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histoire, pays-bas français

Une cantate pour le train entre Lille et Courtrai

Par Bart Noels, traduit par Jean-Philippe Riby
4 février 2022 6 min. temps de lecture Sans bornes

Le train redevient un enjeu politique. Les trains de nuit reprennent du service. En France, l’interdiction de vols intérieurs courts profite au chemin de fer. Pour la région frontalière, la SNCB et la SNCF s’entretiennent depuis des années afin de rendre plus confortables les trajets transfrontaliers. L’histoire se répète. Au début du XIXe siècle, une nouvelle ligne entre Lille et Courtrai a permis de relier directement les deux capitales, Paris et Bruxelles.

Les usagers réguliers de la ligne Courtrai-Lille ne risquent guère de tomber sous le charme visuel de la région frontalière. Depuis leur siège, ils voient défiler un paysage désordonné. Le constat est triste: des usines, des friches, des arrières de bâtiments, et en approchant de Lille, les camps de roms le long des voies, avec des conditions de vie épouvantables. Une telle vision ne laisse en rien supposer que cette ligne a toute une histoire et qu’elle jouissait d’un statut emblématique pour avoir été la première liaison ferroviaire internationale entre Paris et Bruxelles.

«Le chemin de fer a semé les premières graines de l’Europe actuelle», s’enthousiasme à juste titre l’auteur de l’introduction du numéro thématique Grenzeloze Spoorwegen (Voies ferrées sans frontières), édité récemment par la revue flamando-néerlandaise Erfgoed van Industrie en Techniek (Patrimoine industriel et technique). Dans son article, Adriaan Linkers se penche sur la première ligne de chemin de fer entre deux capitales européennes. Le tronçon compris entre Courtrai et Lille représentait un maillon essentiel de cette ligne Paris-Bruxelles.

La Belgique fut pionnière

Au début du XIXe siècle, des projets ambitieux virent le jour visant à relier le bassin industriel wallon au reste du territoire belge et de l’Europe. La Belgique naissante tenait à être pionnière dans ce domaine. Les industriels se lancèrent dans l’aventure, l’État décida d’investir, et une loi de 1837 précisa: «Il sera établi, aux frais de l’État, un chemin de fer de Gand à la frontière de France et à Tournai, par Courtray.»

Ces investissements dans une liaison depuis le sud-ouest permettaient d’effectuer une jonction avec le réseau est-ouest. Avec son réseau ferroviaire, la Belgique était en avance sur ses voisins du Sud. En France, le train connut un essor plus tardif. Lille n’était pas encore reliée à Paris. Dans l’Hexagone, le bassin minier en fut le catalyseur. La mine d’Anzin réclamait la construction d’un chemin de fer pour être reliée aux ports fluviaux de l’Escaut et de la Scarpe.

La première voie transfrontalière vit le jour en 1842: le tracé de Mouscron à Tourcoing reliait la Belgique à la France

Deux ans seulement après la décision belge, une ligne fut construite entre Gand et Deinze, suivie du tronçon Deinze-Courtrai. En 1839, Courtrai ouvrit provisoirement un premier «débarcadère de chemin de fer», comme on disait alors. Peu après, ce fut le tour de la ligne Courtrai-Mouscron. La première voie transfrontalière vit le jour en 1842: le tracé de Mouscron à Tourcoing reliait la Belgique à la France.

Entre-temps, les Français n’étaient pas restés inactifs, même si le projet ferroviaire avait plus de mal à aboutir, freiné par les discussions entre villes à propos des gares et des tracés. Les travaux ferroviaires de Lille vers la Belgique ne débutèrent qu’en 1841. Deux lignes devaient relier la capitale du Nord à l’industrie flamande et wallonne: la première par Valenciennes pour rejoindre Mons, la seconde de Roubaix et Tourcoing vers Courtrai et Gand. Les travaux progressèrent rapidement.

«Courtrai devint alors la ville où les Français du Nord découvraient le plaisir du voyage en train», écrit Adriaan Linters. À juste titre, car au moment où la liaison franco-belge était achevée, Lille n’était pas encore reliée à Paris. De surcroît, Lille ne disposait pas encore de gare digne de ce nom. L’emplacement de la future gare donnait en effet lieu à d’âpres discussions. En 1843, un compromis fut trouvé pour construire deux gares: l’une en dehors de la ville, à Fives, et l’autre, en cul-de-sac, dans la ville. La gare de Fives entra en service en 1844, mais la décision concernant l’emplacement de ce qui est aujourd’hui la gare de Lille-Flandres n’intervint qu’en 1845.

