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Ypres défile

Par Derek Blyth, traduit par Faculté de traduction de l’université de Mons
6 novembre 2024 22 min. temps de lecture Tour de Flandre

Lors d’une visite dans la ville flamande d’Ypres, Derek Blyth s’est demandé s’il n’avait pas posé les pieds en Grande-Bretagne. Il y a découvert un musée consacré aux horreurs de la guerre, une bière brassée dans une fortification souterraine et une cérémonie qui pourrait durer éternellement.

J’aurais pu me trouver dans une petite ville en Angleterre. Pourtant, j’étais bel et bien dans la vieille ville d’Ypres. De belles maisons en brique entourent de la place. Les panneaux de signalisation sont en néerlandais. Cependant, un air britannique flotte sur Ypres (ou Ieper, en néerlandais).

Les panneaux en anglais, les voitures immatriculées «UK» et les bus touristiques gérés par des entreprises britanniques sont partout. Leur présence a une seule et même explication.

Bien que la Première Guerre mondiale ait pris fin il y a plus d’un siècle, elle fait toujours partie de la vie quotidienne à Ypres. Où que vous regardiez, vous verrez des photographies, des mémoriaux, des cimetières et des commémorations. Les rues sont encombrées de touristes intéressés par la guerre venus du monde entier, mais surtout du Royaume-Uni.

Ces touristes représentent environ 40% des visiteurs d’Ypres, et de nombreuses chambres d’hôtel sont réservées par des Britanniques. Ces derniers peuvent passer la nuit à l’hôtel Albion, acheter du tabac à la boutique de souvenirs Tommy’s De Groote et réserver une visite d’un champ de bataille à la librairie The British Grenadier Bookshop.

Entrer dans l’église-mémorial Saint-Georges revient presque à aller en Angleterre. Située au cœur d’Ypres, l’église a été construite en 1928 pour accueillir les milliers de pèlerins qui visitaient la ville. Reginald Blomfield s’est inspiré des églises paroissiales traditionnelles anglaises pour les plans. L’intérieur regorge de plaques commémoratives portant les noms d’écoles, de régiments ou de soldats.

Un chemin étroit à côté de l’église mène à un jardin caché garni de quelques bancs en bois. Il s’agissait autrefois de la cour de récréation de la minuscule Eton Memorial School, établissement d’enseignement fondé par une école d’élite britannique en 1929 à la mémoire de 342 anciens élèves morts pendant la guerre.

L’école a servi la petite communauté britannique qui s’était installée à Ypres après la guerre, y compris les enfants de nombreux jardiniers qui s’occupaient des cimetières militaires. Cependant, elle a été évacuée en 1940, juste avant l’arrivée pour la seconde fois de l’armée allemande à Ypres.

L’école n’a jamais rouvert. L’ancienne cour de récréation est maintenant un endroit silencieux et désert au cœur d’Ypres. Je me suis assis sur un banc en bois en essayant de comprendre cette ville ancienne.

*

«Pas de coups de klaxon entre ici et Ypres », a-t-on annoncé à Edith Wharton quand elle se dirigeait vers la ville flamande en 1915. L’écrivaine américaine était partie de Paris en voiture avec un laissez-passer pour visiter la zone de guerre et écrire sur ce qu’elle y verrait. En arrivant, elle a trouvé l’ancienne ville drapière en ruine. «Il n’y avait pas un seul être humain dans les rues», écrit-elle. «Nous avions déjà visité d’autres villes dévastées, mais aucune ne ressemblait à Ypres.» Alors qu’elle s’approchait de la cathédrale en ruine, l’artillerie allemande a commencé à bombarder la ville, ce qui l’a forcée à se réfugier rapidement à Poperinge.

La cavalerie allemande a envahi Ypres dans les premiers mois de la guerre, le 7 octobre 1914, mais elle est repartie quelques heures plus tard en emportant 8000 pains volés. Pendant les quatre années qui ont suivi, les Allemands ont désespérément tenté de s’emparer de la ville. Ils se sont toutefois heurtés à une résistance acharnée de l’armée britannique qui avait creusé une ligne de tranchées défensives, connue sous le nom de Saillant d’Ypres.

