Le poète Michaël Slory: une voix du Suriname
La littérature du Suriname et celle des Caraïbes néerlandaises demeurent des terres inexplorées pour la francophonie. Une poignée de poèmes tout au plus a été traduite à ce jour. Les grands romans de ces contrées attendent un éditeur dans l’aire francophone. Le poète Michaël Slory fait partie des voix surinamiennes n’ayant pas encore été traduites en français. Daniel Cunin nous rend accessibles quelques-uns de ses poèmes.
C’est en langue sranantongo, créole parlé au Suriname et dans une partie de la Guyane française, que le poète Michaël Slory (1935-2018) a écrit une bonne partie de son œuvre. On lui doit aussi des recueils en espagnol, en anglais et en néerlandais. Politique, révolte, religion, nature, négritude, beauté féminine, Coronie (sa région natale) sont quelques-uns de ses thèmes de prédilection. S’il a laissé nombre de poèmes «engagés», il est resté à l’écart des partis et fidèle à la foi catholique de son enfance. Malgré de modestes origines paysannes, il s’est forgé, au cours de sa scolarité, une réelle culture musicale.
À 22 ans, il a fait le grand bond en allant vivre à Amsterdam. On l’a vu alors évoluer dans les cercles qui encourageaient une autonomie culturelle et politique du Suriname. Slory a aussi publié maintes strophes portant sur différents mouvements indépendantistes dans le monde. En 1970, il rentre au Suriname sans diplôme en poche. Il va malgré tout devenir enseignant et l’un des poètes les plus populaires de son pays.
L’historien de la littérature Michiel van Kempen voit une structure pointilliste dans sa poésie. C’est à ce dernier que l’on doit les anthologies publiées aux éditions In de Knipscheer d’où sont extraits les poèmes qui suivent transposés en français: Ik zal zingen om de zon te laten opkomen (1991), Torent een man hoog met zijn poëzie (2012) et Alsof men alles loslaat (2018).
Pardonne-moi
Je déplore
le paysage
que j’ai abandonné sur ton corps.
Cette histoire sombre et grise.
Ces souvenirs si pénibles.
Cette unanimité d’injures.
Je déplore
le paysage
que j’ai abandonné sur ton corps.
De même en réalité que le jour
qui ne m’a pas montré son ciel bleu.
De même en réalité que toi
qui n’as pas arboré ton sourire.
Cet après-midi
aura été un coin perdu
de vieilles pluies
qui se sont détachées
de mon amertume.
Le poème “Vergeef mij” a paru dans Ik zal zingen om de zon te laten opkomen, In de Knipscheer, 1991.
Suriname
Par moments
c’est une rizière.
Au milieu mon haleine violette.
Lumière de diamant!
Par moments le Sentier de Wanica.
Des bananeraies
se pressent, se replient.
Pour toi nous avons
grillé nos intestins
en raison de ta chaleur!
Par moments
c’est un cœur
que j’étreins et caresse
quelque part
au fond des bois
au bord de l’Itany
au bord de la Coesewijne.
Nous t’avons labouré.
Nous t’avons engraissé
des cendres de notre agonie.
“Suriname” est tiré dans Ik zal zingen om de zon te laten opkomen, In de Knipscheer, 1991.
La modestie honore l’homme
Ne trouves-tu pas
que ce que tu fais de tes mains
les dépasse déjà
la journée écoulée?
Ne trouves-tu pas?
Ne trouves-tu pas
que quelque part
quelque chose d’autre
se prépare sans toi?
Ne trouves-tu pas?
Le poème “Bescheidenheid siert de mens” a paru dans Torent een man hoog met zijn poëzie, In de Knipscheer, 2012.
Les nombreux pêcheurs après une inondation
La question est de savoir
si je vais deviner par moi-même
ce qui se passe.
Après toutes ces averses
en présence de toute cette eau
et désormais de tous ces pêcheurs?
La question est de savoir
si l’inondation a déjà préparé
les poissons à cet autre
langage de l’eau.
Et les yeux, les mains
qui en ce moment
brûlent d’attraper.
Aucun poisson ne piperait mot?
Oui, la question est de savoir!
Le poème “De vele hengelaars na een overstroming” est tiré de Torent een man hoog met zijn poëzie, In de Knipscheer, 2012.
Pour Aimé Jacquet, sélectionneur national de l’équipe de France
À présent que la Marseillaise retentit en l’honneur
de la coupe du monde, ce soleil entre tes mains,
(Ô Racine! Ô Corneille!
Ô La Fontaine! Ô Villon!)
une nouvelle ère s’annonce
pour les hommes sur cette Terre.
Avec joie je dis
«Pareil 14 juillet
sportivement gagné,
signe positif qui ne va cesser de briller!»
La guerre a été livrée.
Et voici notre champ de vision élargi
dans cette fraternité
dans cette communauté en évolution
au sein de laquelle Paris peut de nouveau rire
avec un Senghor, un De Gaulle,
un Sartre, un Voltaire, un René Char.
Ainsi qu’avec un Saint-John Perse
et un Alexandre Dumas.
Les trois couleurs étant à présent hissées:
ô! c’est l’heure, le jour de ce drapeau!
Allons Enfants de la Patrie!
Vraiment, France, c’est ton jour!