Ce fut aussi la période des travaux de construction de la ligne reliant Paris à Lille. La Compagnie du chemin de fer du Nord, une société anonyme, obtint une concession pour construire et exploiter la ligne. Poursuivant l’œuvre de l’État français, la Compagnie put aménager «la grande ligne du Nord», gares comprises.

«Ce n’était pas là un voyage ordinaire»

En 1846, tout était prêt. La ligne Paris-Bruxelles était entièrement achevée dans les deux pays. Les compagnies ferroviaires belge et française s’entendirent au sujet des billets. Des centaines de voyageurs purent prendre le train entre les deux capitales, dans un sens ou dans un autre, en une journée, et se retrouver tous à Lille. Sur l’Esplanade de la capitale du Nord, les invités, après plusieurs coupes de champagne, écoutèrent d’Hector Berlioz une «symphonie héroïque» (dénommée ainsi par l’Écho du Nord, mais correspondant à l’Apothéose de sa «Symphonie funèbre et triomphale») ainsi que sa cantate composée pour l’occasion, Le Chant des chemins de fer.

Des personnalités comme Victor Hugo, Ingres ou Lamartine étaient présents à la cérémonie. La compagnie reprit ensuite le train à travers la Belgique. Un journaliste français nota que les Belges s’extasiaient un peu plus sur la nouvelle liaison ferroviaire. «C’est que le peuple belge, le peuple de ces paisibles campagnes avait compris avec un heureux et admirable instinct que ce n’était pas là un voyage ordinaire», indique Adriaan Linters, citant un journal parisien.

«Bruxelles-Paris fut la première ligne de chemin de fer transfrontalière à relier deux capitales, un élément déterminant pour l’avenir de l’Europe», indique Linters à la fin de son article.

Il en va de même, aujourd’hui encore. La gare de Lille, qui s’est adjoint la gare TGV voisine de Lille-Europe, demeure l’une des plus fréquentées de France, après les gares parisiennes et la gare de Lyon-Part-Dieu. Nombreux sont les Belges qui prennent cette ligne. Depuis peu, ils peuvent aussi se rendre à Tourcoing, d’où partent des trains à grande vitesse qui desservent de nombreuses destinations du Midi de la France. Le trafic voyageurs est assez satisfaisant, même si la liaison entre Lille et Courtrai ne peut concurrencer la route, en raison des nombreux arrêts. Depuis quelque temps, on peut acheter ses billets en ligne pour les trajets entre les deux villes, alors que jusqu’ici il fallait utiliser les distributeurs automatiques de billets, en gare.

Le fret ferroviaire, en revanche, doit rattraper son retard. La liaison fluviale Seine-Escaut ne pourra remplacer tous les camions. La frontière franco-belge ainsi que le manque de lignes et de plateformes multimodales constituent une grande pierre d’achoppement pour le trafic marchandises.

Toujours bon à savoir: nous devons la synchronisation des horloges en Europe au réseau ferré européen. Jusqu’à l’arrivée du chemin de fer, chaque ville et village vivait à l’heure de son clocher. La situation est devenue intenable, bien entendu, lorsqu’il a fallu coordonner les horaires ferroviaires d’une région ou d’un pays à l’autre. Aussi le train a-t-il permis d’y remédier.

Nous remercions enfin Adriaan Linters pour son article «Over de grens, van Parijs naar Brussel» (En passant la frontière, de Paris à Bruxelles) paru dans le numéro thématique 3+4 de la revue flamando-néerlandaise du patrimoine industriel et technique Erfgoed van Industrie en Techniek. Vlaams-Nederlands tijdschrift voor industriecultuur. Ce numéro, en néerlandais, est intitulé «Grenzeloze Spoorwegen» (Voies ferrées sans frontières) et peut être commandé sur le site erfgoed.org.

Bart-noels

Bart Noels

journaliste freelance et initiateur du projet francobelge.news

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