Depuis les hauteurs d’Ypres, les canons allemands bombardaient la ville sans relâche, à raison d’environ 20 obus par minute. La lente destruction d’Ypres a établi un précédent qui s’est répété à Rotterdam, Dresde, Tokyo et, plus récemment, dans les villes ukrainiennes.

La destruction d’Ypres a été immortalisée par deux photographes locaux, Maurice et Robert Anthony. Ils ont commencé leur carrière au début du XXe siècle en prenant des photos d’Ypres et de ses citoyens aisés. La guerre a ensuite éclaté. Les frères sont restés sur place pendant quelques mois. Robert Anthony a photographié les Halles aux draps en proie aux flammes. Ses photographies spectaculaires ont été reproduites dans les journaux du monde entier, renforçant ainsi les arguments en faveur de la guerre en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

Un jour, j’ai rencontré les trois filles de Robert Anthony lors d’une exposition à Ostende. Elles m’ont expliqué que leur père répertoriait de manière unique chacune de ses photographies, en inscrivant sur celles-ci, à l’encre blanche, «Photo Anthony d’Ypres », suivie d’un nombre à 7 chiffres.

Maurice Anthony est retourné à Ypres à la fin de la guerre afin de photographier la ville en ruine qui reprenait lentement vie. Une de ses photographies montre un bus touristique garé devant les Halles aux draps détruites sur lequel figure une pancarte indiquant «Excursions sur les champs de bataille».

À la fin de la guerre, la ville que les frères Anthony avaient soigneusement photographiée était presque totalement détruite. Winston Churchill, ancien secrétaire d’État à la Guerre du Royaume-Uni, voulait laisser la ville éternellement en ruine en guise de mémorial. En 1919, Churchill a déclaré: «Je voudrais acquérir la totalité des ruines d’Ypres. Il n’existe pas de lieu plus sacré pour les Britanniques dans le monde». Cependant, les habitants avaient d’autres idées en tête. Ils étaient déjà en train de reconstruire la ville tandis que Churchill prononçait ces paroles.

Plusieurs habitants de la ville ont façonné l’identité future d’Ypres. L’un d’eux, René Colaert, a été bourgmestre d’Ypres de 1900 à 1921. Alors que Churchill le poussait à laisser la ville en ruine comme Pompéi, René Colaert a pris le parti des résidents désireux de reconstruire leurs maisons le plus vite possible.

L’architecte de la ville Jules Coomans a contribué à la restauration de plusieurs bâtiments historiques avant que la guerre n’éclate, notamment les Halles aux draps et le beffroi. Il est retourné à Ypres une fois la paix rétablie afin de travailler à la reconstruction. Il a utilisé d’anciens plans et photographies pour ne rater aucun détail. Les maisons ont été soigneusement reconstruites dans leur style d’origine, comme si la guerre n’avait jamais eu lieu. Cependant, en regardant de plus près, vous pourrez parfois apercevoir des trous d’obus dans les vieilles fondations en pierre.

Le seul endroit qui affiche une trace de destruction se situe dans le cloître en ruine derrière la cathédrale Saint-Martin. Le jardin abandonné est jonché de fragments d’architecture et de sculptures non répertoriés provenant de bâtiments qui ont été détruits pendant la guerre. Cette collection de décombres non identifiés est tout ce qu’il reste de cette cité perdue.

La reconstruction a duré des décennies. Parallèlement, les habitants ont été forcés de vivre dans des maisons temporaires construites sur un champ situé en dehors de la ville, le Minneplein (la plaine d’Amour). Cet endroit s’est peu à peu transformé en un petit village, avec sa propre église, ainsi qu’un hôtel de ville et des écoles.

J’avais lu qu’une maison temporaire datant de 1919 avait survécu. Elle se trouvait dans l’une des nombreuses ruelles pavées de briques de la ville, à côté du 20 Slachthuisstraat. Construite en 1919, la modeste maison en bois est toujours là pour rappeler les années difficiles qui ont suivi la fin de la guerre, bien qu’elle semble être sur le point de s’effondrer.

