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Vague de changements à Ostende

Par Derek Blyth, traduit par Faculté de traduction de l’université de Mons
21 août 2024 18 min. temps de lecture Tour de Flandre

De passage dans la ville d’Ostende, sur le littoral belge, Derek Blyth a découvert une architecture grandiose, un chanteur de soul mondialement connu et la croquette aux crevettes ultime.

Je me suis rendu compte qu’Ostende était différente des autres villes. Je me trouvais à l’hôtel du Parc. Je regardais la place Marie-José, bondée, sur laquelle défilaient les tramways côtiers. Les autres stations balnéaires qui bordent la côte belge sont de modestes lieux touristiques; Ostende, en revanche, est une ville à part entière.

La brasserie de l’hôtel arbore un intérieur art déco défraîchi avec des vitraux, des panneaux de bois et des néons. Un couple de personnes âgées, accompagné d’un chien pelucheux qui tiendrait dans un sac à main, y dégustait des Affligems. On se serait presque cru à Bruxelles.

J’avais déjà connaissance de la grandeur de la ville avant que mon train n’arrive à quai. Après avoir traversé les polders plats et brumeux, le tram en direction d’Ostende est passé sous un pont en pierre dans lequel sont sculptées d’énormes locomotives. Ensuite, le véhicule s’est arrêté dans une gare construite dans un style Belle Époque. Les appartements modernes brillaient sous les rayons de soleil. Les mouettes criaient en tournoyant autour des mâts des yachts. Les enfants étaient impatients d’aller à la plage.

J’avais emporté un livre. Il s’agissait d’Ostende 1936. Un été avec Stefan Zweig, de Volker Weidermann. Dans ce livre, l’auteur raconte l’histoire saisissante d’un groupe d’écrivains allemands qui s’est exilé en 1936. Fuyant les nazis, ils ont trouvé un havre de paix: Ostende. Weidermann décrit avec brio cette triste communauté d’âmes en peine dont faisaient partie les écrivains Joseph Roth et Stefan Zweig. J’avais déjà eu l’occasion de voir une photo des deux auteurs à la réception de l’hôtel, même si le cliché avait été pris dans un autre établissement, aujourd’hui démoli, comme la plupart des grands hôtels d’Ostende.

Non, Ostende n’a clairement rien à voir avec ces villes balnéaires belges en plein essor. Cette ville a une histoire, une certaine grandeur. Elle était à l’origine un port de pêche et a commencé à changer à la fin du XVIIIe siècle. En 1784, William Hesketh, un expatrié britannique, a introduit le concept insolite des bains de mer. Les habitants de la région l’ont pris pour un fou, Hesketh a tout de même monté une entreprise florissante en louant des tenues de bain à rayures et en vendant de la limonade. J’espérais qu’il y aurait une statue à son effigie quelque part à Ostende, ou au moins une plaque. Il semble cependant qu’il ait été oublié.

Je me suis demandé si le musée de la ville avait des informations au sujet de l’entrepreneur britannique. Un gigantesque palace se trouve dans la Langestraat, la rue où le roi Léopold I et sa femme Louise-Marie avaient l’habitude de passer l’été. Pendant un temps, ce bâtiment était assez délabré: les chambres étaient poussiéreuses, les escaliers grinçaient et la peinture s’écaillait. Il a toutefois été restauré il y a quelques années.

En visitant le musée, on apprend que les traces les plus anciennes de colonisation remontent au XVIe siècle. Lors de la révolte des Pays-Bas, les habitants ont résisté aux attaques espagnoles jusqu’à ce qu’Albert d’Autriche et sa femme, Isabelle, conquièrent le territoire après quatre ans de siège. Un tableau au musée municipal montre l’imposant matériel militaire que l’occupant a dû déployer pour venir à bout de la résistance de la ville.

