Entre la Flandre des urnes et celle vécue au quotidien
Doyenne des revues belges francophones – elle a fêté ses 150 ans il y a cinq ans –, la Revue générale apparaît plus que jamais fidèle à son inspiration humaniste qui se caractérise par une rare ouverture. Et qui n’a donc que faire des clivages de tous ordres dans un monde tristement fracturé à tous les étages. Cela amène aussi cette «revue de réflexion et de culture» à pratiquer des aggiornamenti bienvenus au fil des ans. Pilotée désormais par Frédéric Saenen, homme de lettres liégeois dans toutes les acceptions du terme, mêlant enseignement, poésie et essais divers, elle a publié récemment des dossiers très étayés sur les Jeux olympiques puis sur le général de Gaulle. Et voilà que la Revue générale se focalise spécialement sur la Flandre.
Un tir groupé très réussi qui n’empêche pas la vénérable institution de s’attacher de très longue date dans chacune de ses livraisons à ce qui se passe et ce qui se vit au nord de ce que l’on nous permettra de qualifier de frontière de betteraves plutôt que… linguistique. De véritables correspondances particulières, avec en sus, au fil des ans, des incursions régulières plus développées comme à l’entame de ce siècle avec un dossier sur «la Flandre, variato cantabile».
Cette fois, il est question de «la Flandre, ici et maintenant » vue par de vieux routiers mais aussi des découvreurs plus récents de son bouillonnement culturel et sociétal récurrent.
Une belle occasion d’abattre au passage quelques fameux stéréotypes sur les francophones vus d’en haut (de la carte du pays!) D’emblée, le constitutionnaliste et ancien député fédéral Francis Delpérée, qui préside le conseil d’administration de la Revue générale et qui est un des principaux initiateurs de sa dernière réforme, va à l’essentiel.
Dans une «lettre aux Flamands», il pose clairement les enjeux des relations futures entre francophones et néerlandophones. A n’en point douter, il faudra des «tâcherons prêts à mettre les mains dans le cambouis autant que des visionnaires habiles à tracer des perspectives pour demain».
Et ce «demain» est proche sur fond de bicentenaire de la Belgique contemporaine…
Cela dit, pour définir cette perspective, il faut mieux connaître ceux et celles qui, quoiqu’il arrive sur le terrain politico-communautaire ces deux prochains lustres, sont et resteront nos plus proches voisins même si sur un coup de folie, horresco referens, une sécession devait se produire.
Précision personnelle : je ne me replierai jamais sur mon « pré carré » et continuerai à nourrir mes relations interpersonnelles et familiales en Flandre. Puis tout heureux que je puisse être d’aller sur la Côte d’Opale, je resterai attaché à notre littoral et à toutes ses richesses, surtout humaines…
Mais venons-en au dossier! La Revue générale a pleinement joué le jeu en allant à la rencontre de la Flandre contemporaine sans clichés ni mythes séparateurs qui ne font que le bonheur (électoral) d’une certaine classe politique.
Bref, loin des stéréotypes, le dossier va à l’essentiel avec des témoins avisés. Ici, l’ancien premier ministre Mark Eyskens et l’entrepreneur Luc Bertrand, là, la toujours interpellante à dessein, Assita Kanko, députée européenne de la N-VA. Puis, qui mieux que Luc Devoldere pouvait guider les lecteurs de la Revue générale autour de la question essentielle : comment peut-on être flamand?
L’identité flamande? Tout un programme qu’il s’impose d’approcher sous toutes ses formes.
Les plus modernes le sont à travers l’évolution culturelle au sens large autour de plusieurs de ses icônes qui ont noms Felix Van Groeningen, Tom Lanoye, Jan Fabre ou Lize Spit…
© Whyilovethisbook / © Arthur Los / © Paul Katzenberger
Mais la Flandre entend aussi toujours se positionner dans la longue durée. Le débat d’un canon flamand a été relancé depuis les élections de mai 2019 et il était utile de faire là aussi le point à destination des francophones. Marc Boone, professeur d’Histoire à l’université de Gand résume bien l’enjeu tout comme le fit récemment aussi Luc Devoldere dans les colonnes de La Libre Belgique. Loin d’une instrumentalisation politico-idéologique, on est dans une approche adulte décomplexée. Une remise en perspective d’autant plus intéressante que depuis un demi-siècle au moins, avec l’instauration progressive du fédéralisme, d’abord culturel, pas mal de francophones de Wallonie et de Bruxelles entendent aussi établir une liste de leurs spécificités et de leurs grands cadres de références.
Mais force est de reconnaître qu’en Belgique romane malgré moult coups de pouce d’historiens de renom, on est encore loin là aussi d’un canon identitaire ouvert…
Peut-être parce que nos identités plurielles dépassent ces catégorisations parfois un peu trop strictes, trop étroites dans un monde qui se veut, Dieu merci, toujours ouvert malgré les assauts des extrémistes et des populistes de tous poils…
Pour cette raison, le dossier de la Revue générale
sur «la Flandre d’ici et de maintenant» devrait être mis entre les mains du plus grand nombre de nos compatriotes flamands… Et nourrir de vrais débats, en français et «in ‘t Nederlands»…
La Revue générale, no 1, automne 2020