En une dizaine d’années, la plupart des maisons en briques ont été reconstruites. Le travail n’était cependant pas fini. Les Halles aux draps de style gothique représentaient un projet de longue haleine. Construit au XIIIe siècle, il s’agissait du plus grand bâtiment profane de style gothique au monde. La reconstruction a nécessité l’expertise d’artisans qui ont pu reproduire le délicat travail de la pierre réalisé par des maçons du Moyen Âge.

Les ouvriers travaillaient encore sans relâche sur le projet dans les années 1950 et 1960. Le reste de l’échafaudage a été retiré en 1967. L’édifice rénové est identique à l’original dans ses moindres détails, à l’exception des sculptures modernes du roi Albert I et de la reine Élisabeth placées dans une niche au pied du beffroi, à côté des sculptures médiévales de Baudouin IX et de Marguerite de Champagne.

Une fois restaurées, les Halles aux draps devaient servir à quelque chose. Un musée de la guerre allait donc de soi. À l’origine, il portait le nom de musée commémoratif Ypres Salient. Il s’agissait d’un musée de la guerre classique rempli d’armes, d’équipement et de cartes militaires. Puis ça a changé en 1998, le bâtiment a été renommé le musée In Flanders Fields, d’après le célèbre poème du médecin canadien John McCrae. Quant aux armes, la plupart d’entre elles ne sont plus exposées. Le musée a adopté une approche plus critique en se penchant sur la littérature, la poésie et la musique issues de la guerre.

L’ancien responsable Piet Chielens, qui a pris sa retraite en 2021, a en grande partie façonné le nouveau musée. Il a grandi dans le village belge de Reninghelst, en Flandre-Occidentale, entouré de cimetières militaires et de cratères d’obus. Spécialiste de l’histoire et de la poésie du Saillant d’Ypres, il a donné au nouveau musée son identité unique. Il ne s’agit pas d’un musée militaire, mais plutôt d’un musée de la paix.

En 2012, le musée a de nouveau changé, car des plans étaient en cours d’élaboration afin de marquer le 100ᵉ anniversaire de la guerre. La musique et la poésie ont alors joué un rôle moins important dans le musée, l’accent étant mis sur le doux paysage vallonné des environs d’Ypres où les tranchées ont été creusées et les batailles livrées.

Le groupe indépendant britannique Tindersticks a été chargé de composer un paysage sonore pour accompagner les visiteurs lors de leurs déplacements dans le musée. À la suite d’une visite au cimetière militaire allemand de Vladslo, le groupe a composé une bande sonore sombre et envoûtante. Un employé du musée m’a fait savoir que cette dernière n’était plus jouée à cause d’avis négatifs.

Le changement d’axe du musée reflète un changement d’atmosphère. Au départ, il était question d’armes et de moyens de tuer. La littérature et la musique ont ensuite pris la relève. Il s’agit désormais des vies qui ont été détruites par les armes. On en sait davantage sur les Belges touchés par la guerre que sur les batailles elles-mêmes. Et si vous voulez écouter le paysage sonore des Tindersticks, vous pouvez toujours acheter le CD en magasin.

Lorsque vous entrez dans le musée, vous recevez un bracelet électronique qui vous permet de suivre l’histoire de deux personnes parmi les millions dont la vie a été détruite par la guerre. Il pourrait s’agir d’un soldat australien, d’une infirmière irlandaise ou encore d’une mère belge contrainte de fuir sa maison.

En explorant le musée, vous vous retrouvez devant des écrans qui racontent l’histoire de vos victimes aléatoires. D’autres écrans affichent des acteurs qui jouent le rôle des soldats, des infirmières ou des réfugiés. Sur l’un de ces écrans, des acteurs reproduisent la trêve de Noël de 1914, lorsque les soldats des deux camps ont brièvement déposé leurs armes pour chanter des chansons. Sur un autre écran, des docteurs et des infirmières décrivent l’horreur qu’ils ont vécue.

