Le mal du pays. Un Flamand de France à la recherche de ses racines
Début 2023, un match de football entre une petite équipe de la Flandre française et le célèbre club PSG a mis en avant l’identité particulière des Flamands de France. Wido Bourel n’a pas attendu cet affrontement symbolique pour s’intéresser à ses origines. Une quête qu’il poursuit dans son dernier livre, Frans en toch Vlaams. Het verhaal van Frans-Vlaanderen (Français et tout de même flamand. Le récit de la Flandre française).
Wido Bourel est depuis plusieurs décennies déjà à la recherche de ses racines flamandes. Cette démarche, il a dû l’effectuer lui-même, car à l’école il avait uniquement appris qu’il vivait dans un pays «un et indivisible». Les leçons d’histoire surtout ne laissaient pas le moindre espace pour des nuances. C’est vers ses 14 ans seulement que le jeune Wido a appris que sa région avait fait partie de la Flandre et des Pays-Bas et qu’il a commencé à prendre conscience du fait que ce qu’on lui avait enseigné à l’école était un récit très unilatéral.
La passion pour l’histoire qui l’habite actuellement se présente dès lors comme une tentative de rattrapage, écrit-il, et il considère la quête de ses racines comme une mission à laquelle il entend consacrer sa vie.
Dans son nouveau livre Frans en toch Vlaams. Het verhaal van Frans-Vlaanderen (Français et tout de même flamand. Le récit de la Flandre française), il esquisse l’histoire de sa région natale telle qu’il aurait aimé l’apprendre à l’école. À ses yeux, l’historiographie française officielle constitue «à maints égards une falsification criante»
En dix chapitres, Bourel évoque la grande richesse de l’histoire de la Flandre française. Son récit débute par les tribus préhistoriques les plus anciennes, où il trouve des rémanences des Germains de la mer du Nord ainsi que des Saxons chassés par Charlemagne. Le lecteur peu attentif se croirait à certains moments quelque part sur la Terre du Milieu de J.J.R. Tolkien. Des dénominations telles que Oromanzacs, Bolgs, Rutheiers, Diabinthes, renvoient à des peuplades apparemment établies dans ces régions.
Quelques paragraphes plus loin apparaissent même des Moerduivels (Diables des Moëres, des tourbiers qui terrorisaient la population locale; selon d’autres sources simplement des brigands) et des Boskerels (Gaillards des bois, également une sorte de bande de brigands). Ses recherches ultérieures concernant des traces des Germains de la mer du Nord l’amènent également chez des Saxons, chez les Broekers (Habitants des marais) de Saint-Omer et même chez des Sarrasins. Cette dénomination surgit assez souvent aux environs de Saint-Omer et servait apparemment à désigner des païens ou des habitants francophones (wallons) dans la région.
Chapitre après chapitre, Bourel commente la riche histoire des Pays-Bas français. Son livre se lit comme un florilège de points culminants de cette histoire et l’auteur souligne le rôle insigne qu’a joué cette région pour l’ensemble des Pays-Bas. Des figures, des batailles et des traités importants passent la revue. Il n’hésite pas non plus à fustiger l’enseignement officiel de l’histoire de France, recourt aux termes de «lavage de cerveau séculaire par le vainqueur» et donne même des exemples de «falsification de l’histoire». Dans des livres d’histoire français la chanson de Roland, par exemple, est présentée comme une épopée française. Or Roland est un chevalier franc à une époque où il n’y avait pas encore de Français.
Ce livre se lit comme un florilège de points culminants de l'histoire des Pays-Bas français
Le chapitre «Hoop en wanhoop van Frans-Vlaanderen» (Espoir et désespoir de la Flandre française) traite du régionalisme naissant dans le nord de la France. L’auteur s’y attarde bien sûr longuement sur la figure de Nicolas Bourgeois, qui a fortement marqué le jeune Flamand de France. En 2020, Bourel a déjà consacré un livre à cet avocat de Hazebrouck, fédéraliste et Européen convaincu qui, dans l’entre-deux-guerres, était étroitement associé à l’association radicale Vlaams Verbond van Frankrijk (Union flamande de France) et à son dirigeant Jean-Marie Gantois.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, le Verbond a poursuivi ses activités et Gantois a choisi de rester actif sur le plan culturel pendant la guerre. Bourel estime que l’on est en droit de se poser des questions au sujet de certains choix de Gantois, mais «la situation l’obligeait de jouer double voire triple jeu en vue de faire avancer et d’améliorer la situation en Flandre française». Cette phrase plutôt cryptique mériterait pour le moins de plus amples développements et précisions.
Au lendemain de la guerre Gantois ainsi que Bourgeois ont été arrêtés. Bourgeois a été complètement innocenté et Gantois condamné à cinq ans de prison, puis banni de la Flandre française. Aux yeux de Bourel «les inquisiteurs jacobins français» réussirent à «discréditer et à freiner le mouvement flamand en France». On peut se demander si, par ses initiatives et publications avant et pendant la guerre, Gantois n’a pas lui-même fourni à ses détracteurs tous les arguments permettant de le discréditer lui ainsi que le mouvement flamand en Flandre française pendant de nombreuses années.
L’évolution de l’idiome flamand de France traverse comme un fil rouge tout le récit. Bourel ne se montre guère optimiste à ce sujet. Il estime que d’ici une dizaine d’années, les toutes dernières personnes qui le parlent encore auront disparu. Nombre de toponymes témoignent toujours de la présence séculaire de cette langue, mais la frontière linguistique remonte toujours plus vers le nord. L’auteur constate qu’aujourd’hui, à la satisfaction des jacobins français, les frontières linguistique et étatique coïncident. Il s’offusque du fait que les autorités flamandes et néerlandaises se montrent parfaitement indifférentes à cet état de choses.
Wido Bourel estime que d’ici une dizaine d’années, les toutes dernières personnes qui parlent encore le flamand de France auront disparu
À ses yeux, il est absolument nécessaire de promouvoir le néerlandais en Flandre française non pas en tant que langue étrangère, comme ne cesse de le prôner l’Akademie vuur Nuuze Vlaemsche Taele (Académie de notre langue flamande), mais comme la langue qui y a été jadis écrite et enseignée. «Il est important que le néerlandais y soit reconnu en tant que langue régionale et comme la langue des voisins», écrit-il. Il trouve aussi nécessaire que soit enseignée l’histoire de la région, car la connaissance de l’histoire «y joue un rôle déterminant en tant que facteur distinctif de l’identité flamando-néerlandaise.»
À la fin de son livre, Bourel développe un plaidoyer éminemment favorable au sentiment d’appartenance à une communauté, à un «pays». Pour Bourel, ce sentiment est primordial et va en outre de pair avec l’apaisement des tensions, la cohésion, la sécurité et la reconnaissance. C’est tout un programme que l’auteur formule en une douzaine de points. L’un de ceux-ci est la stimulation de contacts transfrontaliers, par exemple pour ce qui est de l’emploi, de la mobilité, etc.
L’auteur omet cependant de signaler que, stimulées notamment par des subsides européens, des administrations régionales des deux côtés de la frontière consentent déjà d’importants efforts dans ces domaines. La notion de «pays», de «chez soi», s’avère dès lors davantage une question émotionnelle et se réfère toujours plus au passé qu’au présent.
Frans en toch Vlaams. Het verhaal van Frans-Vlaanderen ne présente pas une histoire générale de la Flandre française mais plutôt le récit passionnant et très personnel d’un auteur engagé en quête de ses racines.