Wizo Flandrensis et les colons flamands au Pays de Galles
Compte tenu de leur proximité géographique, il n’est pas surprenant qu’au cours des mille dernières années, il y ait eu d’importants mouvements migratoires des Pays-Bas vers les iles britanniques. Aux XIIe et XIIIe
siècles, en particulier, il est fait mention dans certains documents de la présence de personnes d’origine flamande en Écosse, dans le nord de l’Angleterre et au Pays de Galles. Ces étrangers étaient apparemment connus pour travailler dur et être d’excellents commerçants, ce qui leur a permis de contribuer considérablement à l’économie locale. De plus, ils étaient généralement invités par les souverains d’Angleterre ou d’Écosse à venir s’établir dans certaines régions. Ils devaient donc leur loyauté au monarque plutôt qu’à la population locale, ce qui, évidemment, pouvait créer des tensions avec cette dernière et faisait en sorte qu’ils n’étaient pas toujours les bienvenus. Cet article explore plus en détail l’histoire des Flamands qui commencèrent à peupler le sud-ouest du Pays de Galles à partir du XIIe siècle.
La première question qui se pose est de savoir ce qui a mené ces Flamands à s’établir dans cette région en particulier. Certains suggèrent qu’ils auraient migré vers la Grande-Bretagne aux alentours de 1100 afin de fuir de graves inondations ayant eu lieu en Flandre. Cependant, cette hypothèse est rejetée par un historien qui soutient que la Flandre n’était pas confrontée à de telles inondations à cette époque. Une autre possibilité est que la surpopulation ait joué le rôle de moteur de cet exode. Mais bien que celle-ci ait en effet pu avoir une influence, l’explication la plus plausible est qu’il s’agissait des descendants des militaires flamands ayant combattu aux côtés des troupes normandes de Guillaume le Conquérant au moment de son invasion victorieuse de l’Angleterre en 1066. Au départ, on suppose que ces Flamands et leurs familles ont été transférés vers le nord de l’Angleterre afin d’aider à contrôler une région du pays qui s’était vivement opposée à l’invasion normande. Toutefois, au début du XIIe siècle, peut-être par crainte qu’ils s’assimilent à la population locale, ces Flamands furent à nouveau déplacés, cette fois-ci vers l’extrême sud-ouest du Pays de Galles.
Wizo Flandrensis
Un certain Wizo Flandrensis, ou « Wizo le Flamand », semble avoir été un de leurs chefs: il est d’ailleurs présenté comme le princeps ou « chef » des Flamands dans certains documents officiels. Des terres lui furent attribuées dans le Pembrokeshire, au sud-ouest du Pays de Galles, par le roi anglo-normand Henri Ier, qui en avait arraché le contrôle à son ancien propriétaire Arnulf de Montgomery, ce dernier ayant eu la mauvaise idée de se révolter contre lui.
Wizo construisit un château sur le terrain qui lui avait été accordé, et un village s’établit progressivement tout autour. Celui-ci prit le nom de Wiston (littéralement «ville de Wizo»), tandis que le château devint connu sous le nom de Wiston Castle (Castel Gwis en gallois). Wizo céda également une parcelle de son terrain aux Flamands qui l’avaient accompagné jusqu’au sud-ouest du Pays de Galles. En signe de gratitude pour cette concession de terrain, Wizo fit don d’une église aux moines de la ville de Worcester, en Angleterre. À sa mort, peu avant 1130, son fils Walter fitzWizo lui succéda. «Fitz» est un mot normand dérivé du latin «filius», signifiant «fils de», ce qui constitue un important indice en faveur d’un lien étroit entre les Normands et les Flamands.
Gérald de Galles trouvait les Flamands courageux, robustes et disposés à travailler dur
Les attitudes de la population locale envers ces colons flamands étaient mitigées. De toute évidence, de nombreux Gallois n’appréciaient guère leur présence, d’autant plus qu’ils avaient en quelque sorte été «plantés» dans le Pembrokeshire par les envahisseurs normands. Plusieurs batailles ont eu lieu entre les Gallois et les Flamands tout au long du XIIe et au début du XIIIe siècle, jusqu’à ce que finalement, en 1220, Wiston Castle soit capturé et détruit par un chef gallois dénommé Llywelyn. Cependant, tous les Gallois n’étaient pas forcément hostiles aux Flamands. Lors d’un voyage effectué à travers le Pays de Galles aux alentours de 1190, Gérald de Galles avait trouvé les Flamands courageux, robustes et disposés à travailler dur. Ils faisaient de plus de l’élevage de moutons et étaient hautement qualifiés pour transformer la laine en tissu. Il semble en réalité y avoir eu un nombre assez élevé de Flamands dans le Pembrokeshire: en plus de ceux établis dans le village de Wiston, les Flamands semblent avoir été en nombre suffisant, par exemple pour se battre contre les Gallois pour le contrôle de la ville de St David’s.
