Anna Enquist est le nom de plume de Christa Widlund-Broer (°1945). Écrivaine, poète, psychanalyste et musicienne, Anna Enquist est l’autrice de romans, nouvelles et poésies. Plusieurs de ses romans sont parus en traduction française chez Actes Sud. Le poème «Een menigte» (Une foule) est tiré de De tussentijd (De Arbeiderspers, Amsterdam, 2004).
© Librairie Mollat
Une foule
Étonnée la mère s’est aperçu
qu’elle devenait une foule.
Cela s’est produit en quelques
jours, elle paraissait morcelée
en un éventail de femmes.
Il y avait la désarmée joyeuse
occupée à jouir de sa mémoire;
la vaincue, qui vite voulait se mettre
en route vers quelque mort que ce soit;
la triste qui n’y comprenait rien,
qui ne voyait jamais que de douces
ailes de papillons battre sans cesse
contre les joues de l’enfant. Autour
du petit groupe fulminait la furie
avec des pamphlets et des lettres rageuses
en ses mains. À l’arrière marchait
la mère de désespoir qui depuis des mois
n’avait plus vu de coiffeur.
Comment les garder, veiller à ce que chacune
traîne les pieds dans la même direction?
Il nous est arrivé quelque chose, peut-elle dire,
nous sommes la foule qui s’appelle mère.
Et celle au loin, debout près de l’eau
et qui fait signe, est l’une d’entre nous.
Een menigte
Verbaasd merkte de moeder
dat zij een menigte werd.
Binnen enkele dagen was het
gebeurd, bleek zij uiteengevallen
in een waaier van vrouwen.
De weerloos-blije liep daar
van haar geheugen te genieten;
de verslagene, die snel op weg
wilde naar welke dood dan ook;
de trieste die er niets van begreep,
die alleen zachte vlindervleugels
tegen de wangen van het kind
zag slaan, onophoudelijk. Rond
het groepje stormde de furie,
pamfletten en woedende brieven
in de handen. Achteraan ging
de wanhoopsmoeder die al maanden
de kapper niet had gezien.
Hoe hen te hoeden, te zorgen dat elk
de voeten in dezelfde richting sleept?
Ons is iets overkomen, kan ze zeggen,
wij zijn de menigte die moeder heet.
En zij die in de verte aan het water
staat, en wenkt, is een van ons.