Un diplomate flamand à Constantinople et Paris: Ogier Ghiselin de Busbecq
Ogier Ghiselin de Busbecq (Augerius Gislenus Busbequius, (vers 1522 – vers 1592) était un humaniste et diplomate flamand aux multiples champs d’intérêt.
Depuis la prise de Constantinople (1453), l’empire ottoman ne cesse de fasciner les Occidentaux ; les voyages en terre turque se multiplient et suscitent la rédaction de nombre de récits de voyage, notamment au XVIe siècle. Les Lettres turques d’Ogier Ghiselin de Busbecq tiennent une place particulière dans cette production, surtout en raison de l’identité de leur auteur.
Busbecq fut l’ambassadeur de Ferdinand Ier auprès de Soliman le Magnifique de 1554 à 1562 et mena des négociations délicates alors que l’Autriche et l’Empire ottoman étaient en guerre. Son récit abonde en informations sur les événements politiques, les actions militaires, sur Soliman lui-même et sur les querelles dynastiques au sein de la famille impériale, mais aussi sur la société turque. Les multiples incidents qui jalonnent ses voyages et son séjour sont pour lui l’occasion de décrire avec humour les mœurs et les coutumes turques.
De Turquie il rapporta des tulipes et des lilas. C’est là qu’il découvrit, sur un temple à Ankara, une inscription relatant le testament politique de l’empereur Auguste, et qu’il rédigea le seul lexique conservé du gotique de Crimée, une langue germanique parlée dans la péninsule ukrainienne. Il fit envoyer de Constantinople une grosse quantité de manuscrits grecs à destination de l’Europe. En plus du latin, il savait l’italien, le français, l’espagnol et l’allemand. Or sa langue maternelle était le flamand.
Enfant naturel d’un noble de Bousbecque, il grandit dans cette localité située sur la rive droite de la Lys, entre Comines et Menin, à la frontière franco-belge. Depuis la Turquie, Vienne et Paris, il continuerait à rêver de retrouver un jour la rivière de son enfance. Il se pourrait qu’il soit entré en contact avec les auteurs classiques dans la riche bibliothèque que possédait Georges d’Halluin dans son château à Comines. Il fit des études à Louvain, puis à Paris, Bologne, Padoue et Venise. En 1554, Ferdinand Ier d’Autriche, qui deviendrait empereur du Saint Empire romain en 1556, l’envoya à la cour de Soliman le Magnifique en qualité d’ambassadeur auprès de l’Empire ottoman. Pendant de longues années, il y mènerait des négociations sur des conflits frontaliers en Hongrie et en Transylvanie, opposant son employeur au sultan. En 1562, il fut de retour à Vienne en tant que conseiller de Ferdinand.
Après la mort de ce dernier, il continua à servir les Habsbourg. De 1574 jusqu’aux dernières années de sa vie, il fut ambassadeur à Paris. Il y fut envoyé afin de défendre les intérêts d’Élisabeth d’Autriche, veuve du roi de France Charles IX et fille de Maximilien. Dans la foulée, il allait informer Maximilien et, plus tard, son fils et successeur Rodolphe de la situation en France et dans les Pays-Bas avoisinants. Étaient également fort prisés les cancans et la chronique de la vie parisienne. Busbecq n’était pas ambassadeur stricto sensu, mais il se comportait comme tel. Il se fit connaître comme écrivain grâce à ses lettres turques, écrites en latin près de vingt ans après son séjour en Turquie. Il y donnait toutes sortes d’informations intéressantes sur les us et coutumes de l’Empire ottoman. Elles furent traduites dans de nombreuses langues européennes.
Pendant la mission de Busbecq à l’ambassade de Paris, tant le royaume de France que les Pays-Bas méridionaux se trouvent en réalité en état de guerre civile. Les Français ont intérêt à ce que les Espagnols ne prennent pas le dessus dans les Pays-Bas, mais ils sont eux-mêmes confrontés à des tensions entre catholiques et huguenots. Les temps sont chaotiques. Le sort des armes change constamment. Ainsi le général Alexandre Farnèse est-il occupé à reconquérir les Pays-Bas méridionaux au profit de l’Espagne. Au même moment, le catholique duc d’Alençon, François d’Anjou, frère du roi de France Henri III, est nommé « souverain et seigneur des Pays-Bas » et ce sur le conseil de Guillaume d’Orange.
Le duc provoque encore plus d’agitation et de turbulences dans les Pays-Bas mais, atteint de tuberculose, meurt prématurément en 1584. Les alliances sont complexes. En France, par exemple, les protestants bénéficient du soutien d’Élisabeth, reine d’Angleterre, tandis que Philippe, roi d’Espagne, y défend les « diehards » (jusqu’au-boutistes) catholiques. Pendant ce temps-là, l’épistolier note ce qu’il voit et entend. L’avenir n’apparaît pas encore, l’issue est incertaine. C’est précisément ce qui constitue le charme de ces lettres. On vit les événements en direct. Témoin privilégié, Busbecq est également partie prenante comme ressortissant des Pays-Bas méridionaux, comme Flamand qui tient les Espagnols en piètre estime, surtout en raison de leur fanatisme catholique. C’est un adepte d’Érasme prônant des réformes mais qui resterait fidèle à l’Église. À l’automne 1592, Busbecq quitta le service diplomatique et mit enfin le cap sur la Flandre et la Lys, sa rivière chérie.
Il n’y arriverait jamais. Le septuagénaire épuisé fut molesté par des soldats errants de la Ligue catholique, lesquels le délestèrent de ses bagages. Il leur fit la leçon et récupéra ses biens. Mais l’incident l’avait marqué. Il mourut dans un château près de Rouen. Seul son cœur fut enterré dans l’église de Bousbecque.