L’âge d’or d’Ostende est richement illustré par une collection nostalgique d’affiches de voyage, de maquettes de bateaux et de vieilles photos du marché aux poissons. Le musée possède également une salle fascinante consacrée aux ferries qui faisaient la navette entre Douvres et Ostende, amenant des milliers de voyageurs britanniques du XIXe siècle sur la côte belge.

Pour rajouter plus de bizarrerie à ce bâtiment, la chambre où la reine Louise-Marie est morte de la tuberculose en 1850 est restée intacte. Un escalier en colimaçon parcourt l’immeuble et débouche sur un minuscule belvédère où, sur un fauteuil spécialement conçu pour elle, la reine souffrante contemplait la mer.

Au début du XIXe siècle, Ostende regorgeait de touristes britanniques. Le port belge a été le théâtre de plus d’une aventure continentale, dont les voyages de Lord Byron en 1816 et le séjour de Charlotte Brontë à Bruxelles dans les années 1840. À partir de 1846, année de la mise en service d’un bateau à vapeur effectuant la navette, la traversée vers Ostende devient un thème populaire en littérature, depuis la nouvelle The Journey to Bruges de Katherine Mansfield jusqu’à l’épisode du bureau de douane dans le roman Women in Love de D. H. Lawrence.

Cependant, tout a changé en 1994 avec l’ouverture du tunnel sous la Manche. En effet, plus personne ne souhaitait traverser la mer du Nord dans un ferry qui empestait la friture. D’ailleurs, la dernière traversée Douvres-Ostende a eu lieu en 1994 (même si elles ont repris brièvement quelques années plus tard). Le port qui reliait la Belgique et la Grande-Bretagne depuis 150 ans devait donc trouver un autre moyen de remplir ses hôtels.

Alors que j’arpentais les rues animées de la ville, je n’ai pu m’empêcher de remarquer que les voix britanniques se faisaient rares. Selon les chiffres récents de l’office du tourisme, les Britanniques représentent 4% des touristes, alors qu’ils étaient cinq fois plus nombreux quand les ferries naviguaient encore. Un grand nombre d’Ostendais espèrent tout de même leur retour. Danny Drooghenbroodt, membre du groupe local Restart Ferries, explique: «Les ferries font partie de l’ADN de la ville. Plus le temps passe, plus nous perdons espoir».

Il semble peu probable que les ferries fassent un jour leur retour, mais le port d’Ostende reste un lieu animé où les bateaux débarquent les poissons au petit matin et où les stands de fruits de mer longent le quai. Le Vistrap, un marché aux poissons ayant vu le jour au XIXe siècle, est ouvert tous les jours de l’année, sauf quand la mer est trop agitée pour que les petits bateaux de pêche puissent prendre le large.

La plupart du temps, les stands sont tenus par les épouses des pêcheurs. Elles vous accueilleront avec un sourire chaleureux, même lorsqu’il fait grand vent. À Ostende, tout le monde a son échoppe préférée. Je me suis arrêté au 0.62, un stand qui tire son nom du bateau de pêche qui le fournit. Elle est tenue par un père et sa fille, issus d’une famille de pêcheurs ostendaise qui travaille dans ce milieu depuis six générations.

Je suis ensuite parti le long de la promenade Albert 1ᵉʳ à la recherche de grandeur. Pour être honnête, je n’en ai pas repéré beaucoup. Les grands hôtels n’existent plus, ils ont disparu les uns après les autres pour être remplacés par des appartements, quasiment tous identiques, construits dans les années 1960 et 1970. Les anciens bâtiments ont presque tous disparu, à l’exception de la Villa Maritza, une belle maison de bord de mer datant de 1885, flanquée de deux grands immeubles d’habitation, qui semble aujourd’hui un peu ridicule.

Je me devais d’aller voir ce monument imposant en bronze dédié au roi Léopold II. On peut y voir le roi se tenir fièrement sur son cheval face à la mer. Ils surplombent une série de statues représentant des Congolais en train de le vénérer en compagnie d’un groupe de pêcheurs ostendais. Cette œuvre s’appelle «La gratitude des Congolais».

