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Wim Delvoye, l’héritier du surréalisme qui fait de la merde un art

31 janvier 2025 5 min. temps de lecture

Il y a vingt-cinq ans cette année qu’a vu le jour Cloaca, la redoutable machine à produire de la merde pensée par Wim Delvoye.  À cette occasion, l’artiste expose à la galerie rodolphe janssen à Bruxelles. Aux côtés de différents dessins de Delvoye, il est possible d’y voir une version portative de sa machine digestive. Portrait d’un créateur qui, derrière la provocation, cultive l’âme d’un enfant farceur.

Dès l’enfance, Wim Delvoye (°1965) dessine et se rêve artiste. Après un passage peu concluant à l’Académie des Beaux-arts de Gand où il s’inscrit en 1983, il travaille seul chez lui. L’art du détournement, de la torsion du réel, du simulacre, c’est cela qu’il aime déjà. À l’âge 21 ans, il expose une série de peintures sur faux tapis d’Orient, à la galerie Plus-Kern à Bruxelles. S’ensuivent des bonbonnes de gaz en style de Delft, des pelles ou des planches à repasser aux motifs héraldiques, des buts de football en vitrail. Jouer avec le réel comme un enfant, avec une candeur un peu perverse, voilà ce qui intéresse Delvoye. «Enfants, nous avons tous rêvé de fabriquer des machines, n’est-ce pas?» me dit-il.

Objets du quotidien, symboles de sa culture villageoise flamande (il est né à Wervik, une petite commune de Flandre-Occidentale), iconographie régionale: Delvoye s’empare de ces sources d’inspiration et les projette dans le monde international de l’art contemporain. L’artiste se définit comme un artiste ethnique. Il prend possession de ces objets, les détournent à la fois avec sarcasme et tendresse, savourant la tension qui se crée par ce geste.

Surréalisme 2.0

Delvoye dessine un monde bien belge, héritier du surréalisme, bien sûr, une sorte de surréalisme 2.0, mais aussi de la Factory de Warhol et de l’idée que l’art est une marchandise. Y voir aussi le digne petit frère de Panamarenko, flamand lui aussi, qui construisait des machines volantes qui ne pouvaient pas voler -et cela l’enchantait. Osons aussi remonter à l’imagerie de Bosch, à croire que le Plat Pays de Flandre permet à l’imagination toutes les envolées. D’autres vitraux encore, des trompe-l’œil en charcuterie, puis des cochons tatoués en Chine, des camions et grues faits de découpes de style gothique flamboyant en acier corten.

Jouer et détourner le réel, comme une farce, comme un jeu, mais pas seulement. Oscillant constamment entre sacré et profane, le local et le global, Delvoye aime à confronter avec humour et sarcasme les différents mythes qui traversent notre société contemporaine, de la religion aux sciences, en passant par le capitalisme.

Cloaca

Le projet Cloaca a été développé avec des chercheurs, des informaticiens, des microbiologistes, mais aussi des ouvriers ou des plombiers, qui y ont travaillé pendant des années. La première machine, «Cloaca Original», est exposée au MuHKA à Anvers en 2000. Autour de cette machine infernale qui produit de la… merde, Delvoye développe des centaines de dessins, des photographies, des tee-shirts, du papier toilette, des poupées, ainsi que des fèces mises sous vide. Un merchandising agressif qui réjouit l’artiste, fier de «vendre de la merde».

Selon le curateur Harald Szeemann, Cloaca est «le sommet du surréalisme belge». «Pipi-caca, c’est universel, dit l’artiste. Les enfants adorent cette machine,» poursuit-il, l’œil pétillant. Derrière l’artiste perturbateur, il y a encore le petit garçon farceur, qui aimait imaginer des machines et dessinait tout le temps.

«Cloaca» a été exposée une cinquantaine de fois dans des musées ces vingt dernières années. Une des machines est installée de manière permanente dans un musée de Tasmanie. Le restaurant du musée se charge de «nourrir» le monstre. On peut suivre la digestion sur les réseaux sociaux.

Le rêve d’un Wim Delvoye Land

Depuis les années 2000, Delvoye tente de développer un lieu de création, un jardin de sculptures, pour présenter son travail et celui de ses amis. Pour cela, il achète en 2008 un château, non pas en Espagne, mais en Flandre, à Kwatrecht, près de Gand. Malheureusement, les différents aspects juridiques et de protection du patrimoine de la Région l’empêche de développer son projet comme il le veut.

Qu’à cela ne tienne, il se porte acquéreur du château de Corroy-le-Grand, près de Gembloux en Région wallonie, auprès de la Marquise de Trazegnies. Mais cet achat sera bloqué par un conflit entre les deux fils de la marquise. «Pourtant, dit Delvoye avec un petit sourire en coin: je suis un Flamand qui préfère être wallon, les Wallons sont plus sympas et plus faciles à vivre.»

Il achète d’anciens bâtiments en Iran, mais la situation politique l’empêche de se rendre sur place. Aujourd’hui basé à Londres, il espère pouvoir acquérir un château en Écosse. «Il y a une belle énergie, c’est chargé d’histoire,» explique-t il. Là, il pourrait installer de manière pérenne ses œuvres, mais aussi celles de ses amis, et pourquoi pas, en inviter quelques-uns en résidence. «C’est presque trop tard,» me dit l’artiste qui a fêté ses 60 ans ce mois-ci.

Dans la galerie

Aux cimaises de la galerie Rodolphe Janssen, une très belle série de dessins de machines, d’installations. Quel plaisir de redécouvrir qu’il y a un excellent dessinateur derrière les œuvres monumentales, imposantes, propres à mettre le visiteur dans un état de sidération -ce que Delvoye assume avec un large sourire-, créées pour montrer comment le réel peut être twisté, transformé, décalé, dépassé. Un amateur de concepts, un initiateur de grands projets, un artiste prolifique qui développe une œuvre polymorphe et internationale, mais, avant tout, un dessinateur. On peut voir ici de grands et magnifiques dessins de la machine Cloaca, de villes imaginaires, de logos détournés. Ainsi qu’une Cloaca portative, pratique pour partir en voyage.

Un gamin de Flandre

De l’eau a coulé sous les ponts depuis l’époque où le petit garçon de Wervik se prenait pour Disney ou Rubens. Delvoye a beau avoir conquis la planète avec son œuvre réjouissante et subversive, salué et embrassé les plus grands collectionneurs et exposé dans les plus grands musées, il restera au fond de lui ce ket de Flandre qui s’était promis d’inventer les machines les plus folles.

D’ailleurs, Wim Delvoye fait commencer sa carrière en 1968, quand il a trois ans. Il expose en 2003 ses dessins d’enfant, comme «Early Works, 1968-1971», au Mamco de Genève. Le fait de les présenter comme des œuvres d’art contemporain est à la fois un clin d’œil humoristique et une clé qu’il nous donne pour nous faire comprendre qu’il est encore ce petit garçon flamand qui un jour habitera dans un château.

Wim Delvoye, Cloaca. Celebration 2000-2025, jusqu’au 8 mars à la galerie rodolphe janssen à Bruxelles

Muriel de Crayencour

journaliste culture et artiste. Elle a écrit pour L’Écho puis a fondé et dirigé le magazine Mu in the City pendant 10 ans.

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