C’est nichée au cœur du quartier Dansaert que se trouve Globe Aroma, une association consacrée aux arts pluridisciplinaires et ouverte aux nouveaux arrivants. Ainsi, réfugiés, migrants et sans-papiers sont soutenus dans leur travail d’artiste tout en ayant la possibilité de découvrir un large échantillon de l’offre culturelle bruxelloise. Un lieu d’émulation qui allie appétence artistique et préoccupation sociale.
Cette année, Globe Aroma fête son vingtième anniversaire. En 2002, Johnny De Mot, un prêtre bruxellois, constate l’invisibilité des artistes parmi les réfugiés et les demandeurs d’asile venus des quatre coins du monde. Pour pallier cette absence, il trouve une maison dans laquelle il crée un espace pouvant les accueillir, pour qu’ils puissent, malgré tout, continuer à développer leur pratique artistique.
© E. I. Mulyani
La directrice, An Vandermeulen, insuffle depuis 2019 un vent nouveau à cette résidence-refuge, en proposant et encourageant à toujours plus de création collaborative. Dans ce centre culturel, qui n’a de cesse de connecter les artistes nouveaux arrivants aux acteurs de la vie culturelle, les fondations reposent sur trois piliers: fournir des ateliers aux plasticiens, mettre en place des projets de cocréations pour ceux qui sont plutôt créatifs (sans obligation d’avoir été formés à l’art) et, enfin, organiser des excursions culturelles à travers la capitale belge (parfois à Anvers aussi).
La maison est composée d’un rez-de-chaussée comprenant: une cuisine avec une table -conviviale- pour les repas, un espace de co-working, un local de musique, un emplacement Internet et une salle de réunion; au premier étage se trouvent les ateliers dédiés aux arts plastiques, textiles et numériques.
Un atelier à soi
C’est dans un open space que se déploie la dizaine d’ateliers. Ces derniers ne sont pas attribués au hasard: ici on réfléchit aux besoins des nouveaux arrivants et à l’infrastructure qui leur conviendrait le mieux, toujours dans le souci de leur bien-être. Chaque artiste se voit octroyer un atelier sur mesure et du matériel (toiles, pinceaux, machine à coudre, papiers, etc.).
«Ces nouveaux venus se retrouvent face à des obstacles, à des limitations, qu’elles soient financières ou psychologiques, pour développer leur pratique. On est là pour contourner ces difficultés», révèle An Vandermeulen. Forte de la subvention du gouvernement flamand, de la Vlaamse Gemeenschapscommissie (Commission communautaire flamande) et de la ville de Bruxelles, l’association est en mesure d’offrir la gratuité pour ses ateliers, pour le matériel et pour les sorties culturelles.
Pour cette maison des arts très engagée, apporter une infrastructure et approvisionner en fournitures ne suffit pas: le soutien à la professionnalisation y est essentiel
Mais pour cette maison des arts très engagée, apporter une infrastructure et approvisionner en fournitures ne suffit pas: le soutien à la professionnalisation y est essentiel. «Ce qui manque quand on arrive dans un nouveau pays, et surtout dans les conditions que l’on connaît, ce sont les contacts, le lien avec les gens qui ont la même vocation. Ils n’ont plus de réseau et on sait à quel point c’est nécessaire pour pouvoir évoluer». Globe Aroma organise donc activement des rencontres entre les artistes et le noyau culturel. Ainsi, galeristes, musiciens, responsables de salles de concert ou de danse sont régulièrement invités par Globe Aroma, afin de découvrir les réalisations de la communauté.
«Il est capital de tisser ce genre de lien car notre but est vraiment que nos artistes passent à l’étape supérieure», ajoute An Vandermeulen. Ceux qui, en revanche, ne le souhaiteraient pas, peuvent continuer à créer. Aucune limitation de temps d’ailleurs pour libérer un atelier. Tous les trois mois, le centre culturel lance un open call pour prévenir des places disponibles.
Une émulation collective et créative
Et si vous n’êtes pas artiste? Pas de panique, Globe Aroma accueille aussi tous ceux qui ont une inclination pour les arts et la culture. «L’idée, avec les projets cocréatifs, consiste à écouter avec attention notre communauté. On leur demande ce qu’ils souhaitent développer, on regarde si quelqu’un de l’intérieur possède une expertise; à défaut, nous invitons des gens de l’extérieur pour qu’ils échangent leur expertise avec nous», précise An Vandermeulen. Parmi les nombreuses collaborations, nous avons découvert Traces for the Future, Le Maillot -One Size Fits All et Talk with the Walls».
