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Willem, en son art et conscience

18 février 2022 9 min. temps de lecture

Il est l’un des derniers grands représentants de la tradition du dessin de presse. Willem fait partie de ces garants de la liberté d’expression, signant des milliers de caricatures cinglantes et brillantes d’analyse sur plus de cinquante ans d’actualité française et internationale. Après avoir officié chez Charlie Hebdo et Libération, ce Néerlandais installé en France profite de sa retraite et sort de nouveaux livres. Rencontre.

C’est à une terrasse de café sous le soleil de l’île de Groix, en Bretagne, où il vit depuis une quinzaine d’années, que ce fantassin de la démocratie échange quelques mots avec nous par téléphone. La rencontre en personne se fera une semaine plus tard, dans la librairie parisienne Aaapoum Bapoum, lors d’une séance de dédicaces pour son nouveau livre Retenez-nous ou on fera un malheur, qui démontre toujours son sens de l’improvisation et son travail d’orfèvre. Ce recueil présente ses dessins d’actualité parus dans la presse en 2020 et 2021. Macron, Trump, Poutine, Sarkozy et consorts restent dans le collimateur, s’étalant sur deux cents pages entre migrants, djihadistes, pré-campagne présidentielle française, Covid et masques.

D’autres lectures vont aussi prochainement étoffer les étals. Que d’actu donc pour ce maître à penser, aux yeux bleus perçants et aux longs cheveux blancs, qui ne semble pas près de raccrocher les crayons. Et pourquoi le ferait-il ? Sur plus de cinquante ans de carrière, ce radical attachant n’a jamais craint la controverse ni lâché ce ton féroce et provocateur qu’il façonne de sa plume aiguisée et de ce trait anguleux et intense à l’encre noire.

Maux d’humour

Willem, né Bernhard Holtrop en 1941 dans le village d’Ermelo à l’est d’Amsterdam, est un rieur taiseux. On tricote avec le peu de phrases éparses mais signifiantes que nous confie ce polyglotte parlant couramment le français, l’anglais, le norvégien et l’allemand. L’oxymore lui va donc à ravir. Car au final, c’est la force visuelle de ses dessins qui parle pour lui. Même à plusieurs niveaux de lecture, puisant aux sources de l’expressionnisme allemand. Son style vaut ainsi plus qu’un long discours. Pas étonnant que cet ancien chef de file du mouvement underground néerlandais Provo ait choisi comme terre d’asile le pays des barricades : «Pour moi, Paris se réveillait. C’était vraiment là que tout se passait et je devais y être», rappelle le dessinateur «Le journal Hara-Kiri m’a fait venir. Je découvrais alors au début des années 60 chez les bouquinistes des quais de Seine les anciens numéros de L’Assiette au Beurre… La fête!»

Un Paris bouillonnant entre les swinging sixties, les manifestations étudiantes et cette génération d’auteurs-dessinateurs prête à s’exprimer sans restriction. En 1968, cet anarchiste burlesque et libertaire, comme il aime se voir toujours aujourd’hui, pose ainsi ses bagages, ses feutres et son papier dans la capitale et croque pour Bizarre, Siné Massacre, Hara-Kiri, L’Enragé et tant d’autres, avant de rejoindre Charlie-Hebdo en 1971 et Libération en 1981. En compagnie de cette horde sauvage, tels Topor, Professeur Choron, Wolinski, Siné, Cabu, Reiser ou encore Gébé, il contribue à l’âge d’or de ces revues satiriques underground. Pilier historique de Charlie, il est d’ailleurs l’unique dessinateur à traverser ses différentes époques d’existence jusqu’à devenir rédacteur en chef de Charlie Mensuel.

Cet ancien élève des Beaux-Arts d’Arnhem et de Bois-le-Duc aux Pays-Bas n’a jamais hésité sur la direction à prendre pour son avenir: «Enfant, je regardais les dessins de presse et cela m’amusait beaucoup. On recevait deux quotidiens à la maison», se remémore-t-il. «Je me suis intéressé à tout ce qui se rapportait au papier et j’ai très vite rêvé de faire ce métier. À la politique aussi, car on en parlait beaucoup après la guerre.» Ses influences, il les puise chez Jérôme Bosch, Bruegel, Goya, Grosz, mais aussi les artistes néerlandais : «Le peintre Robert Hahn fait partie de mes inspirations, tout comme le caricaturiste politique Opland qui était devenu un ami.» Il a par la suite découvert William Hogarth, Fernand Khnopff ou encore David Hockney. Mais sa principale source reste ses grands amis Topor et Siné. «Ce qui m’a plu chez la plupart de ces artistes, c’était surtout l’humour.»

Mécanisme humoristique

Sa double culture artistique et politique lui permet ainsi de se différencier de ses comparses. Des croquis satiriques qui se distinguent par les fautes de français pittoresques volontairement laissées. Un choix devenu marque de fabrique, même s’il a su dompter la langue de Molière au fil du temps. Mais ce qui fait «œuvre» chez ce passeur de la contre-culture, c’est son imagerie sans demi-mesure et souvent même violente où le fond et la forme s’alignent sur le même terrain pour une critique politique et sociale corrosive. Il étrille l’actualité et l’absurdité du monde aussi vite que l’information émerge. La double, triple, voire quadruple lecture dans un seul dessin renvoie à tout un champ culturel entre cinéma (Docteur Folamour n’est jamais très loin), musique, art, fanzines et autres publications underground.