Pour la première fois, il est possible de gravir les marches du beffroi. Un escalier en colimaçon mène à une plateforme étroite d’où vous pouvez contempler les collines et les bois où se sont déroulés les combats. Cela vous montre bien qu’il y a beaucoup à découvrir au-delà des murs de la ville.

1918 n’est pas la date à laquelle l’histoire prend fin. L’exposition finale présente deux vieilles chaises en bois. Elles possèdent toutes deux une étiquette: il est indiqué sur une des chaises «Ukraine» et sur l’autre, «Russie». Elles proviennent d’une collection de 120 «chaises commémoratives» montées par l’artiste Val Carman. Envoyées depuis les quatre coins du monde, ces chaises étaient exposées au musée pendant les cérémonies du 100e anniversaire de la fin de la guerre. Le message est clair: allez, asseyons-nous et discutons.

*

Je commençais à comprendre l’histoire d’Ypres. Il s’agit d’une ville qui a plusieurs fois été victime d’attaques dans le passé, et ce bien avant que les Allemands n’arrivent en 1914. Une immense peinture dans la cathédrale Saint-Martin illustre le siège d’Ypres de 1383. Réalisé en 1667 par Joris Liebaert, ce tableau met en lumière les attaques subies par la ville par une armée composée de soldats venant d’Angleterre et de Gand. Le siège a échoué après que les habitants ont imploré l’aide de Notre-Dame de Thuyne. Cependant, cet évènement a provoqué la destruction de la ville.

Je commençais à comprendre l’histoire d’Ypres. Il s’agit d’une ville qui a plusieurs fois été victime d’attaques dans le passé, et ce bien avant que les Allemands n’arrivent en 1914. Une immense peinture dans la cathédrale Saint-Martin illustre le siège d’Ypres de 1383. Réalisé en 1667 par Joris Liebaert, ce tableau met en lumière les attaques subies par la ville par une armée composée de soldats venant d’Angleterre et de Gand. Le siège a échoué après que les habitants ont imploré l’aide de Notre-Dame de Thuyne. Cependant, cet évènement a provoqué la destruction de la ville.

Se promener le long des remparts de la ville est un bon moyen de comprendre les différents chapitres de l’histoire d’Ypres. Ces imposants murs en brique ont été attaqués, détruits et reconstruits à de nombreuses reprises, en laissant derrière eux des vestiges de toutes les périodes.

Près de la gare, l’immense Poedertoren (la Poudrière) en pierre était autrefois utilisée pour entreposer la poudre à canon. Le Predikherentoren plus loin autour des murs est tout ce qui reste d’une imposante tour ronde construite au XIVe siècle durant la période bourguignonne. L’escalier caché de la poterne descend des remparts jusqu’aux fossés de la ville. Construit au XVIIe siècle, il faisait partie d’un réseau de tunnels et d’escaliers utilisé pour défendre la ville.

Le cimetière des remparts est le lieu le plus hanté. Construit sur un terrain en pente au bord des douves, ce cimetière caché compte seulement 193 tombes, parmi lesquelles six proviennent du bataillon maori de Nouvelle-Zélande et six sont dédiées à des soldats australiens tués par un seul obus. L’autrice Rose Coombs, qui a écrit un guide sur les champs de bataille d’Ypres en 1976, affectionnait tout particulièrement ce cimetière. Ses cendres y ont été dispersées après son décès en 1991.

D’autres endroits cachés se trouvent profondément enfouis sous terre. La brasserie Kazematten occupe d’anciennes casemates du XVIIe siècle situées sous les remparts où les soldats britanniques imprimaient un journal de tranchées humoristique appelé The Wipers Times. La salle de brassage y a été inaugurée en 2014 par la célèbre brasserie Saint-Bernardus à Watou. On brasse dans cette salle la Grotten Santé, une bière blonde, et la Wiper Times, une bière légère.

Parfois, il semble que l’histoire d’Ypres ne se résume qu’à la guerre. Cependant, elle était l’une des plus importantes villes drapières au Moyen Âge. «Elle était une puissance économique aux XIIe et XIIIsiècles», explique Bart Lambert, médiéviste. Le tissu d’Ypres était vendu en Angleterre, en Italie et même en Russie. Le savoir-faire des fabricants de tissus était loué dans Les Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer.

