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Une lueur au bout du tunnel pour la culture transfrontalière

Par Bart Noels, traduit par Michel Perquy
20 décembre 2020 7 min. temps de lecture Sans bornes

Il y a un peu plus de sept ans, une onde de choc a frappé l’univers culturel dans la région frontalière. Après des décennies de projets et autant de réussites, le programme Interreg France-Wallonie-Flandre refusait de destiner encore des moyens à des projets culturels. Si l’on en croit un colloque consacré à 30 ans d’Interreg, cette situation semble aujourd’hui toucher à sa fin. De son côté, l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai réanime aussi ce thème.

La région frontalière décide elle-même des accents à mettre

Dans les années 1990, la coopération transfrontalière a le vent en poupe. Le tout jeune Fonds européen de développement régional (FEDER) fournit des fonds pour les régions frontalières, notamment pour la zone frontalière concernant la France, la Wallonie et la Flandre. L’Europe fournit les deniers, les pouvoirs publics de la région frontalière les distribuent sur la base d’appels à projets. La responsabilité en incombe à une autorité de gestion assistée d’un secrétariat commun. Que l’Europe décide des contenus n’est qu’une demi-vérité. Ce sont bien les administrations des régions frontalières qui choisissent les accents de leur programme Interreg, mais évidemment à l’intérieur d’un cadre fourni par l’Union européenne sur le plan du contenu.

Pour la période 2014-2020, ces accents sont tombés sur la recherche, le développement, l’innovation, les PME et le marché interne, les systèmes écologiques naturels, le travail frontalier et les services aux citoyens. Lorsque cet agenda fut rendu public en 2013, les acteurs culturels n’en crurent pas leurs yeux. La culture «en tant que telle» ne faisait plus partie des priorités. Certes, il y avait bien quelques échappatoires. La culture pouvait encore être intégrée dans un projet, par exemple en combinaison avec le tourisme, le patrimoine ou le développement de la nature. Bref, la culture comme ligne transversale, un fil de contenu tout mince en vue de célébrer ou d’animer ce qui était développé dans un autre thème.

Quelque temps après, la culture disparaissait aussi de l’agenda de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, peu ou prou identique à celui de la région avec sa focalisation sur l’emploi, l’enseignement, le développement régional, l’innovation et l’économie.

«Une coupe à blanc»

«La suppression de la culture dans le programme Interreg V fut une véritable coupe à blanc dans l’offre culturelle et la dynamique qui caractérisait si bien la région frontalière, déclare Benoit Geers du festival transfrontalier NEXT. La culture possède la puissance de mobiliser et de sensibiliser un grand public pour des thèmes transfrontaliers. Après 25 ans, cette dynamique a été brutalement envoyée sur les roses.»

Chez NEXT, on a encore réussi à sauver plus ou moins les meubles. C’est en effet un des rares projets transfrontaliers que les nombreuses maisons de culture françaises, wallonnes et flamandes ont pu poursuivre. C’est que le festival pouvait compter sur le financement par les maisons participantes et sur des subventions complémentaires par la Région flamande et la région Hauts-de-France. D’autres acteurs culturels n’ont pas eu la même chance.

La culture n’était d’ailleurs pas la seule à encaisser. Combien d’ironie ne recèlent pas les paroles de Jean-Pierre Winberg de NoTélé, la télévision régionale wallonne, évoquant avec nostalgie lors du colloque la période si réussie du début des années 2000, lorsqu’on réalisait des émissions transfrontalières sur la culture, l’économie et la vie quotidienne ! Ces dernières années, le genre de programmes réalisés à cette époque n’était plus considéré comme subventionnable. En plus, les médias sont plus que jamais actifs au niveau très local.

«Rendre au cœur la place qui lui revient dans le programme»

L’agenda socioéconomique demeure important et donc en place dans le programme Interreg des années à venir. Mais la culture y retrouvera une place. C’est du moins l’ambition prononcée lors d’un récent événement Interreg célébrant le trentième anniversaire de la coopération franco-belge. «Il convient de rendre au cœur la place qui lui revient dans le programme», entendait-on de la part de représentants de la région Hauts-de-France et de la province de Flandre occidentale.

«Le marché de l’emploi transfrontalier a toujours été important, raconte Stefaan Matton, un des pionniers de la coopération. Nos efforts paient. Le marché de l’emploi est devenu plus transparent et de gros efforts ont été fournis en faveur des demandeurs d’emploi. Une tâche qui nous attend encore est l’harmonisation des retraites des travailleurs frontaliers.» Le travail frontalier demeure une question importante pour la période Interreg à venir. Mais il y a d’autres chats à fouetter aussi.

Un Européen sur trois habite dans une zone frontalière. Il y a encore un grand potentiel à développer des deux côtés de la frontière et en plus, le changement climatique ainsi que la crise sanitaire requièrent davantage d’action et de coopération.

