Le traité de Courtrai a marqué le paysage
La récente pandémie nous a clairement rappelé qu’une Europe sans frontières demeure une utopie. Il existe bel et bien une frontière entre la France et la Belgique, fixée minutieusement il y a deux cents ans par le traité de Courtrai.
Le certificat Covid a fait couler pas mal d’encre ces derniers temps. Savoir où, quand, à quelle occasion, à qui et dans quel cadre législatif et réglementaire montrer son passe sanitaire reste une affaire délicate. Et sur le mont Noir, à la frontière entre la Flandre-Occidentale et la Flandre française, le sujet inquiétait encore récemment. Dans la Bellestraat, la rue qui sépare les communes de Locre et de Saint-Jans-Cappel, la politique divergente de la France et de la Belgique sur le port du masque de chaque côté de la frontière a provoqué de l’irritation. Au début août 2021, nul n’était tenu, du côté belge, de porter un masque alors que c’était le cas du côté français. Le quotidien lillois La Voix du Nord a trouvé le courage d’en rendre compte, alors qu’il ne s’agissait que d’un fait divers qui avait provoqué une situation analogue dans de nombreux autres endroits, une situation bien étrange, mais logique au regard du droit constitutionnel.
L’ouvrage intitulé Het Verdrag van Kortrijk 1820 (Le traité de Courtrai de 1820) paraît à point nommé pour expliquer l’origine de ce qui se passe aujourd’hui, deux cents ans plus tard exactement. Ce traité a en effet fixé le tracé de la frontière entre le Royaume de France, d’un côté, et le Royaume uni des Pays-Bas, de l’autre, jusqu’au niveau des rues et des ruelles, des parcelles, des chemins et des ruisseaux. Cinq ans plus tôt, après la chute de Napoléon et les décisions du congrès de Vienne, de nombreuses frontières européennes furent profondément modifiées. La France avait de nouveau un roi et les Pays-Bas du Sud avaient été rattachés à ceux du Nord pour former le Royaume-Uni des Pays-Bas.
Ces délimitations minutieuses correspondaient aux conceptions politiques modernes du congrès de Vienne. Elles étaient jugées nécessaires pour garantir la paix. Il fallait liquider les derniers vestiges de l’Ancien Régime, là où la féodalité médiévale avait laissé des traces. Les grands territoires très anciens comme les comtés ou les duchés, que nous nous représentons, par souci de simplicité, comme des entités d’un seul tenant étaient en réalité un patchwork territorial grêlé d’enclaves sous la souveraineté d’un autre État. Le tracé précis des frontières devait désormais permettre à un même territoire d’être régi par un même droit, de disposer d’un même système fiscal et d’être administré de la même manière. La Révolution française avait déjà transformé ces réalités d’un autre âge, et cette transformation constituait la base de travail des deux parties, la France et les Pays-Bas, qui créèrent en 1816 des commissions bilatérales afin de fixer une fois pour toutes le tracé de la frontière.
© musée de l'Armée
Tracé définitif
L’objectif des deux auteurs de l’ouvrage était de fournir une description très détaillée du déroulement des mesures, des points à résoudre et des stratégies des deux parties pour faire valoir au maximum leurs droits. Le fonds d’archives Grensverdrag / Traité des limites 1820, conservé aux Archives générales du Royaume à Bruxelles, sur plus de 12 mètres linéaires, offre le gros de l’information dans laquelle les auteurs ont puisé.
Pendant quatre ans, les négociateurs du traité, assistés de nombreux géomètres, cartographes et informateurs locaux, ont parcouru toute la frontière, de la mer du Nord jusqu’à l’extrême sud-est du Grand-Duché de Luxembourg. Celui-ci ne faisait pas partie stricto sensu du Royaume des Pays-Bas, mais avait été attribué en union personnelle à Guillaume Ier.
Le traité de Courtrai fut signé le 28 mars 1820 par les représentants des rois Louis XVIII et Guillaume Ier, lesquels y ajoutèrent leur propre signature dans les mois qui suivirent. Ni la Révolution belge de 1830, ni le traité des XXIV articles de 1839, qui scinda en deux le Luxembourg (la province belge et le Grand-Duché), ni l’indépendance ultérieure de ce territoire, ne modifièrent le tracé de la frontière, à quelques menues corrections près. Depuis, le traité généra parfois quelques problèmes, comme en 2003 lorsque la municipalité d’Halluin installa des poteaux devant l’abri de voiture d’un habitant de Menin au motif qu’en vertu du traité une distance de quelques mètres par rapport à la ligne de frontière aurait dû être respectée.
© Michiel Hendryckx
Le livre est superbement édité, abonde de cartes en couleur, et contient le texte intégral du traité. Mais il a aussi ses faiblesses. On peut s’interroger sur l’utilité de la description exhaustive des déplacements effectués par les négociateurs et leur personnel pendant quatre ans. Cette remarque vaut également pour la première partie de l’ouvrage qui traite (superficiellement) de l’histoire de la genèse du traité… et remonte à 1258 av. J.-C. Par ailleurs, la rédaction aurait pu être plus soignée, afin d’éviter nombre d’erreurs d’impression, d’expression et de contenu. Mais pour qui s’intéresse à l’histoire de la frontière de cette époque ou est fasciné par les bornes frontières que l’on peut encore rencontrer dans le paysage, avec le N du côté néerlandais et le F du côté français, l’ouvrage présente une certaine utilité.