Certains pensent qu’elle devrait être retirée de l’espace public. Bien avant le mouvement Black Lives Matter, un mystérieux groupe anarchiste appelé De Stoeten Ostendenoare (Les vilains Ostendais) dénonçait les crimes commis au sein de la colonie africaine de Leopold II. En 2004, ils ont tranché la main d’un des personnages pour attirer l’attention sur la politique impitoyable du roi qui consistait à punir les Congolais en leur coupant une main. Plus récemment, ils ont déversé de la peinture rouge sur un buste de Léopold II et ont demandé son retrait.

Mais certains Ostendais continuent de défendre Léopold II, qui a donné à Ostende sa grandeur altière. En puisant dans les richesses du Congo, il a fait appel à ses architectes préférés pour bâtir une grande colonnade vénitienne, une villa royale et un hippodrome. Il a également fait construire des écuries en bois dans un style norvégien excentrique et a planté un jardin japonais derrière un haut mur dans le parc royal.

Léopold II a fait d’Ostende la station balnéaire la plus grandiose de la mer du Nord. Elle est devenue «la Reine des plages» et a attiré un flux constant de membres de la famille royale, de ducs, d’industriels et de généraux. Cependant, cet endroit a toujours eu quelque chose d’étrange. Derrière les somptueux hôtels et les villas cossues, des ruelles sombres sont jalonnées de bars louches.

Cette station balnéaire douteuse convenait parfaitement à l’artiste excentrique James Ensor. Fils d’un père britannique mélancolique et d’une mère flamande austère, il a passé toute sa vie à Ostende. Il habitait une petite masure insolite, située près de la digue. Elle comptait une boutique de souvenirs encombrée au rez-de-chaussée et au premier étage, un salon étouffant rempli de curieuses reliques balnéaires, de chapeaux fantaisistes et de reproductions de ses peintures. Au pays des artistes excentriques, James Ensor est l’un des plus bizarres. Ses œuvres représentent des défilés carnavalesques, des foules sur la plage et des fêtards masqués.

Autrefois, la maison James Ensor était un petit musée qui n’attirait que quelques visiteurs. La ville accordait si peu d’importance à cet artiste qu’en l’an 2000, elle a autorisé la destruction d’un bâtiment dont le grenier accueillait autrefois l’atelier de l’artiste. Cependant, la ville d’Ostende a commencé à réaliser que James Ensor était bien plus qu’un simple excentrique. Son histoire a pris un autre tournant en 2016, lorsque le Squelette arrêtant masques, tableau datant de 1891, a été vendu aux enchères chez Sotheby’s pour la somme record de 7,8 millions de dollars.

Le conseil municipal a entamé la construction d’un nouveau Experience Centre, situé dans l’hôtel Providence Regina, non loin de la maison d’Ensor. Ce nouveau musée, conçu par les architectes de noArchitecten, a ouvert ses portes en 2020. Pour marquer le coup lors de l’ouverture, le musée a commandé au photographe anversois Athos Burez une version moderne du tableau satirique d’Ensor: Les Bains d’Ostende.

L’original, peint en 1890, se trouve aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Gand. On voit sur ce tableau des dizaines de personnes sur la plage, dont des couples amoureux, des prêtres solennels et quelques chiens joueurs. Burez a brillamment recréé cette scène après avoir réuni un casting de 180 personnes, une équipe de stylistes, deux chevaux et des chiens enjoués qu’il a fait venir sur une plage. À l’aide de l’imagerie numérique, il a recréé un grand nombre de détails excentriques qui se trouvaient dans l’original, parmi lesquels un homme bedonnant portant un maillot de bain rayé, un couple qui s’embrasse et un cinéaste perché dans une cabane de plage. Burez a même réussi à convaincre le conservateur du musée Ensor de prendre la place de l’artiste excentrique.