La ville a enfin pu avoir son propre musée en 2018 lorsque l’Yper Museum a ouvert dans une aile des Halles aux draps. Il retrace onze siècles d’histoire, en commençant par la petite collection de fragments récupérés dans les ruines. Certaines pièces d’un musée de l’enseignement ont été transférées à l’Ypres Museum lorsque celui-ci a fermé. D’autres pièces ont été récupérées d’une collection folklorique.

Le nouveau musée accueille peu de visiteurs par rapport au musée In Flanders Fields. C’est pourtant un endroit intéressant où l’on peut passer son temps libre. De plus, les panneaux d’information sont écrits en quatre langues. La violente histoire d’Ypres, qui a débuté avec l’invasion viking en 800, y est bien expliquée.

Vous découvrez que la ville avait atteint son apogée en 1385. Et vous en apprenez plus sur un étrange festival local lors duquel des chats sont jetés du haut du beffroi. Au Moyen Âge, des chats vivants étaient lancés. Aujourd’hui, je tiens à le préciser, ce sont des peluches qui sont jetées du beffroi.

Le musée a une pièce entière dédiée à une collection de broches datant du Moyen Âge. Personne ne connaît vraiment la signification de ces minuscules jetons en métal décorés de saints, d’outils professionnels ou, parfois, de symboles érotiques. Cependant, cela les rend d’autant plus intrigants.

La principale attraction du musée est une salle de projection où un film sur l’histoire dramatique d’Ypres est diffusé. Je me suis dit que cela pouvait être intéressant. Toutefois, c’était plutôt étrange, il s’agissait plus d’un sketch de Monty Python: le film montrait un pied humain géant qui piétine la tête de Napoléon, ce genre de choses étranges.

La bande-son ridicule du film se retrouve dans des pièces dédiées à l’âge d’or de l’avant-guerre. Un peu de musique apaisante jouée au piano conviendrait mieux à la collection de photos d’époque de Maurice et Robert Anthony. Ces images, sur lesquelles on peut voir des familles qui se promènent dans les prairies en dehors des remparts et des fermiers qui vendent leurs légumes à l’extérieur des Halles aux draps, capturent l’atmosphère paisible et chaleureuse d’Ypres.

Le musée expose également des peintures de l’artiste yproise Louise De Hem. Elle est devenue célèbre à une époque où les femmes belges n’étaient pas admises dans les écoles d’art. Ses portraits délicats d’avant-guerre illustrent un monde perdu d’épouses bourgeoises et de filles des campagnes.

Alors qu’une grande partie de la ville était détruite en surface, des couches sous les fondations ont survécu au bombardement. Pendant des travaux réalisés à côté de l’église Saint-Nicolas, des chercheurs ont découvert un immense cimetière médiéval qui contient au moins 1 200 squelettes. Les restes sont en cours d’analyse par une équipe de chercheurs qui prévoient de publier leurs résultats en 2024.

De plus, un seul arbre est resté en vie pendant les quatre années de bombardement. Je l’ai finalement trouvé sur les remparts, juste au nord de la Porte de Menin. Ce châtaignier faisait partie d’une allée d’arbres plantés sur les remparts en 1860. Tous les autres arbres sont morts lors des bombardements ou pendant la recherche désespérée de combustible durant la Seconde Guerre mondiale. En 2020, le châtaignier a été élu l’Arbre belge de l’année. Le conseiller communal de l’environnement Valentijn Despeghel a déclaré: «Le châtaignier représente la capacité de survie d’Ypres».

Après toutes les destructions survenues dans son histoire, Ypres a décidé de se définir comme ville de paix. Elle a même créé un logo sur lequel figure une lettre rouge I (pour Ieper nom néerlandais d’Ypres) et le mot Vredesstad (Ville de paix), et ils y croient. Lorsque le War Heritage Institute belge a annoncé son intention de créer un musée des blindés dans une ancienne caserne d’Ypres, de nombreux habitants n’étaient pas enchantés. «Parlons de l’histoire et de la souffrance des humains et non pas de chars», a affirmé le conseiller Jan Breyne. Néanmoins, le premier blindé est déjà entré en ville.