Pour la période à venir, le programme accorde une grande attention à la santé, le transport et la transition verte et numérique. Bref, une continuation des accents actuels.

Mais le programme ajoute en même temps une préoccupation supplémentaire: comment organiser un dialogue entre la ville et la campagne? Le programme a en effet constaté qu’une région frontalière se compose d’une mosaïque de sous-régions qui ont chacune leur propre dynamique. Il ne faut pas comparer la zone frontalière du Westhoek et la Flandre française avec la densité urbaine de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai ni avec la zone frontalière entre les Ardennes et le nord de la France qui témoigne encore d’une tout autre dynamique.

Le programme cherche à se préoccuper de manière explicite des régions «moins accompagnées», des zones qui ne disposent pas encore de structures de gouvernance solides, des zones périphériques. Et là où existe déjà une bonne gouvernance, il s’agit de la renforcer.

L’on souhaite en même temps arriver au cours des années à venir à une différenciation des partenariats. Le programme ambitionne d’une part de conclure des partenariats plus importants disposant de davantage de moyens. Mais il y a d’autre part la constatation que des micro-projets plus flexibles ont réalisé plein de choses sur le terrain, notamment parce qu’ils sont à la portée d’acteurs moins puissants. Le programme veut donc aussi poursuivre ce quadrillage qui rend l’Europe tangible jusque dans les villages.

«L’économie et la créativité vont de pair»

Il y a donc une bonne nouvelle pour le fonctionnement et l’écosystème actuel. Mais qu’est-ce qu’elle signifie pour la culture? Cette dernière peut-elle envisager un retour sur scène? En ce qui concerne les pouvoirs publics wallons, l’enthousiasme est certes présent, encore que tiède. Ils répondent «oui» à la culture et au tourisme, mais plutôt dans un rôle d’appui pour une Europe sociale et économique. La région Hauts-de-France tient à introduire explicitement un lien social dans la future période Interreg. La culture facilite les contacts, raisonne-t-on de ce côté : «Rendre au cœur la place qui lui revient dans Interreg», déclare Élizabeth Boulet.

Interreg V s’est insuffisamment intéressé au tourisme, à la culture, à l’économie créative ; il faudra le compenser.

La créativité devrait pouvoir reconquérir un rôle de premier ordre dans le nouveau programme qui doit encore être soumis à l’approbation réciproque des partenaires. Mais le député Jean de Bethune de la province de Flandre occidentale y croit fermement : «Nous devons relever des défis colossaux en matière d’économie du savoir, du climat et de la révolution numérique. Mais la créativité aussi sera importante. Interreg V s’est insuffisamment intéressé au tourisme, à la culture, à l’économie créative ; il faudra le compenser. Une politique économique progressiste requiert beaucoup de créativité. Si Marie-Thérèse d’Autriche a édité en 1760 un acte qui a pu donner naissance à l’Académie de Courtrai, ce n’était pas seulement par amour pour les beaux-arts, mais aussi parce que le secteur textile, en déclin à cette époque, avait un besoin urgent de nouveaux concepts. L’économie et la créativité vont de pair. La culture est essentielle, mais elle doit veiller à exercer un grand impact démocratique.»

Avec ce genre de déclarations en tête, les acteurs culturels peuvent déjà se préparer à introduire de nouveau des dossiers. Si tout va bien, il pourrait déjà y avoir un premier appel au deuxième trimestre de 2021.Benoit Geers : «J’ose espérer que nous sommes nombreux, même hors du champ culturel, à convenir que si Interreg VI veut redevenir une aventure qui concerne les êtres humains, la culture demeure pour les années à venir un chaînon indispensable. L’art et la culture au sens le plus large, orientés sur la rencontre et la solidarité, la passion et l’ardeur , la créativité et la co-création, l’empathie, la réflexion et la détente. D’autant plus en ces temps difficiles où il nous faudra attaquer ensemble l’urgence des défis écologiques, économiques et sociaux.»

Et qu’en est-il de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai? La culture y fait depuis 2019 l’objet d’un repêchage. D’une part dans un rôle d’accompagnement du projet Parc Bleu de l’Eurométropole, dans lequel elle sert surtout d’instrument de cohésion. D’autre part aussi dans le fonctionnement régulier. Depuis quelque six mois, les professionnels de la culture se réunissent de temps à autre pour une «Hour Culture.», un moment d’échanges et/ou d’explication sur l’une ou l’autre action. Très récemment a été lancé l’Atelier Culture qui s’est tenu une première fois en novembre dernier et où l’on a rédigé un agenda ambitieux pour la culture transfrontalière.

Vous pouvez lire ici un article sur les 30 ans d’Interreg par Inge De Keyzer.
Bart-noels

Bart Noels

journaliste freelance et initiateur du projet francobelge.news

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