Dans son processus créatif, dessiner pour Libération ou Charlie Hebdo reste une même formule de pensée: «J’envoyais deux dessins par jour à Libé et ils choisissaient», explique-t-il «Parfois, je proposais l’autre à Charlie. Le seul bémol est qu’il ne fallait pas montrer trop de bites dans le journal», glisse-t-il amusé. «Pour l’autre, cela ne posait pas de problème, mais j’avais plus d’espace, je pouvais développer des histoires. Car dans Libé, c’était un dessin coup de poing à comprendre immédiatement. Tout devait être lisible et drôle en un seul coup d’œil.»

Mais Willem, c’est aussi pléthore d’albums publiés chez Les Humanoïdes Associés, Futuropolis, Les Requins Marteaux, L’Apocalypse ou encore Cornélius. Et puis des planches, des unes, des affiches, des reportages dessinés, des carnets de voyage, des autoportraits… La dernière grande rétrospective de ses œuvres remonte à 2006 au Centre Pompidou à Paris. Deux ans plus tard, il est célébré par l’Institut néerlandais. Et en 2013, c’est le sacre. Il devient le premier Néerlandais à obtenir le Grand Prix du festival international de la bande dessinée d’Angoulême.

Liberté d’expression

Pour autant, ce franc-tireur connu aura été plus lentement reconnu que ses acolytes Topor et Reiser. Son goût pour la provocation et le sexe lui vaut des récompenses tout autant que des poursuites. C’est la griffe de ce chroniqueur impitoyable, d’une culture globale sans égale sur le monde, marié à une Norvégienne, et qui n’est finalement jamais retourné dans son pays natal: «Je n’ai plus vraiment de contact. Je ne pense même pas pouvoir nommer deux ministres», plaisante-t-il. «Mais je garde de bons souvenirs. Amsterdam est une ville à part. Il y a une grande liberté. C’est un carrefour entre tous les grands pays, où l’on parle plusieurs langues. À l’inverse de la France, souvent centrée sur elle-même. Les gens ne sont pas très polyglottes et attendent le plus souvent que les autres parlent le français», conclut-il avec humour.

La satire française a toujours poussé l’irrévérence à l’extrême et n’a jamais eu peur du blasphème. Quand on lui demande ce qu’il en reste aujourd’hui, il répond au débotté : «Si un dessin n’est pas un peu graveleux, cela devient de la décoration. Et cela n’a aucun sens. Il faut dire ce qu’on a à dire.» Croquer les politiques d’hier et d’aujourd’hui, la matière reste la même. «Certains sont plus faciles à dessiner, comme Chirac, Sarkozy et Erdogan, je pouvais le faire les yeux fermés, mais ils restent tous aussi idiots qu’avant», affirme-t-il sur un ton ricaneur, avant d’ajouter sérieusement: «En revanche, aujourd’hui, la situation dans le monde est plus dangereuse, car tout peut basculer de manière très grave.»

Le 7 janvier 2015, il se trouve dans le train quand il apprend l’assassinat de Charb, Cabu, Wolinski, Tignous et Honoré par les frères Kouachi au siège de la rédaction de Charlie Hebdo. Installé sur l’île de Groix, il ne participait déjà plus aux réunions depuis quelques années. Un acte qui lui a sauvé la vie, pour ne jamais courber l’échine.

Mémoire collective

En 2016, Willem fait don de ses archives à la Bibliothèque nationale de France (BNF). 25 000 originaux rejoignent ainsi les œuvres d’autres artistes, comme Daumier, caricaturiste de la fameuse tête de poire de Louis-Philippe, ou encore Goya. Rétrospectivement, toute sa force est aussi de pouvoir mettre en lumière et conserver au fil de ses livres parus la mémoire de notre époque.

En mars 2021, il annonce son départ à la retraite de Libé après quarante ans de bons et loyaux services, en même temps qu’un autre de ses confrères, Plantu, sévissant dans Le Monde. Des adieux dignement célébrés dans le journal, à retrouver dans l’ouvrage Willem Akbar!. Mais une page sur l’histoire de la satire de presse se tourne alors, laissant l’avenir de cette discipline entre les mains de la relève. Ce futur, Willem ne le voit pas d’un très bon œil: «Les journalistes et les dessinateurs sont devenus plus frileux, car on peut se faire tuer. Aujourd’hui, il y a de moins en moins de dessins dans la presse.» Quant à celui du dessinateur, il cite une dessinatrice, Coco, de son vrai nom Corinne Rey. Cette rescapée des attentats de Charlie Hebdo le remplace comme caricaturiste attitrée dans les colonnes du journal. Une première! Pour cet érudit le plus subversif, c’est un excellent début.

Ce grand homme inflexible profite désormais de sa retraite paisible sur l’île de Groix : «L’air est bon ici, c’est la santé, les gens sont agréables. Il n’y a pas de gens avec des Kalachnikovs», ironise-t-il. En 2022, il a l’agenda bien rempli et le crayon chevillé au corps. Outre son ultime recueil paru en février, il sort à la mi-avril une nouvelle BDcul, Érections présidentielles, de De Gaulle à Macron, en même temps que la campagne officielle. Entre-temps, le 2 avril, il va penser à souffler ses 81 printemps avant de dévoiler, au courant de l’année, l’anthologie monumentale Le Bon, le Beau, le Vrai, présentant enfin l’intégrale de ses plus de cinquante ans de revues de presse irrévérencieuses. La boucle est bouclée.

Retenez-nous ou on fera un malheur, éditions Les Requins Marteaux, février 2022
Érections présidentielles, éditions Le Monte-en-l’Air, avril 2022
Le Bon, le Beau, le Vrai (1968-2021), Jean-Pierre Faur éditeur, courant 2022
Nathalie Dassa

Nathalie Dassa

journaliste

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