Le photographe a par la suite ajouté quelques touches plus contemporaines, telles qu’un bateau chargé de réfugiés (inspiré du Radeau de La Méduse de Géricault), des tas d’ordures abandonnés et des touristes avec leur glacière. Cette œuvre surprenante est aujourd’hui exposée dans le hall d’entrée, près d’une version numérique agrandie de l’originale.

Lors de la visite du musée, les visiteurs traversent différentes pièces représentant la vie d’Ensor. On y retrouve entre autres des reproductions de peintures, des photographies d’époque, une pellicule rare et une reproduction de son atelier dans le grenier. Ensuite, on a l’occasion d’entrer dans un magasin de souvenirs sombre et mystérieux qui était tenu par la tante d’Ensor. C’est à l’étage qu’on peut s’approcher au plus près du monde étrange de l’artiste. En effet, on y découvre un salon dans lequel se trouvent de gros meubles anciens, des masques bizarres et des crânes. Vous ne pourrez jamais admirer le monde atypique d’Ensor de plus près.

Ensor n’était cependant pas le seul artiste à trouver de l’inspiration à Ostende. Le symboliste Léon Spilliaert, artiste pâle et constamment malade, a passé d’interminables nuits blanches à arpenter la promenade déserte ainsi que les colonnades lugubres. Quand la ville a rénové les digues en 1998, la sculptrice Herlinde Seynaeve a réalisé un Hommage à Spilliaert sur le modèle de sa mystérieuse toile «Vertige». Cette ambitieuse installation montre une jeune fille solitaire, debout sur un monument circulaire, les cheveux au vent.

La ville d’Ostende a finalement pris la décision de renoncer à son titre de «Reine des plages belges». Elle était devenue bien trop sale pour pouvoir y prétendre. À la place, elle voulait nourrir une autre ambition: devenir une ville d’art sur la côte. Ce n’était pas bête du tout. Après tout, Ensor et Spilliaert ont vécu à Ostende, ainsi que des écrivains et des sculpteurs.

La ville a commencé à affirmer sa nouvelle identité en 2008 lors de l’ouverture du Mu.ZEE, un musée d’art conçu par Gaston Eysselinck qui se trouve dans un grand magasin au style moderniste. Une nouvelle aile consacrée à Ensor et Spilliaert a vu le jour dans le musée en 2016. Les murs blancs contrastent fortement avec le mélange hétéroclite de tableaux, de photographies et de documents illustrant la ville à son apogée.

Quatre ans plus tard, le magnifique bureau de poste d’Eysselinck, datant de 1947, a été rénové par le bureau anversois B-architecten pour abriter le centre culturel De Grote Post. À l’intérieur, on peut d’ailleurs trouver le CultuurCafé, un lieu de rencontre pour la communauté grandissante d’artistes, d’écrivains et de galeristes ostendais. Les anciennes cabines téléphoniques adossées à l’un des murs encadrent désormais les imposantes photographies de Pieter Clicteur. Ces dernières mettent à l’honneur douze créateurs flamands, de la graphiste Eva Mouton à l’acteur Wim Opbrouck.

La transformation du littoral ne s’est pas arrêtée là. En 2016, la ville a de nouveau tenté d’attirer la foule d’amateurs d’art en laissant 25 artistes de rue belges et étrangers s’exprimer sur les murs vierges de la ville. Plus de 70 œuvres sont aujourd’hui disséminées dans les rues d’Ostende. Ces travaux sont variés, passant des reproductions de peintures réalisées par Julien de Casabianca aux petits oiseaux des bandes dessinées de Bué the Warrior. À l’aide d’une carte disponible gratuitement à l’office du tourisme, vous pourrez tuer quelques heures en cherchant toute une série d’œuvres, notamment une pile d’animaux endormis réalisée par l’artiste de rue gantois ROA et une minuscule statue d’un homme debout sur un balcon sculptée par l’artiste espagnol Isaac Cordal.