Quelque chose qui ressemble à de l’anglais
Des documents datés de 1169 font mention de Flamands se déplaçant vers l’Irlande, indiquant ainsi une certaine diffusion des personnes originaires des Pays-Bas à travers la Grande-Bretagne au cours de la période médiévale. Quant à ceux qui restèrent dans l’ouest du Pays de Galles, ils se sont au fil du temps de plus en plus tournés vers l’anglais, à tel point que cette partie du Pembrokeshire est devenue connue sous le nom de «Petite Angleterre au-delà du Pays de Galles» (Little England beyond Wales). Mais la question se pose également de savoir s’ils ont continué à parler le flamand, et si oui, pendant combien de temps.
En 1216, soit 150 ans après la conquête normande, Gérald de Galles rapportait qu’un chevalier appelé Ernaldus Rheting s’adressait à l’un de ses proches en «flamand». Deux autres déclarations suggèrent que le flamand était encore parlé dans le Pembrokeshire jusqu’au XVIe siècle. Dans l’un de ses écrits, l’historien William Camden nota que certaines personnes de la région parlaient «quelque chose qui ressemble à de l’anglais», ce qui semble évoquer le flamand.
À lui seul, ce rapport constitue une preuve insuffisante, mais il est corroboré par un deuxième témoignage de l’artiste et poète Lucas d’Heere, originaire de Gand, qui a vécu en Grande-Bretagne durant plusieurs années. Celui-ci rédigea une histoire et description des iles britanniques en néerlandais, qui incluait une référence aux Flamands établis dans l’ouest du Pays de Galles. Il commença par reprendre le témoignage de l’auteur gallois Humphrey Lhuyd: Haer gheslachte tot noch aen de sprake…is ghelyc Humphrij Lhuijd seyt («Leurs descendants parlaient encore leur propre langue… comme l’affirme Humphrey Lhuyd), et poursuivit en indiquant qu’il avait effectivement parlé flamand avec eux: …ende ick hebbe ooc med eenighe ghesproken die noch goed vlaemsch spraken tzelfde aen haer ouders ende als van vader tot kinde gheleert hebbende («…et j’ai aussi parlé avec des gens qui parlaient encore bien le flamand, l’ayant appris de leurs parents, de père en fils»). Il est bien sûr impossible d’établir avec certitude si d’Heere a réellement pu échanger en néerlandais avec ces personnes, mais compte tenu du témoignage de Camden, cette possibilité existe.
Petite Flandre
Quelles traces demeurent finalement de la présence de Wizo et de ses compagnons flamands dans l’ouest du Pays de Galles? Certains chercheurs indiquent la présence d’emprunts lexicaux du flamand dans le dialecte du Pembrokeshire, mais de telles affirmations ne peuvent être soutenues qu’avec une extrême prudence. Une approche plus prometteuse est de se pencher sur l’influence des Flamands sur la toponymie locale. Les ruines du château de Wiston se dressent toujours à côté du village de Wiston. Il est probable que village de Lammaston tire son nom du nom flamand «Lambert», tandis que Rickeston pourrait être dérivé de «Ricard». En effet, plus d’une vingtaine de villages gallois pourraient avoir hérité leur nom des colons flamands. Enfin, d’anciennes cartes des collines de Preseli font mention du «chemin flamand» (the Flemish Way), bien que ce nom soit sans doute aujourd’hui tombé en désuétude.
Il existe néanmoins suffisamment de preuves aujourd’hui pour conclure qu’il existait dans l’ouest du Pays de Galles une communauté d’immigrants flamands qui parvinrent à conserver leur identité flamande bien vivante durant plusieurs centaines d’années, à tel point que la région est aujourd’hui encore parfois surnommée Klein Vlaanderen («Petite Flandre») du Pays de Galles. Bien que la population locale ait pu démontrer quelque réticence à accueillir ces immigrants, leur ardeur au travail et leurs solides compétences en tant que négociants leur a valu une reconnaissance certaine. Tout cela ajoute un chapitre supplémentaire à l’histoire de la migration depuis les Pays-Bas vers d’autres parties du monde.