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Walter Swennen, une âme d’enfant dans un corps d’artiste

9 décembre 2020 5 min. temps de lecture

Dans ce troisième portrait d’artistes des Plats Pays méritant toute notre attention, Mélanie Huchet s’attache au peintre Walter Swennen. Si celui-ci jouit d’une grande réputation sur la scène artistique belge – il a notamment reçu en 2019 le prix Ultimas de la Communauté flamande dans la catégorie Beaux-Arts –, il reste trop peu connu à l’étranger.

C’est dans les années quatre-vingt que le travail du peintre belge Walter Swennen (né en 1946) est repéré. Son style unique, affranchi de toute convention et balayant d’un revers de main la tendance picturale du moment, a la cote depuis quarante ans chez les galeristes de renom, qui l’exposent de façon continue et régulière.

En Belgique, on citera entre autres, Nadja Vilenne, Micheline Szwajcer, Annie Gentils
et Albert Baronian. En Europe, on le retrouve à la galerie Nouvelles Images (Pays-Bas), chez Nicolas Krupp Contemporary Art (Suisse) et chez Les Filles du Calvaire (Paris).

Depuis six ans, ce sont deux mastodontes du marché de l’art contemporain qui le représentent : le Bruxellois Xavier Hufkens et la New-Yorkaise Barbara Gladstone. Côté institutionnel, l’année 2013 est marquée par une exceptionnelle rétrospective que lui consacre le Wiels (So Far So Good), sous le commissariat de Dirk Snauwaert, dans le but de faire découvrir au grand public le travail hors du commun de cet artiste trop discret, qui voue un amour absolu à la peinture.

Immense. Walter Swennen est immense. Aussi bien par sa taille que par son corpus artistique. Ce grand monsieur à la voix sourde et rauque, à la barbe grisonnante, parle en mêlant sérieux, espièglerie et sarcasme. Aucune surprise donc quand on sait que son ami de jeunesse était l’inimitable Marcel Broodthaers, plasticien belge qui a élevé les moules-frites au rang d’œuvre d’art!

À l’âge de cinq ans, Walter Swennen devient muet pendant plusieurs mois. Lui, l’enfant néerlandophone né dans la commune bruxelloise de Forest, se retrouve inscrit dans une école où l’on enseigne uniquement le français. Si le choc est énorme, il l’est d’autant plus que tous les membres de sa famille adoptent aussi cette nouvelle langue au sein de leur foyer. « Du jour au lendemain, je ne comprenais plus personne.» écrit-il (1).

Cette métamorphose l’amène à une conclusion radicale : «j’ai compris que le monde n’avait pas de sens et que je ne devais pas m’en occuper» (2) et de rajouter plus tard «que le fondement des mots d’esprit, c’est le non-sens. Les enfants jouent avec les mots comme si s’étaient des objets» (3).

Arrêtons-nous quelques instants sur cette citation qui semble contenir les éléments fondateurs de la peinture de Walter Swennen: les mots, les objets, les enfants, le non-sens. Les mots d’abord. Ils font intimement partie des œuvres de l’artiste. Le langage y est abordé sous différentes formes: il peut s’agir d’une phrase entière, de mots, de lettres isolées ou de symboles. Mais il peut être aussi écrit en français, en flamand, en allemand et en anglais (voir Oeskwee Tandem, 2003 ; Haunted, 2014 ; Ange Lili, 2016).

Ensuite, les objets. Ceux qu’il trouve au hasard de ses déambulations, devenant une possibilité de support, tels qu’un couvercle de gazinière ou de machine à laver ou encore un bout de bois, par exemple. Mais l’enfance rentre aussi en jeu, car les œuvres de Walter Swennen sont ludiques, aux couleurs souvent pop, aux combinaisons attrayantes avec des personnages sortis tout droit de bandes dessinées (comme Mickey!).

Des associations fortuites, empreintes d’une jeunesse et d’une modernité qui pourraient aussi bien plaire aux enfants qu’aux adultes. Si cet univers récréatif existe, c’est parce que le peintre – malgré ses septante-quatre ans – reste un grand enfant. Admirez son regard si sombre qui, à la moindre bêtise ou bon mot, se remplit d’espièglerie!

Il ne s’agit pas de savoir ce qu’on regarde ou ce qu’on y lit mais d’observer suffisamment longtemps l’œuvre pour comprendre comment se créée finalement la matière picturale

Enfin le non-sens. C’est peut-être la meilleure définition du travail de Walter Swennen. N’essayez pas de trouver une logique dans la singularité de ses œuvres peuplées de personnages drolatiques, de représentations incongrues, telles qu’une allumette ou une peau de banane. Décoder ce que vous pensez être un message est une erreur, cela ne sert à rien, car il y en pas.

Si le visiteur est en droit d’y voir une énigme ou un rébus à déchiffrer, la volonté de l’artiste n’est pas là. Il ne s’agit pas de savoir ce qu’on regarde ou ce qu’on y lit mais d’observer suffisamment longtemps l’œuvre pour comprendre comment se créée finalement la matière picturale.

La langue rouge

Bien qu’image et langage soient présents dans chacune de ses toiles, ils ne sont finalement que des sujets secondaires, la peinture tient ici le rôle principal. Sans le vouloir, l’artiste nous montre les coulisses de son travail, qui sous une apparente simplicité est le résultat de nombreuses heures, de jours, de semaines, de combinaison de couleurs et de formes et surtout de réflexion sur la création.

La langue rouge, un portrait documentaire édifiant réalisé par Violaine de Villers, montre un peintre amoureux de la matière. Les toiles sont construites par superposition de nombreuses couches, travaillées ensuite au pinceau ou au couteau, faisant naître texture et épaisseur sur des tableaux plats, sans perspective aucune.

Les matières liquides, moins conventionnelles sont aussi explorées; tel un savant fou, le peintre fait couler du café sur sa toile pour voir comment la matière l’absorbe et quel résultat il obtiendra ainsi. On l’écoute se confier sur son enfance, son éducation catholique. On le voit taper sur une vieille machine à écrire un poème incongru, inventé par son père, comme pour l’immortaliser.

Il parle de son admiration pour Le Titien et cite de grands psychanalystes tels Freud et Lacan. On le suit à New York, sur un fond de musique jazzy, lors de son vernissage à la prestigieuse Gladstone Gallery, dépassant d’une tête tous les convives, comme si cela le rapprochait des nuages.

Sur la scène contemporaine artistique belge, Walter Swennen est principalement connu des artistes et surtout de la jeune génération, parmi laquelle il compte de nombreux fans et on les comprend! Les toiles de Walter Swennen ont la particularité rare de procurer une joie inattendue et de plonger le spectateur dans une longue observation à la limite de l’introspection. Un grand peintre, à la fois discret et loufoque, aux allures de Jacques Tati et qui, bien que connu des initiés, devrait indéniablement jouir d’une plus grande réputation internationale.

Mélanie Huchet c Haleh Chinikar

Mélanie Huchet

journaliste - critique d'art

photo © Haleh Chinikar

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