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Une belle excursion à travers cinq villages de Flandre française

Par Wim Chielens, traduit par Jean-Philippe Riby
18 août 2021 8 min. temps de lecture De retour avec «Les Pays-Bas en France»

Les frontières étant enfin rouvertes, Wim Chielens peut reprendre ses excursions en Flandre française, avec le guide de Van Overstraeten (1969) à la main.

Pour cette excursion, je tenais absolument à me rendre sur le mont de Watten, dénommé officiellement la montagne de Watten. J’habite au creux des monts de Flandre-Occidentale (mont Kemmel, mont Rouge, etc.), une chaîne des collines qui se prolonge de l’autre côté de la frontière, en France, par le mont des Cats et le mont Cassel. La hauteur la plus à l’ouest est la montagne de Watten, près du village de Watten (prononcé «Ouate»). À partir de là, je souhaite passer dans quatre villages hors du temps, qui offrent tous un pourtour d’église paroissiale entièrement préservé.

Watten, sur les bords de l’Aa

Watten possède un riche passé, et Van Overstraeten y consacre deux pages entières dans son guide Les Pays-Bas en France. Les événements historiques se sont surtout déroulés au sommet de la colline, mais je préfère commencer ma visite dans le village en contrebas. Watten est situé sur les bords de l’Aa, maintenant canalisé, qui sépare pratiquement les départements du Nord et du Pas-de-Calais. La Grand-Place est bitumée pour le trafic de transit et quelques places de stationnement. L’Auberge flamande que Van Overstraeten mentionne déjà, existe toujours. L’hôtel La Tête d’or a disparu. Il existe en revanche un café au nom d’origine: Le Calypso. Le village possède certes de belles maisons, mais seule la rue de l’Église, qui part de la place pour rejoindre l’église un peu plus haut, mérite qu’on descende de voiture pour mieux se rendre compte. Cette ruelle ne fait guère plus de deux mètres de large et conduit tout droit au portail de l’église Saint-Gilles, précédé d’un clocher-porche massif.

Intérêt stratégique de la montagne de Watten

J’étais en voiture, mais de nombreux visiteurs explorent la région à vélo, en raison principalement du défi représenté par la pente pour gagner le sommet de la montagne de Watten. Malgré une altitude modeste de 72 mètres, l’ascension du mont à partir du village est particulièrement éprouvante. Deux monuments historiques attirent la curiosité: le moulin de pierre et la tour de l’ancienne abbaye. La montagne de Watten, qui offre une vue sur une large vallée, a toujours revêtu un intérêt stratégique. Les Celtes et les Romains s’y étaient déjà établis, avec une voie menant à la ville de Cassel, grand nœud routier. Louis XIV et son ministre Mazarin ont également vu l’intérêt militaire de cette hauteur et, à l’instigation de Vauban, y ont fait édifier deux fortifications, l’une sur la colline, l’autre dans la vallée, autour de l’église.

Une abbaye y a été fondée au XIe siècle et a résisté pendant sept siècles à toutes les tourmentes. Après sa destruction à la Révolution française, elle a fait place à une grande ferme. Seule la tour gothique a été préservée. La ferme et la tour existent encore, mais les visites se font sur rendez-vous. Le moulin se dresse plus en contrebas, à l’endroit où se trouvait un bastion, lequel faisait partie des fortifications. Le moulin a été construit avec des pierres provenant de l’abbaye démantelée. Le site autour du moulin est aménagé en promenade offrant une vue panoramique sur la Flandre maritime vers le nord et le superbe paysage de marais, avec ses wateringues (canaux de drainage) par centaines allant jusqu’à Clairmarais.

Lederzeele: un coup d’œil par-dessus la haie

De Watten nous prenons la direction de Cassel et traversons quelques jolis villages flamands étonnamment conservés. Van Overstraeten écrit en 1969 que ce sont les villages les plus au sud où le néerlandais (flamand) est encore parlé. Il ne doit plus en rester grand-chose, mais un petit tour dans le cimetière (toujours près de l’église) permet de se rendre compte que les trois quarts des noms sont flamands: Heens, Leurs, Declerck, Persyn, Cloet.

Nous commençons par Lederzeele. L’église a été gravement endommagée en 1955 puis restaurée. Une tourelle élancée grimpe le long du clocher massif qui abrite un tout petit carillon de sept cloches. Nous avons pu constater à midi, lorsque nous y étions, que ce carillon pouvait parfaitement égrener l’Ave Maria de Lourdes.

Une des sources de l’Yser se trouve au Haeneberg, à Lederzeele. Le village est également traversé par l’itinéraire cycliste Les rives de l’Yser. À Lederzeele, de même que dans les autres villages que nous allons visiter, nous pouvons faire une intéressante promenade autour de l’église. À l’angle nord-ouest, nous sommes en présence des vestiges de la motte féodale que les seigneurs du village ont érigé à la fin du XIe siècle. Tout le côté nord, rue du Contour de l’Église, jouxte un beau domaine. Cela vaut la peine de jeter un coup d’œil par-dessus la haie pour admirer les splendeurs du verger et du potager. Un conseil que je peux donner, du reste, pour l’ensemble de l’excursion à travers ces villages de Flandre française. Les haricots poussent le long de branches de saule; les tomates sont prêtes à être cueillies; radis, choux (de Bruxelles ou d’ailleurs), carottes, poireaux, tous ces légumes poussent sur des parcelles impeccables, dans des jardins à l’abri du vent qui fournissent des fruits et légumes depuis des siècles aux habitants.