© Globe Aroma
Traces For the Future est un programme audio participatif entre la communauté de Globe Aroma et BNA-BBOT (Bruxelles Nous Appartient – Brussel Behoort Ons Toe), une organisation basée à Bruxelles qui développe des projets sonores socioartistiques. Une formation technique donnée aux artistes et créatifs nouveaux arrivants auprès de l’association leur permet de produire une émission radio qui sera diffusée sur les ondes. «Le contenu dépend toujours de ce que le groupe veut explorer. Notre organisation ne va pas imposer ce qui doit être développé. Le but est de les soutenir en leur trouvant des financements, les personnes qu’ils aimeraient inviter à participer, etc.», explique An Vandermeulen.
Dans la performance théâtrale Le Maillot – One Size Fits All, la troupe est composée d’artistes extérieurs (danseurs, photographes, vidéastes, designers, etc.) et de personnes affiliées à Globe Aroma. Ils ont tous en commun la passion du foot et le tout est guidé et mis en scène par le sportif et performeur multidisciplinaire Ahilan Ratnamohan. Autour de cet événement sportif, où l’on assiste à d’incessants tirages de maillot entre adversaires, la pièce tente de déconstruire la nature agressive et compétitive du foot et de bâtir, grâce à ce vêtement iconique, une réflexion inédite. Ainsi, Ahilan Ratnamohan fait défiler tout l’univers qui se construit derrière le maillot, en passant par les pays, les clubs, les villes, les villages, des sponsors, les compagnies pétrolières, etc. Une pièce collaborative, jouée avec succès au Kaaitheater et dans d’autres salles culturelles.
© Globe Aroma
Talk with the Walls a été initié par Espace Fxmme, un groupe de femmes et de personnes non binaires, constitué au sein même de Globe Aroma, s’interrogeant autour de thèmes tels que l’intersectionnalité, la solidarité, la participation, la créativité, l’inclusion, etc. Tous les jeudis, de 15:00 à 22:00, le centre leur est exclusivement réservé. La raison? «Longtemps, le centre a été fréquenté par les hommes et les femmes qui ne se sentaient pas toujours en sécurité ou libres de leurs actions. Et pour moi, il était hyper important que ces femmes s’approprient cette maison ouverte», insiste An Vandermeulen.
C’est ainsi que cette collectivité a été créée et a donné suite à ce projet qui pose une question centrale: comment créer un environnement sûr dans un endroit dominé par la présence masculine? La réflexion a donné d’abord lieu à la concrétisation de grands meubles à étagères mobiles, décorés par des dessins ou des installations textiles, déplaçables et transformables à souhait. Ensuite, la réalisation d’une fresque murale (The Mural) dans le hall de l’habitation. C’est à l’invitation de Globe Aroma que l’artiste visuelle russe Mirra Markhaëva est venue collaborer avec Espace Fxmme. Inspirées par des figures fortes et puissantes de l’iconographie féminine / non binaire, elles ont, ensemble, conçu dans la joie et la bonne humeur une composition puissante aux couleurs pop, représentant la sororité et les valeurs féministes.
Enfin, pour Getting Softer, le dernier volet d’Espace Fxmme, l’association a convié des artistes et artisanes, expertes en tissage et en broderie afghane. Cette initiative a permis une réflexion sur la manière de créer des lieux plus doux où l’hospitalité est au cœur des préoccupations, ainsi qu’une autre occasion de partager des histoires, des compétences et la vie.
Des excursions culturelles
Cofinancé par la Vlaamse Gemeenschapscommissie, ART FOR ALL a pour objectif de faire découvrir l’offre artistique bruxelloise aux nouveaux arrivants. Chaque mois, des visites sont organisées dans plusieurs maisons d’art et festivals bruxellois, toutes disciplines confondues (musique, théâtre, arts visuels, …). Une manière d’explorer la nouvelle ville pour ceux qui viennent d’arriver, par le prisme culturel. «Pour ce projet, on collabore énormément avec des centres d’accueil et des organisations qui travaillent dans le milieu de l’intégration», raconte An Vandermeulen.
An Vandermeulen: La connexion des réseaux et le partage des pratiques artistiques sont au cœur de nos valeurs
Un groupe fixe, d’une quinzaine de membres, élabore un programme d’événements pluridisciplinaires, dans différents centres d’art. Présentées en huit langues, ces activités s’adressent à tous les nouveaux arrivants intéressés par la culture. La sélection est quant à elle variée: il peut aussi bien s’agir d’un film dans un grand cinéma mainstream que d’un concert dans une petite salle underground. «C’est une manière pour nous de créer une sorte de cartographie subjective de la ville», explique An Vandermeulen.
Globe Aroma organise ces sorties, rencontres et débats avec des acteurs, des plasticiens, des musiciens, toujours dans le but de créer un réseau et de tisser des liens. «De ces rencontres naissent des choses concrètes, telles que des échanges avec un artiste qui viendrait faire un workshop à Globe Aroma. La connexion des réseaux et le partage des pratiques artistiques sont au cœur de nos valeurs», insiste la directrice.