Un cimetière belge oublié en France
La Chartreuse de Neuville a hébergé lors de la Première Guerre mondiale des milliers de Belges qui avaient fui la guerre. Un hôpital y avait été installé pour accueillir les réfugiés. Après la guerre, les Belges retournèrent chez eux et le souvenir de cette colonie belge s’estompa. Depuis peu, une association tente de ranimer ce souvenir. Le 20 octobre a été commémoré à Neuville le fait que le plus grand hôpital civil belge y a fermé ses portes cent ans plus tôt.
La Chartreuse de Neuville près de Montreuil‑sur‑Mer dans le département Pas‑de‑Calais a été fondée entre 1325 et 1338. Elle a été plusieurs fois détruite dans le cours de son existence et en 1791, elle fut démantelée et vendue en tant que « bien national ». Reconstruite en 1870, la Chartreuse avait retrouvé dès 1875 pas moins de 22 chartreux, un novice et 20 frères. Cette même année, l’imprimerie de l’ordre fut installée ici. La qualité bibliophile de ses réalisations jouit encore toujours d’une excellente renommée. Les lois anticléricales de 1901 firent émigrer les chartreux en Angleterre et avec eux s’en allèrent aussi le mobilier, l’imprimerie et la bibliothèque. En 1905, la Chartreuse devint un hospice et en 1907 un sanatorium dont l’ouverture solennelle eut lieu en présence du président du Conseil, Clemenceau. En 1908, la Chartreuse hébergeait également un phalanstère d’artistes.
Un village belge
Alors que les Allemands avancent à la mi-octobre 1914 jusqu’à l’Yser, des villages entiers de l’arrière-pays en Flandre-Occidentale sont évacués et de très nombreux Belges s’enfuient en France. Dans la Chartreuse est installé un hôpital pour accueillir les fugitifs. La plupart arrivent à pied ou en charrette. Les blessés et les enfants sont acheminés en train de Hazebrouck à Montreuil.
L’hôpital civil est dirigé par le docteur Jean Jonlet et l’administration de cette communauté de réfugiés est confiée à l’aumônier, l’abbé Plouvier, secondé par une centaine de collaborateurs, médecins, infirmières, ouvriers, bonnes sœurs etc. En fin de compte, plus de 5000 personnes – familles entières, soldats, orphelins – demeureront jusqu’à la fin de la guerre à la Chartreuse.
Se souciant aussi de l’enseignement, l’abbé Plouvier élabore au sein du couvent une des plus grandes ‘colonies scolaires’ de la Première Guerre mondiale.
Dans la Chartreuse se développe entre-temps un véritable village belge avec des boulangers, des menuisiers, des sabotiers, etc. Les hommes font les travaux des champs et entretiennent les bâtiments. Des femmes font le ménage. Des enfants naissent, d’autres font leur première communion.
En 1915, une épidémie de fièvre typhoïde cause la mort de plusieurs personnes à la Chartreuse (en tout 599 personnes décèdent entre mars 1915 et avril 1918). Elles sont inhumées sur la colline hors du couvent. Après l’armistice en 1918, l’hospice et le monastère se vident progressivement. Les derniers réfugiés quittent la Chartreuse au printemps 1919 et le monastère devient de nouveau un sanatorium.
Au cours du xxe siècle, le cimetière se délabre et tombe finalement dans l’oubli. Aujourd’hui, il a disparu. Le champ funéraire est redevenu prairie. Et le propriétaire actuel souhaite le laisser en l’état.
Un cimetière disparu
En 2008 a été fondée une association qui a pour objectif de ranimer le patrimoine de la Chartreuse. Outre l’organisation de résidences destinées à des chercheurs, des artistes et des gens en quête de ressourcement, elle veut réhabiliter l’édifice pour l’ouvrir ensuite au public, y organiser des activités d’entrepreneurs et d’acteurs culturels.
Le souvenir du cimetière disparu a été repêché ces dernières années. Le 20 octobre 2019, une plaque commémorative a solennellement été inaugurée tout au début de l’allée conduisant au monastère, en face de la colline où s’est jadis trouvé le cimetière. Grâce au travail de recherche du musée In Flanders Fields à Ypres, la plaque commémorative mentionne les 599 noms ainsi que le message ci-dessous en quatre langues (français, néerlandais, anglais et allemand) :
À la mémoire des réfugiés belges décédés à la Chartreuse de Neuville quand elle était le plus grand hôpital civil belge d’Europe entre mars 1915 et avril 1919.
599 personnes ne revirent jamais la Belgique et parmi eux une douzaine de militaires.
La plupart des personnes décédées furent inhumées dans le cimetière belge aujourd’hui disparu sur la colline voisine de la Chartreuse.
Ce ‘trou de mémoire’ peut désormais redevenir un ‘lieu de mémoire’.
Association La Chartreuse de Neuville
1 allée de la Chartreuse
62170 Neuville-sous-Montreuil
Tél : 03 21 06 56 97 / 06.15.05.10.58
www.lachartreusedeneuville.org