Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Elke de Rijcke, une écrivaine translingue
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Elke de Rijcke, une écrivaine translingue

Poétesse, performeuse, essayiste, traductrice, professeure d’arts et de littérature aux Écoles supérieures d’art Saint-Luc et l’ERG à Bruxelles, écrivaine bilingue, Elke de Rijcke est l’autrice d’une œuvre exigeante. Son travail interroge le matériau de la langue, des langues plus exactement, du français au néerlandais, ainsi que les liens épistémologiques entre la littérature, les arts et les sciences. Véronique Bergen s’est entretenue avec elle.

Elke, tu as créé une œuvre littéralement inclassable, ambitieuse qui, souvent, repose sur le dialogue avec d’autres créations artistiques ou scientifiques. Je songe à la présence de Marina Tsvétaïéva, Rogier van der Weyden (Rogier de la Pasture), Beethoven, Tarkovski, Purcell, Kupka, Antonio Damasio. En quoi le dialogue est-il au fondement de ton geste d’écrire?

Écrire n’a jamais été un acte solitaire, mais l’ouverture d’un espace de conversation intense avec d’autres. On ne peut faire face seule à cet énorme volume appelé «monde» où nous sommes immergés. Chaque livre a été ancré dans une phase particulière de ma vie qui nécessitait une métamorphose afin de faire face à certains événements.

Ces métamorphoses se sont accomplies en compagnie d’interlocuteur.trices des divers champs, littéraires, plastiques, sonores, scientifiques et géographiques. Recherchés pendant la préparation de mes livres, ces interlocuteurs m’aident à approfondir la problématique à laquelle je suis confrontée, à comprendre où et comment je suis inscrite dans le tissu de la vie pour pouvoir me déplacer, et avancer. Car l’objectif a été à chaque fois de comprendre ma destinée et sa destination, afin de rester dans le flux. Il s’est agi d’intégrer, en compagnie élective, des processus sensibles qui engagent le complexe du corps, de l’âme et de l’esprit.

Peux-tu définir les protocoles expérimentaux que tu élabores dans le champ poétique, une poésie dont tu déplaces les limites, les frontières?

Mes protocoles expérimentaux visent à mettre en forme une expérience poétique qui répond rythmiquement, syntaxiquement et thématiquement à une expérience de vie. Il n’existe pas de protocole prédéfini par livre, c’est l’expérience de vie traversée et les interlocuteur.trices qui déterminent la forme poétique de chaque livre. Mon dernier livre Juin sur avril (2021), qui trace le récit initiatique d’une métamorphose astrologique, est l’ouvrage qui s’engage le plus loin dans ce défi.

Pour ce faire, je me suis installée dans The Flux and The Puddle (2014), un gigantesque cube du sculpteur David Altmejd pour «scanner poétiquement» ses quatre faces, les étendre ensuite à d’autres œuvres plastiques des XIXe - XXIe siècles, à travers une langue poétique qui déploie les enseignements du neuroscientifique Antonio Damasio sur le rôle crucial des émotions dans la création de notre esprit (L’Autre moi-même: Les Nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions).

Tu as la particularité très rare d’être une écrivaine totalement bilingue, écrivant en français et en néerlandais. Comment vis-tu ta pratique des deux langues au niveau poétique? Qu’est-ce qui te pousse à entamer un projet poétique en français?

Mon bilinguisme joue un rôle très actif dans mon écriture. On pourrait dire que je suis essentiellement une écrivaine translingue, dont la langue maternelle est le néerlandais, et la langue d’expression le français (appris très rapidement après ma première langue maternelle).

Or je viens de terminer un nouveau livre de poésie bilingue français-néerlandais, Paradisiaca. Un Lac-Opéra, où l’interaction entre mes deux langues est centrale. Paradisiaca a été écrit en français, puis adapté par moi-même à travers une auto-traduction créatrice en néerlandais.

Il ne s’agit pas d’une traduction littérale, mais d’un processus où les versions française et néerlandaise se sont co-déterminées jusqu’à ce que j’arrête formellement le processus, et obtienne un double livre dont les volets sont comme des jumeaux dizygotes.

Quand on a deux langues, on ne se situe plus en paradigme «monolingue» avec une seule langue maternelle et des langues étrangères, mais en paradigme «plurilingue» où plusieurs langues maternelles structurent la vie et l’écriture. Ces langues maternelles multipliées deviennent du coup aussi des langues étrangères. Cette problématique est particulièrement sensible dans mon écriture qui se développe sur un champ constant de traduction inter- et intralinguistique (où la question de langue maternelle et étrangère est moins importante que celle de trouver ma «langue natale»), et dans ma pratique de traduction littéraire qui fait intégralement partie de mon geste poétique.

Derniers ouvrages parus: Juin sur avril, LansKine, 2021 et Et puis, soudain, il carillonne (Selected, 2005-2021), LansKine, 2023.

Dernière traduction: Kees Ouwens, Du Perdant & de la source lumineuse, La Lettre volée, 2017.
Traduction en préparation: Kees Ouwens, Mythologies.

Pour la problématique d’écriture et de plurilinguisme, voir ici.
Une version élaborée de cette réflexion a été présentée au colloque Écrire en français langue autre au XXIe siècle à La Sorbonne Abu Dhabi.

Prochains événements en France:
Elke de Rijcke et Stéphane Bouquet, Maison de la poésie de Paris, 27 juin 2024.
Elke de Rijcke et Hélène Sanguinetti, Centre international de poésie de Marseille, mars 2025.
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