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histoire compte rendu

Une histoire de (ce qu’on appelle) la Belgique: «België, 2000 jaar geschiedenis»

Par Rolf Falter, traduit par Pierre Lambert
26 juin 2024 6 min. temps de lecture

2000 ans d’histoire du territoire désormais appelé Belgique, c’est ce que proposent Guy Vanthemsche et Roger De Peuter dans leur ouvrage België, 2000 jaar geschiedenis. L’opus de presque sept cents pages est une synthèse de qualité avec, çà et là, quelques réinterprétations prudentes.

L’année dernière, les éditions Cambridge University Press publiaient l’ouvrage A Concise History of Belgium de Guy Vanthemsche et Roger De Peuter, tous deux professeurs émérites rattachés Vrije Universiteit Brussel. Cet opus de 400 pages s’inscrivait dans une série consacrée aux nations européennes. La version néerlandaise België, 2000 jaar geschiedenis (Belgique, 2000 ans d’histoire), a abandonné toute prétention à la concision et s’étend sur 700 pages.

Un choix qui s’explique assurément par la nécessité d’apporter bon nombre d’éclaircissements et plus de nuances pour le lectorat néerlandophone concerné de lus près par le sujet. En effet, dès l’introduction, les auteurs marchent sur des œufs. L’histoire nationale, telle qu’elle a été pratiquée tout au long du XXe siècle, est dépassée. C’est pourquoi ils se limiteront à décrire et à analyser le passé de cet espace géographique qui a aujourd’hui pour nom la Belgique. S’ils sont bien conscients du caractère arbitraire d’un tel choix, ils soulignent ne vouloir en aucun cas «justifier une quelconque forme d’État, existante ou souhaitée».

Les deux historiens parviennent à leur fin, et ce dès l’introduction, en empruntant certes quelques voies détournées. Ils énumèrent huit faits et évolutions historiques qui illustrent la singularité de ce territoire. Ils convient lectrice et lecteur à un voyage plutôt étrange à travers les paysages vus par Léopold Ier en se rendant dans sa nouvelle patrie pour sa prestation de serment en 1831. Enfin, ils consacrent pas moins de quatre pages aux différentes acceptions que peuvent prendre huit termes: Belgique, Lage Landen (les Plats Pays), néerlandais, Flandre, Brabant, Liège et Wallonie. On a l’impression de subir une cure de dénationalisation avant d’entrer dans le vif du sujet.

Après seulement un tiers du livre, les auteurs abordent déjà la Révolution française. Selon eux, tout ce qui précède n’a pas encore grand-chose à voir avec la Belgique, pas même chez Jules César, qui a été le premier à mentionner par écrit ce territoire.

L’ouvrage propose un survol assez classique des époques romaine, franque, féodale, bourguignonne et habsbourgeoise, tout en intégrant quelques éclairages originaux. Ainsi, la période romaine a constitué par sa stabilité un intermède d’une durée exceptionnelle parmi une succession de vagues migratoires. L’Église catholique a façonné la période franque sans toutefois encore imprégner la société. Curieusement, les villes flamandes ne se sont pas converties en cités-États comme en Italie du Nord, malgré de nombreuses similitudes. Les Bourguignons ont bâti leur pouvoir sur un pacte tacite avec ces villes nanties et puissantes; Philippe II a mis brusquement fin à ce pacte. Les Espagnols, après avoir vainement lutté contre la République, ont accordé à nouveau une plus grande autonomie au sud. Jusqu’en 1750, les Autrichiens ont rechigné à gouverner le territoire qui leur avait été attribué, n’y voyant qu’une possible monnaie d’échange.

En ce qui concerne la période contemporaine, à partir de 1789, les chapitres les plus intéressants sont probablement ceux qui traitent du contexte socio-économique. Exhaustifs, bien structurés et solidement étayés, ils brossent un tableau précis. Vanthemsche et De Peuter nuancent la révolution industrielle sur la toile de fond d’une agriculture encore dominante. Ils analysent minutieusement le lent et douloureux déclin de cette agriculture. Ils mettent en lumière la misère noire du prolétariat en 1880 à l’aide de comparaisons avec les pays voisins.