L’idée de stimuler le secteur de la culture semble porter ses fruits. Grâce à ses musées, ses restaurants en vogue et ses cafés branchés, Ostende est aujourd’hui une destination attrayante pour les week-ends. Elle a également mis sur pied un programme annuel incluant un grand nombre de festivals, comme le Theater aan Zee ou l’Ostend Film Festival. En 2022, la ville a ajouté à la liste un festival du livre et un autre du podcast.

Le chanteur belge Arno, décédé en 2022, a su s’approprier l’esprit d’Ostende comme personne. Sa chanson Ostende bonsoir est parfaite à écouter lorsqu’on flâne dans les bars un peu louches de la Langestraat tard la nuit, notamment lorsqu’il dit avec sa voix rauque d’ivrogne: « Je suis seul avec toi, Ostende bonsoir». Son titre a inspiré une série de podcasts portant le même nom, et dans lesquels des artistes de la ville sont interviewés dans une chambre d’hôtel face à la mer.

La ville a rendu hommage à son célèbre fils, Arno, avec une grande fresque peinte sur le mur latéral de l’hôtel de ville. Le chanteur représente parfaitement cette ville portuaire agitée. Ses chansons, interprétées dans différentes langues, sont le reflet du mélange chaotique des langues que l’on entend autour de soi à Ostende: le français, le néerlandais et l’anglais des touristes, sans oublier le dialecte d’Ostende.

En rénovant de nombreux bâtiments défraîchis, les autorités locales ont également amorcé l’avènement d’un nouveau style architectural dans la ville d’Ostende. La rénovation du Oosteroever district (quartier de la rive est), sur la rive droite du port, est le projet le plus ambitieux entrepris jusqu’à présent. Personne, mis à part les pécheurs ostendais, ne s’aventurait dans cette partie de la ville jusqu’à récemment. Une liaison par ferry partant du Visserkaai
(le quai des pécheurs), à l’arrière des étals où les compagnes des pécheurs vendent des crevettes fraîches, a revitalisé le quartier.

Je suis monté à bord du ferry pour examiner ce quartier obscur où se trouvaient des bateaux de pêche abandonnés, d’anciennes casemates, un fort napoléonien et des dunes balayées par le vent. Une digue mène à la proue du Vindictive, le cuirassé britannique qui a bloqué le port d’Ostende durant la Première Guerre mondiale.

Cette atmosphère authentique ne durera probablement plus longtemps, car les promoteurs immobiliers ont commencé à s’intéresser à la rive orientale. Plusieurs immeubles à appartements s’élèvent au-dessus du vieux port et au bord du vaste réservoir intérieur de Spuikom.

***

Un citadin ostendais m’a dit: «Tu dois absolument goûter la croquette aux crevettes d’Ostende avant de quitter la ville. Surtout que l’Oostendse garnaalkroket est maintenant inscrite au patrimoine gastronomique flamand.» Ostende se targue aujourd’hui d’être la capitale de la croquette aux crevettes, après avoir déjà revendiqué le surnom de la Ville sur la mer. Un festival dédié à ce mets est même organisé à l’hippodrome Wellington en octobre.

J’ai donc demandé au citadin: «Quel établissement recommanderais-tu pour déguster ces fameuses croquettes aux crevettes?». Il m’a ensuite répondu: «Eh bien, il y a le café Botteltje, un endroit accueillant où l’on cuisine à l’ancienne, ou encore le bistro Mathilda, qui est plus élégant. Cela dit, je pense qu’un petit établissement situé sur la promenade te plaira. Il s’agit du Toi, Moi et la Mer

J’ai suivi son conseil. Le Toi, Moi et la Mer est un restaurant prisé et accueillant qui offre une carte de déjeuner simple: des croquettes aux crevettes, suivies de poisson frais venu du quai et évidemment d’un bol de frites belges. La croquette que j’ai mangée dans ce restaurant était parfaitement préparée, généreusement farcie de crevettes et garnie d’un brin de persil frit.