*

Ypres n’était auparavant qu’une ville assez triste à visiter. Cependant, elle est en train de changer petit à petit. Elle regorge de plusieurs belles places comme le Vismarkt où l’on vendait du poisson et le sombre Veemarkt, qui était autrefois un marché aux bestiaux. Vous pouvez facilement trouver un bel hôtel, un café qui vaut le détour ou un bar animé avec de la musique.

Non loin des Halles aux draps, un café appelé ’t Binnenhuys se trouve dans un des rares édifices qui n’a pas été complètement détruit. Datant de 1772, la vaste demeure est désormais un magasin de décoration d’intérieur. Au fond du café se trouvent deux petites pièces garnies de vieux canapés en cuir, de lampes anciennes et de photos ternies. Les habitants de la région s’y rendent l’après-midi pour boire un café et manger des gâteaux assis près de la vieille cuisinière en fer ou, si le temps le permet, installés à l’extérieur, dans le jardin clôturé.

La ville compte un bon nombre de bars où vous pouvez trouver des bières exceptionnelles brassées en Flandre-Occidentale comme la Westvleteren 12 et la Omer. Le café De 12 Apostels a un intérieur sombre rempli de statuettes religieuses, de peintures de Jésus et de pochettes d’album décolorées. Le bar attire un mélange chaleureux de musiciens de la région, d’adolescents qui boivent des mojitos et de touristes qui se sont écartés de la place principale. Vous aurez peut-être la chance de voir un groupe local jouer sur scène le soir.

*

L’Office du tourisme a une nouvelle idée en tête. Il voudrait inciter les touristes à explorer le paysage autour d’Ypres. Avant la guerre, c’était une région vallonnée avec des châteaux, des bois et des exploitations fruitières. Cependant, la guerre a tout détruit. «La région du Westhoek est le témoin silencieux de ce qu’il s’est passé ici lors de la Première Guerre mondiale», a expliqué celle qui était alors la ministre flamande du Tourisme Zuhal Demir. En 2023, elle a lancé 25 petits projets afin de mettre en avant le paysage de guerre autour d’Ypres.

J’ai décidé d’aller y jeter un coup d’œil. Il m’a suffi de louer un vélo classique et d’établir un itinéraire. L’Office du tourisme a cartographié des sentiers qui suivent approximativement la ligne de front. Vous pouvez néanmoins créer votre propre itinéraire en utilisant les points-nœuds, c’est-à-dire des réseaux cyclables balisés.

J’ai commencé à dévaler la route de Menin en direction du point-nœud 32. Il ne m’a pas fallu longtemps avant de passer devant un cimetière militaire, puis un deuxième et un troisième. Plus de 150 cimetières entourent de la ville. Certains sont gigantesques comme le cimetière militaire britannique de Tyne Cot, et d’autres sont des cimetières plus privés, cachés dans les bois. Chacun d’entre eux vous permet de vivre une expérience unique.

Les traces laissées par la guerre ont en grande partie disparu du paysage, mais pas entièrement. Je m’étais assis sous un arbre dans le bois de Bellewaerde pour manger un sandwich au thon. J’ai alors remarqué un énorme cratère formé en 1915 par l’explosion d’une mine souterraine. J’ai ensuite entendu un cri. Il venait du parc d’attractions Bellewaerde, construit non loin, sur le du site d’une maison de campagne perdue. Cependant, le son semblait venir des profondeurs de la terre.

J’avais trouvé ces bois en suivant un sentier qui part du musée du cratère Hooge. L’Office du tourisme a créé un centre d’information dans un petit édifice qui était autrefois le lieu où se trouvaient les toilettes de l’école locale. C’est l’un des trois points d’entrées, avec l’ancienne ligne de front, qui témoigne de la réalité de la guerre grâce à des photos et des extraits vidéo.

