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Voler sa liberté: «Je vais vivre» de Lale Gül
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compte rendu
Littérature

Voler sa liberté: «Je vais vivre» de Lale Gül

Lale Gül, jeune Amstellodamoise issue d'une famille turque analphabète, tente de déployer ses ailes opprimées. Son arme Je vais vivre, un roman autobiographique.

«Celui qui recherche une vérité tire bien plus d'enseignements que celui qui détient la vérité.» Cette quête peut toutefois s'avérer périlleuse, car elle risque de tout ébranler... Telle est l'expérience courageuse d'une jeune femme de vingt-cinq ans, Lale Gül. Elle, qui se définit comme «une réprouvée», n'est guère approuvée par sa communauté d'origine.

Issue d'une famille turque analphabète, cette Amstellodamoise fait partie des sensations de l'édition dans les Plats Pays. Et pour cause: son premier livre, Je vais vivre, lui a valu de nombreux prix littéraires et une future adaptation à la télévision, mais aussi des menaces de mort. «Dans nos milieux, on regarde un tempérament rebelle et non conformiste comme l'incarnation du mal.» Ou, «les problèmes, il convient de les attaquer à la racine».

Son arme: un roman autobiographique, dans lequel son double de papier, Büsra, tente de déployer ses ailes opprimées. Pas évident quand on naît au sein d'une culture patriarcale, régie par un islam rigoriste ancré dans la Turquie traditionaliste. Le doute et la remise en question n'y sont point encouragés, d'autant plus si on est une femme. Mais voilà que Büsra sent d'emblée qu'elle n'y est pas à sa place. «Il m'arrive souvent de me demander si je ne suis pas pour tous une énigme insondable», y compris pour elle-même.

Cette héroïne, qui n'a pas froid aux yeux, ne manque pas d'humour pour décrire son quotidien. «Notre quartier, le Kolenkit, a fait la une des journaux; on a reçu la noble distinction suivante: être élu le pire quartier des Pays-Bas.» Büsra y évolue au cœur d'une famille très attachée à ses principes. Elle vit chez sa grand-mère adorée. Une femme au parcours aussi symbolique que cabossé.

Outre un mariage forcé à douze ans et une première grossesse un an plus tard, elle a subi des violences et des viols conjugaux à répétition. Aussi est-elle prête à défendre sa petite-fille au tempérament peu conventionnel. Il n'en va pas de même de ses parents, que la narratrice qualifie volontiers de «géniteurs», tant tout les sépare. «Chez nous, Mère porte la culotte. C'est une Staline islamique, un Khomeiny doté d'une chatte. Elle restera à jamais engoncée dans son obscurantisme. Si on arrache la femme à sa tâche première de ménagère, elle se transforme en homme.»

Autant dire que sa fille ne se reconnaît nullement dans ses règles strictes d'un autre temps. «J'aspire à être tout sauf ce qu'elle attend de moi. Administrée, enfant de Dieu, servante, membre vertueuse et conformiste de la communauté, épouse chaste d'un conjoint vissé au Coran. Cette seule idée suffit à me donner des plaques rouges sur la nuque.» Ainsi, Büsra se voit-elle obligée de mener une double vie. Côté pile, elle se montre voilée et doit se plier à une surveillance incessante. Mais côté face, elle mène des études de littérature - financées par de petits boulots - et découvre la passion amoureuse auprès de Freek.

Büsra tente de déployer ses ailes opprimées. Pas évident quand on naît au sein d'une culture patriarcale, régie par un islam rigoriste ancré dans la Turquie traditionnaliste

Le tout dans un contexte sociopolitique pesant. D'une part, les Pays-Bas prônent l'ouverture et le multiculturalisme, mais d'autre part, ils cultivent le racisme, avec des slogans comme «La Hollande aux Hollandais». Redoutant «la haine exponentielle» envers la communauté turque, Büsra estime qu'aux yeux des partis nationalistes, «un musulman, c'est tout simplement un Gargamel incarné».

Cela ne l'empêche pas d'être horrifiée par les valeurs prônées par sa propre famille, qui espère la faire rentrer dans le rang.

«Le poids du péché» et de la virginité s'avère de plus en plus étouffant, car, pour «une fille, son honneur est plus important que sa vie».

En dépit de l'école coranique, Büsra se bat pour trouver sa propre voie, même si cela signifie un rejet complet des siens. «Je suis en colère, mais cherche la sérénité. De là ma décision de réduire en cendres ma famille dans ces pages. Toutefois, «il convient de ne pas confondre vengeance et résistance».

Une philosophie courageusement adoptée par Lale Gül, qui travaille désormais à son deuxième roman et publie des chroniques dans le quotidien Het Parool. Sa voix semble d'ailleurs atteindre les jeunes filles prisonnières de leur culture. À leurs yeux, elle est devenue un modèle de liberté à suivre.

Lale Gül, Je vais vivre (titre original: Ik ga leven), traduit du néerlandais par Daniel Cunin, éditions Fayard, Paris, 2023.
Cet article a initialement paru dans Septentrion n° 8, 2023.
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