Martinique, et l’essai photographique «Et des terrils un arbre s’élèvera» de Latoya Ruby Frazier sur les mineurs dans le Borinage, sont les plus fascinants.

Certains biens de consommation courante sont devenus de véritables symboles de statut social. Sacs, montres, ordinateurs et moyens de transport sont adulés comme de véritables «fétiches» (suivant le titre d'un des chapitres). Avec le temps, ces objets se transforment simplement en déchets. Le tapis suspendu composé de morceaux de métal recyclés du sculpteur ghanéen El Anatsui illustre magnifiquement ce caractère éphémère. Les collages esthétiques avec des pétales de tulipes de Jennifer Tee rappellent la spéculation sur les bulbes de tulipe au XVIIe siècle et les fleurs cultivées intensivement aujourd’hui qui traversent les continents dans des camions réfrigérés pour satisfaire nos désirs effrénés.

La partie intitulée Avancer les montres, reculer les montres fait référence à la crise pétrolière de 1973 et au changement d’heure introduit en 1976 par mesure d’économie. La performance d’Agathe Berthaux Weil, qui combine généalogie et moyens mnémotechniques pour régler correctement les horloges, y est une belle réaction. L’espace est également réservé aux artistes qui prônent la détente et l’importance d’une routine quotidienne. La série de lithographies «Labyrinthe d’apparat» réalisée par Pierre Alechinsky après un long trajet dans les embouteillages parisiens, ou le projet de reboisement d’Agnès Denes en Finlande en sont les exemples les plus éloquents.

Au dernier étage, la sculpture poétique de l’artiste roumaine Ana Lupas domine l’espace. «Monument of Cloth», un fil de fer surchargé de linge en aluminium, est un superbe exemple d’œuvre architecturale. La simplicité et le mouvement subtil du «linge» sont extrêmement émouvants. Un peu plus loin, les fenêtres en verre réfractaire de Sara Ouhaddou, fabriquées à partir de vestiges de chantiers de construction marocains, sont suspendues, un peu perdues. Un clin d’œil au verre coloré médiéval de l’Irak qui a évolué vers le verre blanc contemporain.

Impact sur le paysage

Complexe extraordinaire conçu par l’architecte français Jean Willerval, le LAAC se détache nettement de son environnement par ses carreaux de céramique blanche. Trois autres sections de la triennale peuvent y être découvertes au premier étage. Dans la partie supérieure, on peut se promener dans des cabinets de dessins de la collection permanente et admirer une série de sculptures de Karel Appel.

«Espèces d’espaces», clin d’œil au «Journal d’un spationaute» de Georges Perec, se concentre sur les écosystèmes modifiés ou créés par l’homme. Les peintures d’Alexandre Hogue illustrent l’impact des activités industrielles sur le paysage. De leur côté, les architectes Patrick Berger et Gilles Clément ont transformé une ancienne usine Citroën à Paris en zone verte. Face à cela, Madeleine Bernardin montre les conséquences de la déforestation. Les photographies en noir et blanc de Bernd et Hilla Becher, qui représentent des bâtiments industriels, impressionnent par leur simplicité. Les tableaux abstraits en cire fondue d’Éric Baudelaire, illustrant des graphiques avec des anomalies de température, transmettent le message de manière claire et nette.

Les artistes veulent dépouiller les sources d’énergie de leur fonction première et en faire des œuvres d’art. Le segment Vanité, Gratuité, Sublimations regroupe de nombreuses installations expérimentales telles que Gina Pane déviant les rayons solaires ou la sculpture de Julie Freeman transformant l’urine en électricité. On se demande alors s’il s’agit d’une œuvre d’art ou d’une expérience scientifique étrange.

Une dernière section, Sisters in the system, couvre les formes de mise en réseau et la recherche d’organismes, de matériaux et de technologies sur lesquels il est possible de s’appuyer. Depuis les champignons qui transmettent des informations à d’autres organismes jusqu’à l’activisme de groupe qui aboutit à une «Proposal for a Garden» (proposition pour un jardin). Mathis Collins a choisi la musique comme liant. Avec les habitants de Dunkerque, il a composé une nouvelle musique sur un orgue de barbarie.

Les thèmes avant les oeuvres

Il y a beaucoup de choses à voir et à faire pendant «Chaleur Humaine». Un peu trop peut-être. Ce ne sont pas les œuvres mais les thèmes qui prévalent, d’où un manque de cohésion visuelle. Une visite sans avoir étudié le site web, le programme ou les textes explicatifs ne sera pas très satisfaisante.

Outre les quelque 250 œuvres exposées, la triennale organise toute une série de «résonances» à l’extérieur et au-delà des frontières. Plusieurs artistes ont également été invités à concevoir des œuvres originales à intégrer dans le paysage urbain. Ainsi, près de la tour de guet du Grand Pavois, une pieuvre géante en bronze de Laure Prouvost escalade le brise-lames. L’œuvre rappelle sa sculpture «Touching to Sea You Through Our Extremities», qu’elle a installée à La Panne pour Beaufort 2021.

Il est peu probable que l’art puisse changer la crise climatique et nos habitudes obsessionnelles. La triennale incite cependant un public déjà engagé à réfléchir davantage. Saluons le mérite de l’organisation, qui propose toutes ces belles choses à un prix démocratique.

La Triennale Art & Industrie se termine le 14 janvier 2024.
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