La Grande Guerre, toujours proche
La Première Guerre mondiale a maintes fois occupé une place centrale dans Septentrion. La Grande Guerre y a été contée ou évoquée sous les angles les plus divers. Au fil du temps, l’auteur s’est pris personnellement d’un vif attachement pour l’histoire de ce conflit. Il y a un lieu particulier qu’il ne cesse de visiter et de revisiter, un lieu où il s’attarde volontiers.
Est-ce l’automne qui, au moment où j’écris ces lignes, me rend mélancolique? Ou est-ce l’imminence des célébrations du 1er et du 11 novembre, inévitablement centrées sur la mort? (Soyons clair, je n’englobe pas dans les jours fériés Halloween venu du monde anglo-saxon). Quoi qu’il en soit, je ne puis résister au besoin de m’arrêter un moment aux millions de morts du front occidental de la Première Guerre mondiale.
Le «New Irish Farm Cemetery»
Impossible de passer à côté de cette fichue guerre quand on est, depuis plus de trente ans, secrétaire de rédaction et responsable de la publication de Septentrion.
Il y a évidemment eu les années de commémoration (1998, 2014, 2018), qui m’ont amené à composer pour la revue de volumineux dossiers ou à contacter des auteurs qui présenteraient la guerre sous des angles spécifiques.
Mais il y a eu bien plus que cela! Notre bureau ne se trouve pas exactement sur ce qui était alors le front du conflit, mais Septentrion a été vingt ans durant imprimé à Ypres, un nom qui a naturellement pour tous les lecteurs une résonance particulière. Combien de fois suis-je allé dans le zoning industriel d’Ypres? Il y a longtemps que je ne les compte plus. Lorsque l’imprimerie Dejonghe se préparait à mettre un numéro sous presse, je recevais un coup de fil. «Tu peux venir?» Ma tâche était de vérifier la qualité de l’impression des photos, en couleur et en noir et blanc. En général, cela représentait deux ou trois feuilles, et le temps entre deux feuilles à contrôler était souvent assez long, parfois deux heures. Pas de problème, car pendant ce temps, je travaillais sur mon ordinateur portable dans un petit bureau de l’imprimerie.
Mais, plus d’une fois, cela a été plus fort que moi: je sautais en voiture pour pousser une pointe jusqu’au New Irish Farm Cemetery, un petit cimetière militaire situé en bordure de la ville, Hoogeziekenweg. Parce que c’était la plus impressionnante nécropole militaire de Belgique? Pas du tout. Sans vouloir le moins du monde manquer de respect, je dirais que c’est un cimetière comme on en voit treize à la douzaine. Mais il a quelque chose de spécial: à l’écart, au milieu des champs, avec Ypres pour toile de fond, le petit sentier boueux qui vous y conduit, le vent qui souffle si souvent en rafales … Ce New Irish Farm Cemetery est devenu mon cimetière militaire favori. J’y étais presque toujours tout seul. J’aurais pu y rester des heures, assis sur un banc. Rien ne pouvait m’inciter à aller revoir, non loin de là, l’Essex Farm Cemetery, où le médecin militaire canadien bien connu John McCrae a rédigé en 1915 son célèbre poème In Flanders Fields. Je n’étais pas davantage attiré par la réputée Porte de Menin ou par cet autre ossuaire que je trouvais plutôt pompeux, le Tyne Cot Cemetery dans le village de Passendale.
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Le seul endroit qui m’ait jamais autant marqué que le New Irish Farm Cemetery est le cimetière de soldats allemands de Vladslo. Dernière demeure des vaincus, de ces jeunes Allemands qui, souvent portés par un idéal nationaliste, avaient vaillamment marché au combat, mais qui n’avaient absolument rien à attendre de leur campagne en terre flamande. Sous chacune de ces pierres tombales toutes simples reposent plusieurs soldats. Parmi eux, Peter Kollwitz, dont la mère était l’artiste Käthe Kollwitz. Peter est tombé en octobre 1914. À l’avant, tout près de la tombe, se dresse Het Treurende Ouderpaar, la statue de granit réalisée par Käthe Kollwitz en hommage à son fils et la représentant en compagnie de son époux. Chacun des parents exprime son chagrin à sa manière. La folie de la guerre n’aurait pu être rendue plus douloureusement tangible.
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Retour au front, le plus vite possible
Il serait vain de vouloir faire un compte rendu détaillé de tout ce qui est paru dans Septentrion
au sujet de la Grande Guerre. Tapez sur le présent site quelques mots-clés et vous verrez rapidement que la série est quasi illimitée, beaucoup trop longue pour être présentée en un court article.
Que m’est-il resté de tous ces textes retraçant l’histoire (cela va de soi), mais aussi la littérature et même l’art? Peut-être ceux qui évoquent le conflit sous un angle inattendu? Je songe à un écrit de Michaël Amara sur les Belges réfugiés en France. Ils y ont été reçus cordialement, avec beaucoup d’empathie, mais des tensions se sont ensuite fait jour. De nombreux réfugiés belges ont été mis au travail dans l’industrie guerrière. Piet Chielens, coordonnateur du In Flanders Fields Museum à Ypres, aborde dans un article relativement récent le tourisme de mémoire, qui s’est assez vite développé après la fin des hostilités. Un moment, il a été envisagé de laisser les ruines d’Ypres en l’état, comme une mise en garde pour le futur. Un article qui intrigue également est celui de Cyrille Offermans sur la vie dans et autour de Huis Doorn, ce petit palais des environs d’Utrecht, doté d’un vaste jardin. L’ancien empereur d’Allemagne Guillaume II, hébergé à Huis Doorn fin 1918 à l’intervention de la famille régnante des Pays-Bas, y a coulé une existence paisible jusqu’à sa mort en 1941.
Et puis il y a ces photos, des images qu’il est absolument impossible d’oublier. Telles ces multiples photos de gueules cassées, ou celle d’un cheval mort, pendant en lambeaux à un arbre. Les chevaux ont été massivement mis à contribution durant la Première Guerre mondiale. Ou cette photo en couverture du n° 3-1998, où l’on voit un soldat gisant dans une tranchée, contre des sacs de sable. Près de la main gauche du jeune homme, on distingue une mare de sang. Sa tête est affaissée sur sa poitrine. Continuons, crescendo si l’on peut dire, pour terminer par la photo de couverture du n° 3-2014. Cette fois, il ne s’agit pas d’un soldat qui a succombé ni de la dépouille d’un cheval, mais d’un imposant groupe de soldats dans le jardin d’un hôpital près de Berlin. En convalescence, portant les stigmates des blessures subies au combat. Beaucoup n’ont plus qu’une jambe. Mais cela ne les empêche nullement de prendre part à la gymnastique matinale. Pour être requinqués en vue de nouvelles missions. La folie ne connaît pas de fin.