J’ai terminé la journée au BeauSite, un établissement qui fait office de restaurant et de galerie. Ce bâtiment art déco, doté d’une vue imprenable sur la mer du Nord, est devenu le haut lieu des artistes. La décoration intérieure est caractérisée par une sélection étrange de meubles en plastique vintage, de gravures satiriques et de bibelots. Cependant, l’objet le plus intrigant dans la pièce est sans doute une grande photo de Marvin Gaye devant la plage d’Ostende.

Par une froide matinée de décembre, le chanteur de soul a embarqué sur un ferry allant de Douvres à Ostende. À l’instar de beaucoup de personnes échouées dans cette ville balnéaire, le chanteur de Motown fuyait son passé. Il cherchait désespérément un havre de paix, alors qu’il était confronté à des problèmes de toxicomanie, de cœur et d’argent.

Le propriétaire du club ostendais a apporté son aide au chanteur en l’accueillant dans son appartement en bord de mer au 77, promenade Albert 1er, et en l’encourageant à aller courir dans les dunes pour préserver sa santé. Marvin Gaye s’est plaint dans une interview: «En ce moment je suis un orphelin et Ostende est mon orphelinat.»

L’air marin s’est avéré efficace, ne serait-ce que de manière éphémère. Marvin Gaye a écrit la chanson de soul, Sexual Healing durant son séjour à Ostende. Elle est reconnue comme l’une des belles chansons d’amour de tous les temps, la chanson est disponible sur YouTube. Aux dernières nouvelles, la vidéo originale a comptabilisé 202 millions de vues et près de 33 000 commentaires sur la plateforme. Un de ces commentaires dit: «Il est fort probable que quelqu’un soit en train d’avoir des rapports sexuels en écoutant cette chanson.»

En 2012, l’office du tourisme a eu la brillante idée d’organiser une promenade audioguidée, ou walkumentary, de deux heures pour suivre les traces de Marvin Gaye. De nos jours, le sol pavé devant l’immeuble où le chanteur a composé le morceau arbore une plaque commémorative. Une sculpture de bronze représentant l’artiste assis à son piano a été installée dans le hall d’entrée du Casino-Kuursal d’Ostende, où Marvin Gaye s’est produit. L’office du tourisme a même suggéré d’ouvrir, à Ostende, un musée dédié à la star américaine. Cependant, ce genre d’idées ambitieuses a tendance à aller et venir, telle la marée.

J’ai commencé à remarquer qu’un thème se dessinait. Ostende était une ville chaleureuse et accueillante, bercée par les vagues grises de la mer du Nord. Elle a brièvement été un abri sûr pour Joseph Roth et son groupe d’exilés allemands. Elle a également ouvert ses bras à Marvin Gaye quand il avait besoin d’aide.

C’est pourquoi j’espérais de tout cœur trouver un lieu accueillant pour passer la nuit. J’ai envisagé l’hôtel du Parc, mais j’ai jugé qu’un style plus contemporain serait plus intéressant. J’aurais pu séjourner à l’Upstairs, un hôtel branché dont la pièce maîtresse est un toboggan intérieur jaune vif pour enfants. J’aurais aussi pu séjourner au Thermae Palace, un hôtel grandiose, mais défraîchi, qui donne sur la mer. J’ai finalement opté pour le Huyze Elimonica, un établissement fin-de-siècle. Filip, le propriétaire, a consacré trois ans à la rénovation de la maison et à la décoration des pièces, à l’aide de meubles d’époque, d’art moderne, et de détails marins singuliers. C’était l’endroit idéal pour se ressourcer à la fin d’une longue journée.

Installé dans mon refuge au grenier, j’ai regardé une vidéo sur YouTube intitulée «Remember Marvin Gaye: Life in Ostend». À un certain moment dans la vidéo, le chanteur a émis une remarque qui résumait bien l’esprit ostendais. D’une voix grave et triste, il a affirmé: «Il y a sans doute des endroits où je préférerais être, mais j’ai sans doute besoin d’être ici.»

Site web de Visit Oostende
Derek Blyth

Derek Blyth

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