Le joyau le plus authentique

Volckerinckhove emporte la palme de ce tour des villages. Par l’abondance des demeures anciennes décorées par des dessins de briques (appelées signes des maçons ou signes runiques), qui correspondent souvent aussi aux initiales des constructeurs. Le superbe mur entourant l’ancien presbytère est particulièrement remarquable, avec ses différents groupes de lettres, dont J.H.S. pour Jésus, B.M.V. pour Bienheureuse Vierge Marie, et S.F. pour saint Folquin, patron de l’église. Laquelle est tout à fait singulière. On y retrouve cinq périodes de construction différentes, essentiellement de la période romane à la période gothique. Au XIXe
siècle, une sacristie néogothique a été ajoutée au monument. Là aussi, il faut voir le contour de l’église, avec à l’ouest et au sud deux écoles caractéristiques du XIXe, l’une pour les filles, l’autre pour les garçons.

Le restaurant Herberge in d’Hope vient d’être rénové, dans un style typique sans goût véritable, mais le soleil nous invite à prendre le déjeuner dominical sur la terrasse. Comme pour l’architecture du village, le temps semble avoir suspendu son vol au-dessus du menu. En entrée, cocktail de crevettes (dans une coupe avec la feuille de salade et les deux quartiers de tomate qui vont toujours avec) ou une bouchée à la reine (vous n’allez quand même pas imaginer qu’il s’agissait ici d’un plat principal). En plat de résistance, un steak. Je demande quelles sont les sauces d’accompagnement. La patronne me lance d’un air apitoyé: «La sauce aux échalotes, pardi!», comme s’il ne pouvait y avoir d’autre sauce pour un morceau de rumsteck. Il faut avouer que la cuisson était parfaite, la sauce délicieuse et les frites excellentes!

Nous nous rendons à Buysscheure et passons à Broxeele. Ce village a exactement la même étymologie que Bruxelles et ses habitants l’ont bien compris. Une réplique du Manneken Pis se dresse devant une belle demeure devenue la mairie! L’église est petite et le tour de l’église très modeste, mais bien préservé.

Tisje-Tasje

Sur la route de Buysscheure, nous passons au-dessus d’un petit cours d’eau canalisé qui se révèle être l’Yser. En coopération avec la province de Flandre-Occidentale, un lieu de repos a été aménagé ici, avec des tipis de bois identiques à ceux que l’on peut rencontrer au bord de l’eau en Flandre, notamment à Roesbrugge, Fintele et Dixmude.

Buysscheure est le lieu de naissance de l’Uylenspiegel de Flandre française: Tisje-Tasje. L’Union des touristes flamands (VTB) a apposé une plaque à sa mémoire sur la façade de l’église. Jan Baptist Van Grevelingen doit son surnom au diminutif de son prénom (Baptiste – Tisje) et sa profession (colporteur de tasses ou muni de sacs). Il semble avoir bénéficié d’un humour irrésistible pour vendre sa marchandise. Les colporteurs font bien plus vrai que les humoristes! Il parlait flamand et a même écrit une pièce de théâtre populaire intitulée justement Tooneel-Stuck (Pièce de théâtre). Tisje-Tasje est enterré à Noordpeene.

L’église de Buysscheure doit avoir été restaurée récemment, car elle resplendit dans son manteau de briques. Son clocher massif est surmonté d’une flèche trop étroite pour couronner l’édifice. Le contour de l’église est ici aussi bien préservé, avec ses maisons anciennes correctement entretenues, dont certaines sont devenues des cafés. Du côté ouest de l’église, la place est bordée de maisons ouvrières. C’est la place du Jeu de paume, activité que j’ai déjà évoquée dans un article antérieur à propos de Zegerscappel. Rubrouck possède aussi sa place du Jeu de paume. Comme dans tous ces villages, on y trouve des panneaux d’information en trois langues: français, néerlandais et flamand régional!

Rubrouck est le dernier village que nous visitons. Le personnage de Guillaume de Rubrouck et le petit musée consacré à ce moine franciscain du Moyen Âge, envoyé en mission auprès des Mongols, a été souvent évoqué dans les annales bilingues De Franse-Nederlanden-Les-Pays-Bas Français. Le musée est installé sur le contour de l’église (rounde van de kerke en flamand de Flandre française) et, ici encore, une petite promenade s’impose. Différentes constructions valent aussi le coup d’œil: une demeure joliment maçonnée, une belle série de maisons basses le long de la ruelle du Haut Pont, l’ancien presbytère devenu mairie, une ancienne motte féodale, la maison Moreel et ses mascarons (masques sculptés) surmontant les linteaux des fenêtres.

Ce sont donc cinq villages sur lesquels Jozef Van Overstraeten n’est pas dithyrambique, mais dont la visite groupée permet de passer une très belle journée en Flandre française. Ils sont particulièrement préservés et bien entretenus. On n’y voit pas cet état d’abandon ou ce laisser-aller très français qui caractérise surtout les petites localités. La campagne ne semble pas avoir changé depuis deux siècles, et c’est à vrai dire plus curieux que la description que je peux en donner.

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Wim Chielens

directeur général de l'Académie des Beaux-Arts de Poperinge; rédacteur annales De Franse Nederlanden-Les Pays-Bas Français

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