Une fébrilité certaine: Jeroen Brouwers recevait le Femina étranger en 1995
Jeroen Brouwers est décédé le 11 mai 2022. Bien que seulement quatre de ses romans aient été traduits en français, ce grand écrivain néerlandais a eu un succès à ce jour inégalé dans le monde francophone. Dans ce billet, Hans Vanacker revient sur l’annonce de la remise du Femina étranger à Brouwers en 1995.
Tard un matin de l’automne 1995, une atmosphère nerveuse s’est soudainement emparée de notre rédaction. La grande nouvelle s’était-elle déjà rendue jusqu’à nous? Jeroen Brouwers venait de remporter le prix Femina étranger pour son roman Rouge décanté. L’événement représentait un remarquable soutien pour la littérature néerlandaise traduite en français, c’est certain.
Nous nous sommes immédiatement mis à la recherche d’un auteur qui pourrait en toute urgence écrire un article sur Brouwers et Rougé décanté, car le prochain numéro de Septentrion était sur le point de partir pour l’imprimerie. L’expert en littérature néerlandaise Jaap Goedegebuure est venu à notre secours. Nous avons inclus un extrait du roman de Brouwers dans son article.
© P. Van Den Abeele
Sans tomber dans l’exagération, on peut conclure que la littérature néerlandaise en traduction française se porte beaucoup mieux en 2022 qu’en 1995. Les traductions sont plus nombreuses, les bons traducteurs ayant reçu une formation de qualité aussi; plus d’auteurs néerlandais et flamands figurent désormais dans les fonds d’éditeurs francophones, certains noms d’auteurs sonnent désormais de manière familière aux oreilles des francophones amateurs de littérature.
Bien sûr, cette évolution favorable n’est pas uniquement due au choix effectué par le jury du prix Femina étranger de l’époque, mais la victoire de Brouwers reste un exploit audacieux. Pas un seul écrivain néerlandophone n’a réussi à en faire de même. Jeroen Brouwers est décédé récemment. Il venait d’avoir 82 ans. Ce romancier et essayiste était sans aucun doute l’un des écrivains néerlandais les plus talentueux et les plus remarquables de ces dernières décennies. Quelques-uns de ses romans ont été traduits en français. On peut trouver un beau portrait de l’œuvre de Brouwers dans un article publié par Dirk Leyman dans Septentrion.
Jeroen Brouwers, Prix Femina Étranger 1995
Jeroen Brouwers naquit le 30 avril 1940. La ville qui hébergeait son berceau s’appelait encore Batavia. Chaque Néerlandais pouvait alors sans peine identifier ce toponyme au centre administratif de la colonie des Indes néerlandaises. Neuf années plus tard, c’était la valse des panneaux de signalisation. Cette partie de l’empire d’outre-mer avait réussi à s’émanciper au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et obtint son indépendance sous le nom de République d’Indonésie; la capitale s’appelait désormais Jakarta. Ces changements historiques ont exercé une influence déterminante sur la vie et l’écriture de Jeroen Brouwers. Au cours de l’occupation japonaise des Indes néerlandaises, il avait été interné avec sa mère, sa petite sœur et sa grand-mère dans le camp de Tjideng, situe dans les faubourgs de Batavia. Cet internement brutal avait été le lot de tout Néerlandais résidant dans les Indes, qu’il soit jeune ou vieux. Les hommes furent même séparés de leur famille et employés comme prisonniers de guerre dans l’industrie de guerre japonaise ou à la célèbre voie de chemin de fer de Birmanie.