Le sentier traverse les champs et contourne les bois. En chemin, je suis passé devant de jeunes arbres qui avaient été récemment plantés à des intervalles réguliers le long de l’ancienne ligne de tranchées. J’ai vu les crêtes qui, dans le passé, avaient été prises d’assaut. Il s’agit de légères pentes sur lesquelles de nombreuses personnes sont mortes en vain. Les flèches des églises au loin ont été lentement détruites par des obus.

J’avais planifié une balade à vélo de 25 km à travers les champs de bataille. Elle m’a permis de découvrir des lieux historiques tels que le bois du Sanctuaire, la colline 60 et le canal Ypres-Comines. Sur le chemin, j’en ai appris plus sur l’histoire d’un régiment canadien qui a quasiment été décimé sur la crête de Frezenberg. J’ai également lu dans un livre d’or les noms de trois familles canadiennes qui étaient venues la semaine précédente. C’est là que je me suis rendu compte que cette guerre était loin d’être oubliée.

La route autour du saillant vous emmène vers de magnifiques endroits tels que la réserve naturelle de Palingbeek et la forêt de Groenenburg. Il s’agit d’une balade agréable le long de fermes où vous pouvez vous arrêter pour acheter de la glace artisanale. Vous découvrez également des lieux où l’on peut apercevoir au loin les flèches d’Ypres. De retour en ville, j’ai suivi un sentier sinueux qui faisait le tour des anciennes fortifications et je me suis ensuite arrêté dans un café-restaurant, le Pacific Island. Situé sur une île qui faisait autrefois partie des fortifications du XVIIe siècle, il s’agit d’un endroit convivial et tranquille au bord de l’eau. Un rappel qu’Ypres est plus qu’une destination pour le tourisme de guerre.

*

L’heure approche. Chaque soir, juste avant 20 heures, un policier de la commune arrête les voitures dans la rue Menenstraat. Deux pompiers font sonner leurs clairons et jouent le Last Post sous l’imposant mémorial de guerre qu’est la Porte de Menin.

La triste sonnerie militaire connue sous le nom de Last Post a été pour la première fois jouée le 24 juillet 1927 à Ypres par les clairons britanniques à l’inauguration de la Porte de Menin. Le chef de la police de la ville était tellement ému qu’il a créé un comité pour s’assurer que la sonnerie soit jouée tous les jours par les pompiers volontaires d’Ypres.

La cérémonie rend hommage aux 54 393 soldats de l’Empire britannique disparus qui sont répertoriés sur le mémorial de la Porte de Menin. Les pompiers ont joué la sonnerie chaque jour depuis le 2 juin 1928, soit plus de 32 000 fois, à l’exception de la période d’occupation allemande de 1940 à 1944. Il n’y a rien de comparable dans le monde.

Quelques heures seulement après la libération d’Ypres par les troupes polonaises le 6 septembre 1944, Jozef Arfeuille a saisi son clairon et a joué le Last Post six fois durant la soirée afin de célébrer l’évènement.

Parfois, lorsqu’il pleut, les clairons jouent devant un ou deux touristes. Le reste du temps, une grande foule se rassemble sous la porte le soir. Les anniversaires importants peuvent réunir des milliers de personnes. Cent ans après la fin de la Première Guerre mondiale, le 11 novembre 2018, 10 000 personnes venant du monde entier se sont rassemblées pour écouter le Last Post.

Il y a plusieurs années, j’ai rencontré un pompier volontaire d’Ypres à Bruxelles lors d’une cérémonie de l’ambassade canadienne. Leur association, la Last Post Association, a reçu une médaille. Ils étaient accompagnés de leurs femmes. J’ai demandé à un des pompiers s’ils avaient déjà pensé à arrêter d’organiser la cérémonie. Il a secoué la tête. «Nous avons l’intention de continuer à l’organiser jusqu’à la fin des temps», m’a-t-il répondu.

Je me suis ainsi rendu compte qu’Ypres était un lieu spécial: la ville est unique en son genre.

Le site web de Visit Ieper (Ypres)

Derek Blyth

Derek Blyth

journaliste

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