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Une plaie pour Tournai

Par Bart Noels, traduit par Jean-Philippe Riby
6 septembre 2019 4 min. temps de lecture Sans bornes

À Tournai, les arches du pont des Trous, qui date du XIIIe siècle, ont été déconstruites. Le projet de liaison Seine-Escaut implique leur suppression afin de permettre le passage de bateaux à plus fort tonnage. Le patrimoine historique est-il sacrifié au profit du progrès économique ?

Cet été, les images ont fait le tour du monde. La presse a pu titrer « Un pont médiéval démoli dans une ville de Belgique » à propos de la déconstruction des arches du célèbre pont des Trous de Tournai. Les partisans de cette opération estiment que la mesure est nécessaire au progrès économique et à l’avenir du transport fluvial. Les opposants déplorent un dommage irréversible pour Tournai. La réalité semble être un peu plus nuancée.

Le pont des Trous constitue avec le beffroi et la cathédrale la triade monumentale de Tournai. La grandeur de l’ancienne capitale des Francs a laissé de nombreuses traces dans la ville. Laquelle était une métropole. Il n‘y a donc pas lieu de s’étonner que les habitants demeurent très attachés à leur patrimoine. Depuis que la cathédrale s’était débarrassée de ses échafaudages, rien n’a terni pour un temps le tableau. Jusqu’à ce que des grues, début août, au beau milieu des vacances d’été, s’attaquent avec détermination au démantèlement de la coursive enjambant l’Escaut. Après des années d’études, de discussions politiques et une consultation de la population, les arches doivent céder le passage aux grands bateaux.

L’émoi est compréhensible. Imaginez qu’au début du XXe siècle on n’ait pas décidé de faire passer le cours principal de la Lys autour de Courtrai et que toute la navigation ait dû s’effectuer sous le pont du Broel. On n’aurait pas manqué de dire que les ingénieurs voulaient faire sauter le pont du Broel afin de permettre aux plus gros bateaux de naviguer. Ce type de discussion est mené à Tournai. Le pont des Trous reste en effet un ouvrage emblématique. C’est l’un des rares témoignages de l’architecture militaire médiévale en Belgique. Le pont a été construit à la fin du XIIIe siècle et faisait partie du mur d’enceinte de Tournai.

Le patrimoine mis à mal

Pour autant, ce pont est-il médiéval ? Tout comme la coursive reliant les tours du Broel à Courtrai, les arches du pont datent de la Seconde Guerre mondiale. Les tours remontent au Moyen Âge, mais non les arches du pont. Après la guerre, les arches ont été rehaussées par rapport à celles du Moyen Âge, justement pour faciliter la navigation. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, seules de petites embarcations pouvaient passer à Tournai. De plus hautes arches ont permis le passage de plus gros bateaux. L’histoire se répète, par conséquent.

L’ensemble de la construction du pont des Trous a subi au fil du temps des modifications. Le centre catholique de documentation et de recherche de la KUL (KADOC) possède dans ses archives un projet de restauration datant de 1894. Arthur Verhaegen, architecte et homme politique gantois, voulait alors ajouter au pont des éléments médiévaux que ce dernier avait possédés dans le passé. Le projet a été approuvé mais non exécuté. Le choix s’est porté sur une simple rénovation et restauration. Au XIXe siècle, le patrimoine a été particulièrement mis à mal à Tournai. L’arc des Chaufours a été démoli en 1874, l’arche de Saint-Jean en 1832, la halle des consaux (ancienne maison communale) en 1820 et l’église Saint-Pierre 1821.

Tournai est une ville prospère mais au tissu économique fragile

Pourquoi permettre le passage de plus gros bateaux à Tournai ? En raison précisément de la future liaison Seine-Escaut. En raison de ces travaux qui tiennent aussi en haleine depuis plusieurs décennies le sud de la Flandre-Occidentale et qui nécessitent le rehaussement des ponts, la canalisation et le creusement des rivières. À Menin, les travaux n’ont pas encore commencé. À Harelbeke l’écluse est presque terminée. Courtrai a déjà du retard et des problèmes avec un pont levant régulièrement en panne. De grands investissements donc, avec pour objectif de réduire le nombre de camions sur les routes et de renforcer l’activité économique.

Or Tournai peut en profiter. La ville est la plus prospère de la province de Hainaut, mais possède un tissu économique fragile. De nouvelles activités liées aux voies navigables pourraient dynamiser la région. La question reste de savoir si les travaux sur l’Escaut entraîneront aussi une croissance économique locale, s’interrogent les opposants à la déconstruction du pont des Trous. Nous aurons droit au « passage de gros bateaux polluants », craignent-ils.

McDonald

La municipalité a bien réfléchi avant de se lancer. La Ville de Tournai a organisé un grand nombre de concertations et de dialogues, et même une consultation populaire. Dans ce cadre, différents scénarios ont été imaginés pour le pont, allant de sa reconstruction à la création de hautes arches modernes, proposées par l’architecte Olivier Bastin. Ces dernières font de nouveau l’objet de discussions depuis la disparition des arches du pont. Trop modernes selon certains, qui surnomment déjà le pont « McDonald » en raison de la forme caractéristique des arches de ce projet.

La grogne persiste à Tournai. Tout le monde s’accorde sur les quais surbaissés aux abords du pont des Trous, mais pas sur la reconstruction du pont. Les fonctionnaires de l’Agence wallonne pour le patrimoine ont même déposé un préavis de grève afin de dénoncer le manque cruel de moyens qui leur permettraient de protéger le patrimoine wallon.

Bart-noels

Bart Noels

journaliste freelance et initiateur du projet francobelge.news

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