Un pont trop loin: l’opération «Market Garden»
En septembre 1944, l’opération Market Garden (Market pour l’offensive aéroportée et Garden pour l’offensive blindée) aurait dû conduire à la libération rapide des Pays-Bas. Mais le pont d’Arnhem était «un pont trop loin».
Le dimanche 17 septembre 1944, plus de 1 000 avions de transport et quelque 500 planeurs, avec à leur bord 20 000 hommes, plus de 500 véhicules et plus de 300 pièces d’artillerie, décollent d’Angleterre en direction du sud des Pays-Bas. Les divisions aéroportées américaines sont larguées près d’Eindhoven et de Nimègue; les divisions britanniques et polonaises, elles, aux environs d’Arnhem.
Dans le même temps, 50 000 soldats alliés et 22 000 véhicules quittent le Limbourg belge pour rejoindre, en passant par Eindhoven, le pont sur la Meuse près de Grave, le pont sur la Waal près de Nimègue et le pont sur le Rhin à Arnhem.
En ce mois de septembre 1944, l’opération Market Garden
(Market pour l’offensive aéroportée et Garden pour l’offensive blindée) aurait dû conduire à la libération rapide des Pays-Bas. Mais le pont d’Arnhem s’avère être «un pont trop loin», de sorte que les Britanniques et les Polonais sont contraints de se retirer au sud du Rhin après avoir essuyé de lourdes pertes. Si l’opération prélude effectivement à la libération du sud des Pays-Bas, elle entraîne en revanche une famine (appelée Hongerwinter ou Hiver de la faim) dans le nord et l’ouest du pays.
Ce plan audacieux avait germé dans l’esprit du maréchal britannique Montgomery, qui réussit à convaincre le grand patron Eisenhower de se rallier à son pari risqué, au détriment de son rival, l’impétueux général américain Patton, qui voulait effectuer une percée jusqu’à la Sarre allemande depuis l’est de la France.
Si l’opération se conclut par un échec, c’est que l’on avait sous-estimé la résistance allemande et «oublié» la présence de plus de 6 000 hommes que comptaient encore deux divisions blindées allemandes. Les Britanniques furent en outre parachutés trop loin du pont d’Arnhem, ce qui eut pour conséquence d’annuler l’effet de surprise. Pour comble de malheur, les contacts radio avec l’Angleterre furent gravement perturbés et les Allemands découvrirent le plan complet de l’opération dans la poche intérieure d’un officier mort à la suite du crash de son planeur.
Qui plus est, un temps précieux fut perdu pendant la prise de la Zélande, nécessaire pour garantir l’approvisionnement en matériel du port d’Anvers qui venait d’être libéré.
Bref, amateurisme, malchance et concours de circonstances, comme toujours. Par la suite, les Britanniques, les Polonais et les Américains se lanceront toutes sortes de reproches à la tête. Churchill évoquera quant à lui une défaite héroïque.
Environ 6 000 Britanniques, 4 000 Américains et 5 000 Allemands périrent dans l’opération, qui coûta également la vie à quelque 3600 civils néerlandais. Par ailleurs, plus de 6000 soldats britanniques furent faits prisonniers.
La guerre ne s’acheva pas en 1944. Les Allemands eurent le temps de se constituer des réserves pour leur dernière offensive dans les Ardennes. Après les revers subis par la Wehrmacht
depuis son débarquement en Normandie le 6 juin, cette dernière victoire allemande, à la frontière du Reich, fit renaître la conviction qu’il était encore possible de résister à la suprématie alliée et, qui sait, de négocier un armistice.
«A Movie too Far» ?
À l’été 1976, Hollywood s’installe sur l’IJssel à Deventer (qui à ce moment-là ressemble plus à Arnhem qu’Arnhem elle-même) pour tourner le film le plus coûteux de tous les temps: A Bridge too Far (Un Pont trop loin). Ces paroles, un général britannique les aurait prononcées pour critiquer le plan de Montgomery.
Sans doute apocryphes, elles se sont toutefois converties entre-temps en une expression figée pour désigner une mission impossible. Le réalisateur Attenborough engage toute une brochette de stars mondiales: Sean Connery, Michael Caine, Dirk Bogarde (qui a participé à Market Garden en tant que lieutenant), Gene Hackman, Anthony Hopkins, Laurence Olivier, Robert Redford, ainsi que la Norvégienne Liv Ullmann et l’acteur néerlandais Peter Faber. Le film, où Olivier et Ullmann baragouinent le néerlandais, montre pour la première fois une défaite américaine. Montgomery brille quant à lui par son absence à l’écran. Les amateurs du genre continuent à apprécier ce long métrage pour sa patine. L’avant-dernière scène se déroule devant un hôtel ravagé par les tirs. Sur la pelouse s’entassent les soldats blessés, qui entonnent l’hymne Abide with me en attendant l’arrivée des Allemands: nobility of failure.
Je me souviens d’avoir vu, dans un documentaire néerlandais, un vieillard allemand se promener sur cette même pelouse 70 ans plus tard. Se remémorant cet événement, vécu en jeune soldat de 18 ans, il expliquait comment le silence absolu des ennemis blessés et vaincus l’avait hanté sa vie durant…