William Kentridge : l’effet d’une gifle et d’une étreinte
La rétrospective consacrée à William Kentridge au Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut est l’une des plus bouleversantes que l’on ait pu voir depuis longtemps. Avec elle, le musée offre une jolie suite à l’exposition tout aussi mémorable «Alberto Giacometti, une aventure moderne» de 2019. Pouvoir admirer l’intégralité de l’œuvre de Kentridge s’apparente à la fois à une gifle et à une étreinte.
William Kentridge a vécu toute sa vie à Johannesburg. Les événements historiques qui se sont déroulés dans ce pays, comme la lutte contre l’Apartheid mais également le passé tumultueux qui a précédé la formation de la nation sud-africaine, ont profondément marqué son œuvre. Ces faits, ainsi que la colonisation, ont eu un impact considérable sur le continent.
© Bart Noels
Kentridge incorpore ces événements marquants dans ses installations qui sont tantôt très explicitement critiques, tantôt plus distantes. Il part cependant toujours d’une perspective humaine: celle de l’opprimé. « Un dessin politique doit être clair et sans ambiguïté, ce qui n’est jamais le cas de mes dessins, qui expriment une vision politique et en même temps très personnelle », a déclaré à ce sujet Kentridge dans une citation reprise à la fin de l’exposition. Elle se situe juste au-dessus du dessin «The Death of Pier Paolo Pasolini» (la mort de Pier Paolo Pasolini), qui ne laisse aucune place à l’imagination.
Peu avant la moitié de la visite, vous découvrez une ligne du temps qui retrace la carrière de Kentridge. Elle comporte une vidéo tout à fait fascinante. Vous y voyez l’artiste réaliser une fresque murale à Villeneuve d’Ascq, quelques semaines auparavant, au début de l’année 2020. Il trace de vagues traits à l’aide d’un long bâton. La scène paraît désinvolte, nonchalante. Un trait par-ci, un autre par-là. L’artiste s’empare ensuite de la couleur et d’un morceau d’étoffe et se met au travail avec les mains, vêtu comme toujours d’une chemise blanche et d’un pantalon noir. Et tandis qu’il frotte et qu’il étale la peinture sur le mur, sous ses doigts apparaît une magnifique illustration.
Un univers cohérent
L’art de Kentridge se situe au cœur de la vie. Depuis ses premiers travaux jusqu’à aujourd’hui, il s’intéresse à la société et la commente, parfois explicitement, parfois implicitement, mais chaque fois dans un style cohérent, terre-à-terre et humain, avec des taches noires, un coloris brunâtre, toujours ancré dans le sol d’où il provient. Les décors de Sophiatown avec lesquels l’exposition vous accueille sont à la fois spectaculaires et poignants. Il s’agit d’un quartier mixte de Johannesburg qui a été détruit une nuit de 1955, obligeant 65 000 habitants de ce township à déménager à Soweto. Kentridge représente la vie trépidante de Sophiatown, il montre ce qui a été perdu.
© Nicolas Dewitte
Le Sud-Africain dessine, peint, fabrique des objets et des tapis, crée des films d’animation, met en scène des pièces et réalise les décors de celles-ci. C’est un artiste complet et, à partir de ces formes d’expression très différentes, il parvient tout de même à créer un univers cohérent. C’est dans ses installations que cela s’exprime le mieux. Dans une salle de projection, vous pouvez regarder «Fragments for Georges Méliès, Journey to the Moon» (Fragments pour Georges Méliès, Voyage dans la Lune), vidéos à travers lesquelles Kentridge rend hommage à «Voyage dans la Lune», le film muet de Georges Méliès. Émouvant et drôle, Kentridge se montre en train de travailler. Vous pouvez également admirer l’installation «The refusal of time» (Le Refus du temps) dans laquelle film d’animation, théâtre, musique et arts visuels s’entremêlent entre les tic-tac nerveux des métronomes. Dans cette œuvre, Kentridge travaille également avec une procession, un thème récurrent chez l’artiste.
© Fréderic Iovino
La visite s’apparente à une expérience immersive. On s’émeut. La puissance de ses images vous fait parfois l’effet d’une gifle, parfois celui d’une étreinte, grâce à la chaleur qui s’en dégage. Ces sensations sont également en grande partie dues à la scénographie de la Bruxelloise Sabine Theunissen. Elle connaît Kentridge depuis le début des années 2000 et est, depuis quelques temps déjà, responsable de l’aménagement de ses expositions.
À la fin de la rétrospective, vous pouvez découvrir la maquette et les plans à partir desquels elle a été réalisée. Le musée n’a pas ménagé ses efforts pour donner à l’œuvre de Kentridge le meilleur contexte possible. Beaucoup de «boîte dans une boîte», chaque centimètre carré du musée est intelligemment occupé.
Je suis moi-même sorti de là avec le sourire. Après tout, il doit être agréable d’être dans la tête de cet artiste. Les vidéos qu’il réalise montrent également des éléments de la vie de tous les jours. Une tasse de café qui cherche à lui échapper, par exemple. Son stop motion dégénère en silhouettes qui défilent, en coups de pinceau et en couches sur couches. William Kentridge ne cesse de surprendre, et cela toujours de façon poétique.