Vanthemsche et De Peuter nuancent la révolution industrielle sur la toile de fond d’une agriculture encore dominante

Les auteurs décrivent l’essor rapide des mouvements sociaux après l’instauration du suffrage universel. Ils soulignent que l’économie belge a continué à prospérer –à l’échelle mondiale– jusque dans les années 1930. Ils analysent avec précision comment la haute finance belge a préservé la population de la famine sous l’Occupation grâce à une collaboration peu honorable avec les Allemands. Ils soulignent avec indulgence les bienfaits de la sécurité sociale, puis son érosion inexorable.

Les deux historiens semblent moins familiers du terrain politique, et a fortiori communautaire. Dans ces domaines, le livre se retranche derrière une approche prudente et didactique, restant parfois assez flou sur les sujets les plus clivants (guerres, royauté, crises communautaires, etc.). Néanmoins, par l’abondance des données traitées, il s’agit aussi d’un solide ouvrage de référence sur les questions communautaires.

Les pages consacrées au Congo livrent également un récit à la fois serein et incisif. Et, de temps à autre, on trouve l’amorce d’une nouvelle idée, dont on peut déplorer qu’elle ne dépasse pas le stade embryonnaire. À trois reprises, les auteurs soulignent que la Belgique, après avoir très tôt basculé dans l’ère moderne, entre 1780 et 1830, est devenue la troisième démocratie parlementaire, ce qu’elle n’a d’ailleurs jamais cessé d’être jusqu’à ce jour. Ce que l’on veut surtout souligner ici, c’est qu’en 1847 a été élu –certes au suffrage censitaire– un gouvernement qui s’opposait au roi et à l’establishment, sans que ceux-ci s’insurgent contre ce nouveau pouvoir. La démocratie implique aussi et avant tout un changement de pouvoir sans effusion de sang.

Tout aussi intéressante est l’ébauche d’une thèse selon laquelle le territoire occupé aujourd’hui par la Belgique possède sans conteste une riche et singulière expérience en matière de relations internationales. Vanthemsche et De Peuter affirment à juste titre qu’il s’agit d’un choix délibéré de la diplomatie belge, après les sinistres expériences vécues entre 1914 et 1945 (et encore plus loin dans le passé). Auparavant, ils avaient déjà fait remarquer que la Belgique devait s’efforcer de rester en bons termes avec tout le monde en raison de son statut de neutralité imposé en 1831. Et ce n’est pas sans raison qu’ils considèrent aussi l’intégration dans l’empire de Charles Quint (et dans une moindre mesure de Philippe II) comme un premier pas forcé vers l’internationalisation. Ils auraient pu ajouter qu’avant cela, les marchands de Bruges et d’Anvers devaient tous maîtriser au moins deux langues, ce qui était tout à fait unique à l’époque.

Les auteurs brossent dans leur conclusion une image du territoire appelé Belgique depuis près de deux siècles en tant qu’exercice politique extrêmement flexible

Vanthemsche et De Peuter ne font qu’ébaucher ces idées. Rien d’étonnant, dès lors, que les derniers paragraphes de leur conclusion générale laissent ouverte la question de la légitimité de la «Belgique». Dans l’intervalle, les auteurs ont tordu le cou aux versions belge, flamande, wallonne, thioise et autres récits patriotiques du passé de ces contrées.

«L’État-nation actuel aurait très bien pu ne jamais exister», tranchent nos deux historiens. Surtout, n’y voyez aucune incitation à envoyer le pays à la casse. Très subtilement, les auteurs brossent dans leur conclusion une image du territoire appelé Belgique depuis près de deux siècles en tant qu’exercice politique extrêmement flexible. Une nation incertaine, produit de très nombreux aléas historiques qui transformèrent ce terrain peu accidenté en champ de bataille où les voisins pouvaient à loisir venir régler leurs querelles.

Bref, une vision atypique par rapport à ce que l’histoire européenne du XXe siècle –au moins depuis Woodrow Wilson en 1917– semble avoir posé en tant que modèle inébranlable et sanglant, d’une nation définie pas la langue. België, 2000 jaar geschiedenis – dont la couverture (un tableau de Magritte) nécessiterait quelques explications – est un livre riche en faits passionnants qui pousse très subtilement lectrice et lecteur à la réflexion sans les conduire par la main. Une démarche idéale pour raconter l’histoire complexe de la Belgique.

Guy Vanthemsche et Roger De Peuter, België 2000 jaar geschiedenis, éditions Epo, Anvers, 2024.
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Rolf Falter

Historien et journaliste

Photo © De Bezige Bij

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