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Vive le plurilinguisme

Par Luc Devoldere, traduit par Jean-Philippe Riby
7 mai 2020 3 min. temps de lecture Perdu dans toutes nos langues

Nous n’avons d’autre choix, surtout en Europe, que de devenir aussi plurilingues que possible. Réclamer du respect pour sa propre langue exige aussi de témoigner du respect pour la langue de l’autre.

Le sociologue néerlandais Abram de Swaan dénonce le sentimentalisme des langues qui identifie chaque langue à un groupe et veut maintenir la cohésion de ce dernier par la préservation de sa langue. «Les communautés linguistiques peuvent être extrêmement restrictives et étouffantes». On peut néanmoins échapper à cet étouffement en défendant sans faiblir sa langue et en en faisant consciemment usage, sans jamais se départir du plurilinguisme.

En 2008, à la demande de la Commission européenne, l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf a livré, avec l’aide d’autres écrivains et intellectuels européens, un rapport dans lequel il préconisait l’adoption d’une langue personnelle (une «langue personnelle adoptive»): outre l’anglais, tout Européen devrait apprendre et chérir une autre langue européenne (Un Défi salutaire. Comment la multiplicité des langues pourrait consolider l’Europe, Bruxelles, 2008). Umberto Eco a, pour sa part, souligné l’importance d’une culture de la traduction par cette boutade: «La langue de l’Europe, c’est la traduction.»

Forts de leur tradition de plurilinguisme relatif, Flamands et Néerlandais devraient prendre l’initiative en Europe de plaider pour le plurilinguisme. Lequel doit faire contrepoids à la domination de la langue anglaise. L’anglais est certes nécessaire, mais insuffisant. Ce précepte doit être le fil conducteur d’une politique linguistique européenne. Ne pas combattre l’anglais, mais avoir d’autres langues à côté. Comme l’anglais est si présent partout dans notre cadre de vie, et assurément dans celui des jeunes, j’ose proposer, même si je ne me fais guère d’illusions à ce sujet, que la première langue étrangère étudiée dans les établissements d’enseignement européens ne soit justement pas l’anglais.

La langue à choisir dépendra de facteurs géographiques et culturels, de notre destinée. Pour les Flamands, cette langue est le français et doit aussi, à mon avis, le rester. Le français trouve en effet un écho dans le néerlandais. Il a aussi contribué à façonner l’histoire et la culture flamandes. Enfin, il est parlé tout le long de la frontière méridionale de la Flandre. Pour des raisons de proximité, je trouve que l’allemand doit demeurer une langue importante pour l’ensemble de la Belgique et des Pays-Bas. Il ne faut pas oublier pour autant que la connaissance du français régresse en Flandre, et aux Pays-Bas la connaissance du français et de l’allemand ne représente plus grand chose. Je trouve cela dommage. Nous sommes en train de perdre notre plurilinguisme relatif. Enfin, je ne pense pas, non, qu’il soit judicieux d’apprendre le chinois dans nos établissements d’enseignement primaire ou secondaire.

Perdu dans toutes mes langues, séduit par le concert des langues, je reste attaché, tel Ulysse, au mât de mon néerlandais, afin de ne pas céder au chant des sirènes. Ce sera en effet l’art dans lequel nous devons dorénavant exceller: accompagner de notre voix toutes les langues et rester debout avec la nôtre.

Le français doit rester la première langue étrangère étudiée en Flandre.

Nous savons comment le rusé Ulysse a été le seul à pouvoir rentrer chez lui : il sait que les sirènes, par leur chant ensorcelant, attirent à elles les marins pour mieux les précipiter contre les rochers, mais comme il est curieux de nature, il veut découvrir ce qui les rend si fascinantes. Il se fait donc attacher au mât de son navire et bouche de cire les oreilles de ses compagnons d’équipage. N’y tenant plus, car il est exposé au chant des sirènes, il supplie ses hommes de diriger le navire en leur direction, mais ceux-ci, imperturbables, passent à l’écart des rochers et échappent ainsi à la mort. De la même manière, je veux me perdre, m’égarer dans le labyrinthe des langues, mais garder un fil d’Ariane dans ma poche pour retrouver mon chemin, me retrouver moi-même.

Luc-Devoldere

Luc Devoldere

écrivain, essayiste et ancien rédacteur en chef (2002-2020) de Ons Erfdeel vzw

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Luc Devoldere 13 min. temps de lecture
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